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UNE ODE INÉDITE DE RONSARD

Voici une Ode qui parut vers le 1er septembre 1573 chez Federic Morel, imprimeur du Roi, dans un opuscule de Dorat, intitulé: Magnificentissimi Spectaculi, a Regina Regum Matre in hortis suburbanis editi, in Henrici Regis Poloniae invictissimi nuper renunciati gratulationem, Descriptio. Io. Aurato Poeta Regio Autore (sic). Cet opuscule est un in-4o de 26 feuillets non chiffrés, orné de vingt figures gravées sur bois (1). L'Ode de Ronsard est contenue dans 4 feuillets supplémentaires marqués comme les feuillets suivants, C, Cij, D, (Dij). Elle est suivie d'une Ode d'Amadis Jamyn: La Nymphe Angevine parle, qui a été réimprimée en 1575 dans la première édition collective des œuvres de Jamyn, et en 1878 (édit. de Charles Brunet, Paris, Léon Willem, t. I, p. 138). Ce sont les deux seules pièces françaises intercalées dans cet opuscule latin, qui est un compte-rendu du grand gala offert aux Tuileries par Catherine de Médicis en l'honneur des députés Polonais venus à Paris pour annoncer officiellement à Henri d'Anjou son élection au trône de Pologne. L'Ode de Ronsard, que nous rééditons, n'a été recueillie ni par son auteur en 1578 et 1584, ni par ses éditeurs posthumes, y compris Blanchemain et Martin Laveaux.

(1) Trois de ces gravures sont de la grandeur de la page et représcntent: 1o une allégorie sur la France, 2o le rocher des Nymphes, 30 la salle de verdure construite dans le jardin des Tuileries, au milieu de laquelle dansent les seize nymphes devant une brillante assistance émerveillée. Les autres gravures représentent les armes de Charles IX et seize médaillons allégoriques pour chacune des Nymphes provinciales. Ces très belles estampes sont attribuées à Jean Cousin,

LA NYMPHE DE FRANCE PARLE

Je suis des Dieux la fille aisnée

De cent lauriers environnée,
La bonne Nymphe des François,
Qui d'armes et d'hommes feconde
Ay tousjours fait trembler le monde
Soubs la puissance de mes lois.
Mon heur ne porte point d'envie
A l'Afrique ny à l'Asie,
Tant abondante je me voy

En chasteaux, en ports, et en villes :
Et mes terres sont si fertiles,
Que les Cieux sont jaloux de moy.
C'est moy qui ay donné naissance
A tant de Monarques de France,
A Clovis, à Charles le Grand,
Et à ce Charles que j'honore,
Qui me commande, et qui redore
Ce siècle, qui de luy dépend.
Sous luy je me voy bien traittée,
Sous luy ma gloire est augmentée,
Sous luy j'ay reveu la clarté,
Par la conduitte de sa mere,
Qui m'a d'une longue misere
Remise en douce liberté.
C'est ceste Royne qui tressage,

Me sauvant au fort de l'orage,
Lorsque plus j'attendois la mort,
Comme un Astre m'est apparuë,
Et faisant dissiper la nuë,

A conduit ma Nef à bon port (1).
A qui l'on doit mille Colosses,

Mille termes taillez en bosses,
Mille temples, et la nommer
Des François la mere éternelle,
Et d'une pompe solennelle

Tous les ans sa feste chommer.

(1) Allusion à la paix de La Rochelle qui venait d'ètre signée avec les protestants. Peut-être aussi faut-il voir dans cette strophe une allusion à la saint Barthélemy, dont l'apologiste, Pibrac, et l'un des plus violents massacreurs, Le Guast, furent loués par Ronsard dans la pièce des Estoilles (1574-75).

C'est moi qui n'a guères fit naistre

Ce grand HENRY, qui fut mon maistre,
Monarque aux armes non pareil,
Et son fils HENRY qui l'égale
En force, en vertu martiale,
Des François le second soleil.
Qui tient soubs luy (race divine)
L'heureuse province Angevine,
Dont le front et les bras guerriers,
Et les belliqueuses espees
Sont orgueilleuses de Trophees
Et de Palmes et de Lauriers.

C'est ce Henry qui sa jeunesse
Toute bouillante de prouësse
A nourrie entre les dangers,
Victorieux en trois battailles, (1)
Foudre des superbes murailles
Et la frayeur des estrangers.

Nul mieux que luy n'a sceu entendre
Les conseils de sa Mere, et prendre
Les armes pour ayder son Roy
Son Frere (amitié charitable)
Qui d'âge en âge mémorable
Aux freres servira de loy.

Aussi le Ciel qui tout dispense

Luy a donné pour récompense
L'heur qu'autre Prince n'avoit eu,
Et d'avantage lui ordonne
Le grand sceptre de la Polonne
Pour le loyer de sa vertu (2).

