Cependant, comme s'il était pris d'un remords subit, il se demande, arrivé là, s'il ne doit pas laisser le Lude de côté et marcher droit sur Rochebandée, à travers les terrains sablonneux qui le séparent des coteaux de la Grifferie.

L'incertitude de son cours est manifeste à 3 ou 400 mètres au-dessus de Malidor,

et par le chemin le plus direct jusqu'à Malidor, c'est-à-dire jusqu'à la porte du Lude.

Mais son parti est bien vite pris et, comme s'il éprouvait un regret de son hésitation momentanée, il revient un peu sur lui-même, s'incline doucement à gauche et repart majestueusement vers le château auquel il prêtera volontiers tout le concours qu'on lui demandera.

C'est à ce moment qu'il rencontre, sur sa gauche, un léger exhaussement de terrain l'obligeant à décrire la courbe indiquée tout à l'heure, courbe qu'il accentuera en côtoyant le parc et lors de son passage le long du jardin bas. Poursuivant ensuite. sa route sur Rochebandée, il s'inclinera à droite. formant ainsi, en la complétant, ce que les géographes appellent la boucle du Loir au Lude.

De son hésitation au-dessus de Malidor il reste un vestige autre que celui indiqué par le commencement de la courbe dont il vient d'être question.

Entre Malidor et le Frêne, tout près de cette dernière ferme, un cours d'eau existait autrefois qui partait de là pour traverser les villages de la petite et de la grande Malfrairie, passait au-dessous du hameau de la Cave, puis aux pieds de la curieuse habitation bàtie par la vieille famille Dupont des Aubevoies, pour aller rejoindre à Rochebandée le Loir qu'il avait abandonné sur une distance de plusieurs kilomètres.

Personne n'a jamais connu l'importance de ce cours d'eau qui est désigné, depuis un temps immémorial sous le nom de Vieur-Loir, et qui est devenu de nos jours un bien mince ruisselet dont le lit disparaît, même en hiver, sur un grand nombre de points.

Il n'en est pas moins vrai que, pour tout bon Ludois ayant des racines dans le pays, ce cours d'eau possède dans son passé une page glorieuse qui mérite d'être rappelée et transmise de génération en génération.

Le Vieux-Loir, dit la tradition, c'est l'ancien lit du Loir dont le cours a été modifié et détourné sur

l'ordre des puissants seigneurs du Lude. Ceux-ci avaient besoin des eaux de la rivière pour remplir les fossés du château et la rivière violentée dut subir le joug imposé par la force.

D'après l'opinion des anciens habitants du Lude, opinion parvenue jusqu'à nous, la boucle du Loir ne serait donc que le résultat d'un travail humain, et le Vieux-Loir nous indiquerait la trace du cours ancien et régulier de la rivière.

Cette manière de voir ne date pas d'hier elle avait déjà cours il y a 450 ans ! Et même, à cette époque reculée, elle passait généralement pour fort ancienne (1).

Nous voilà du coup transportés aux premiers temps. de l'existence du château, sinon à son berceau.

Pour y arriver, le chemin à parcourir est bien un peu long, mais la difficulté n'est pas insurmontable et ceux qui aiment à remonter à l'origine des choses ne se laissent pas arrêter par un semblable obstacle.

Si ancienne qu'on la suppose, en effet, du moment où l'on met les seigneurs du Lude en cause, cette opinion ne saurait échapper aux moyens d'investigation dont on dispose de nos jours, et il n'est nullement impossible de vérifier si elle repose sur une base sérieuse ou si, au contraire, elle n'est que l'expression d'une légende, comme quelques esprits avisés le croyaient déjà au XVe siècle (2).

Un peu de logique nous permettra d'atteindre le

but.

Nous avons la preuve que, dès la fin du XIe siècle, le Loir coulait aux pieds du château. Le fait est positivement établi dans un acte de vente passé à cette

(1) Nous l'avons trouvée ainsi exprimée dans une pièce du XV siècle faisant partie d'un dossier constitué en vue d'un curieux procès pour droit de pêche.

Archives non classées du Lude.

(2) Le mot se trouve dans la pièce que nous avons eue sous les