Afin que l'un sa force estande

Sur la France et l'autre commande

:

(1) Jarnac (mars 1569), Moncontour (octobre 1569). Et la troisième ? Sans doute Saint-Denis (novembre 1568), livrée alors qu'Henri d'Anjou, malgré son extrême jeunesse (13 ans 1/2), avait déjà le titre de Lieutenant général du royaume; car je ne crois pas que l'on puisse entendre par le mot bataille le massacre de la saint Barthélemy, ou le siège de La Rochelle, qui d'ailleurs ne fut pas un succès pour le duc d'Anjou.

(2) Henri d'Anjou fut élu roi de Pologne le 9 mai 1573 et proclamé le 16 mai. Mais il ne mit le pied sur le territoire de la Pologne que dans les premiers jours de février 1574, et n'y resta que trois mois et demi.

Aux peuples sous l'ourse escartez,
Et que toute l'Europe craigne
Ceste race de Charlemagne,
Deux grands Monarques indontez.
O Polonne chevaleureuse,

Trois et quatre fois bienheureuse
D'avoir si sagement esleu

Ce Duc pour régir ta Province.
Si le Ciel n'avoit point de Prince,
Le Ciel mesme l'eust bien voulu (1).

En telle commune allegresse

Je n'ay peu celer ma liesse,
Sans la faire en public sortir :
Toutefois dans le cueur je pleure,
Et peu s'en faut que je ne meure,
Le voyant proche de partir.
J'avois mes principales Filles,
Nymphes des Terres et des Villes,
Conduittes icy pour vanter
Sa vertu des Cieux aprouvée,
Mais de deuil la voix enrouée
Ne leur a permis de chanter.
Pource mes compaignes loyales
Destournez vos faces royales
Vers ce Duc des peuples vainqueur :
Par dehors montrez au visage
Publiquement le tesmoignage
Qu'au dedans vous portez au cueur.

Su'doncq que chacune s'avance

Par signes, par dons, et par dance,
Faittes luy toutes à sçavoir
Qu'il vous osta de servitude,
Et que jamais l'ingratitude
N'effacera vostre devoir.

RONSARD.

Telle est l'ode qui fut récitée par une des Dames de la Cour, figurant la Nymphe de France, dans la Mascarade-ballet organisée par Catherine de Médicis

(1) Apothéose de Henri d'Anjou; cette strophe hyperboliquemen flatteuse a été singulièrement démentie par les événements. Dix-huit mois plus tard, Henri d'Anjou s'enfuit honteusement de son royaume (18 juin 1574) et les Polonais décrétèrent sa déchéance.

en l'honneur des députés Polonais venus à Paris pour offrir au duc d'Anjou le trône de Pologne. Nous sommes renseignés par la Correspondance de Catherine de Médicis (1) et par les Mémoires de Hurault de Cheverny (2) sur ces ambassadeurs Polonais qui firent leur entrée à Paris le 19 août 1573. L'opuscule latin de Dorat nous rend un compte détaillé de la soirée de gala des Tuileries. Enfin Brantôme a écrit sur le même sujet cette page pittoresque dans son éloge de la Reine mère : « Elle les festina fort superbement en ses Tuilleries; et après souper, dans une grande salle faicte à poste et toute entournée d'une infinité de flambeaux, elle leur representa le plus beau ballet qui fut jamais faict au monde (je puis parler ainsy); lequel fust composé de seize dames et damoiselles des plus belles et des mieux apprises des siennes, qui comparurent dans un grand roch tout argenté, où elles étaient assises dans des niches en forme de nuées de tous costez. Ces seize dames représentaient les seize provinces de la France, avecques une musique la plus mélodieuse qu'on eust sceu voir (3); et après avoir fait dans ce roch le tour de la salle par parade comme dans un camp, et après s'estre bien faict voir ainsi, elles vindrent toutes à descendre de ce roch, et s'estant mises en forme d'un petit bataillon bizarrement invanté, les violons montant jusques à

(1) Edition d'Hector de la Ferrière, tome IV, p. 250 et note. (2) Collection Michaud, tome X.

(3) La musique d'Orlande de Lassus, comme on peut le supposer d'après ce titre d'un dialogue entre la France, la Paix et la Prospérité (op. de Dorat, fo 2, ro):

Dialogus ad numeros musicos Orlandi.

Orlande était arrivé en 1571 de Bavière à Paris, où sa réputation l'avait fait accueillir avec les plus grands honneurs par les musiciens français. En 1572, Ronsard, dans une Préface sur la Musique adressée au roi Charles IX, l'appelait « le plus que divin Orlande ». (Cf. édition Bl. VII, pp. 337 et 340, et Rev. d'Hist. Littéraire de la France, no de juillet 1900, art, de C. Comte et P. Laumonier, pp. 352 et 353).

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