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Ode sur le temps.

Le compas d'Uranie a mesuré l'espace.

O temps! être inconnu, que l'âme seule embrasse, Invisible torrent des siècles et des jours,

Tandis que ton pouvoir m'entraîne dans la tombe, J'ose avant que j'y tombe,

M'arrêter un moment pour contempler ton cours.

Qui me dévoilera l'instant qui t'a vu naître ?
Quel œil peut remonter aux sources de ton être ?
Sans doute, ton berceau touche à l'éternité.
Quand rien n'était encore, enseveli dans l'ombre
De cet abîme sombre,

Ton germe y reposait, mais sans activité.

Du chaos, tout à coup, les portes s'ébranlèrent:
Des soleils allumés les feux étincelèrent :
Tu naquis; l'Éternel te prescrivit sa loi.

Il dit au mouvement: « Du temps sois la mesure. »
Il dit à la nature :

<< Le temps sera pour vous, l'éternité pour moi. »

Dieu! telle est ton essence. Oui, l'océan des âges Roule au-dessous de toi, sur tes frêles ouvrages, Mais il n'approche pas de ton trône immortel. Des millions de jours, qui l'un l'autre s'effacent, Des siècles qui s'entassent,

Sont comme le néant, aux yeux de l'Éternel.

Mais moi, sur cet amas de fange et de poussière,
En vain, contre le temps, je cherche une barrière;
Son vol impétueux me presse et me poursuit :
Je n'occupe qu'un point de la vaste étendue;
Et mon âme éperdue

Sous mes pas chancelants voit ce point qui s'enfuit.

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De la destruction tout m'offre des images:
Mon œil épouvanté ne voit que des ravages;
Ici, de vieux tombeaux que la mousse a couverts;
Là, des murs abattus, des colonnes brisées,

Des villes embrasées;

Partout, les pas du temps empreints sur l'univers.

Cieux, terres, éléments, tout est sous sa puissance.
Mais tandis que sa main, dans la nuit du silence,
Du fragile univers sape les fondements;

Sur des ailes de feu, loin du monde élancée,
Mon active pensée

Plane sur les débris entassés par le temps.

Siècles qui n'êtes plus, et vous qui devez naître;
J'ose vous appeler : hâtez-vous de paraître;
Au moment où je suis, venez vous réunir.
Je parcours tous les points de l'immense durée,
D'une marche assurée,

J'enchaîne le présent, je vois dans l'avenir.

Le soleil, épuisé dans sa brûlante course,
De ses feux par degrés verra tarir la source;
Et des mondes vieillis les ressorts s'useront.
Ainsi que les rochers qui, du haut des montagnes,
Roulent dans les campagnes,

Les astres l'un sur l'autre un jour s'écrouleront.

Là, de l'éternité commencera l'empire;

Et dans cet océan, où tout va se détruire,

Le temps s'engloutira comme un faible ruisseau. Mais mon âme immortelle, aux siècles échappée, Ne sera point frappée,

Et des mondes brisés foulera le tombeau.

Des vastes mers, grand Dieu! tu fixas les limites: C'est ainsi que des temps les bornes sont prescrites.

Quel sera ce moment de l'éternelle nuit?

Toi seul, tu le connais; tu lui diras d'éclore ·
Mais l'univers l'ignore :

Ce n'est qu'en périssant qu'il en doit être instruit.

Quand l'airain, frémissant autour de vos demeures,
Mortels, vous avertit de la fuite des heures,
Que ce signe rapide épouvante vos sens;
A ce bruit tout à coup mon âme se réveille;
Elle prête l'oreille,

Et croit de la mort même entendre les accents.

Trop aveugles humains, quelle erreur vous enivre! Vous n'avez qu'un instant pour penser et pour vivre, Et cet instant qui fuit est pour vous un fardeau? Avare de ses biens, prodigue de son être,

Dès qu'il peut se connaître,

L'homme appelle la mort, et creuse son tombeau.

L'un, courbé sous cent ans, est mort dès sa naissance;
L'autre engage, à prix d'or, sa vénale existence;
Celui-ci la tourmente à de pénibles jeux.
Le riche se délivre, au prix de sa fortune,
Du temps qui l'importune;

C'est en ne vivant pas que l'on croit vivre heureux.

Abjurez, ô mortels, cette erreur insensée.
L'homme vit par son âme, et l'âme est la pensée :
C'est elle qui pour vous doit mesurer le temps.
Cultivez la sagesse; apprenez l'art suprême
De vivre avec soi-même;

Vous pourrez sans effroi compter tous vos instants.

Si je devais, un jour, pour de viles richesses,
Vendre ma liberté, descendre à des bassesses;
Si mon cœur par mes sens devait être amolli;

O temps! je te dirais : « Préviens ma dernière heure:

Hâte-toi que je meure!

J'aime mieux n'être pas que de vivre avili. »

Mais si de la vertu les généreuses flammes
Peuvent, de mes écrits, passer dans quelques âmes;
Si je puis d'un ami soulager les douleurs;
S'il est des malheureux dont l'obscure innocence
Languisse sans défense,

Et dont ma faible main doive essuyer les pleurs :

<< O temps ! suspends ton vol, respecte ma jeunesse !
Que ma mère, longtemps témoin de ma tendresse,
Reçoive mes tributs de respect et d'amour!
Et vous, Gloire, Vertu, déesses immortelles,
Que vos brillantes ailes

Sur mes cheveux blanchis se reposent un jour!»

(Odes.)

MALFILATRE.

MALFILATRE (JACQUES-CHARLES-LOUIS) naquit à Caen le 8 octobre 1733. En sortant du collège, il concourut pour le prix de poésie proposé par l'Académie de Rouen, qui lui décerna quatre fois la couronne. Le succès immense qu'obtint son ode intitulée Le soleil' fixe au milieu des planètes, le détermina à quitter la province. A son arrivée à Paris, un libraire nommé Lacombe s'établit son protecteur et devint bientôt son ami: ce fut lui qui conseilla à Malfilâtre de traduire Virgile. Cette entreprise ne fut pas heureuse, mais le livre se vendit, grâce au zèle et à l'activité du libraire. A la mort de Lacombe, survenue peu de temps après, Malfilâtre se trouva dans la plus grande détresse; la misère en peu de temps épuisa ses forces. Pour échapper à ses créanciers, il se retira à Chaillot sous le nom de La Forêt; il espérait pouvoir y corriger en paix son poëme de Narcisse, mais la mort le surprit au milieu de ce travail. Quelque imparfait que soit resté son poëme, on y reconnaît cependant l'œuvre d'un poëte, et la touche ferme, élégante et pure d'un écrivain appelé à prendre rang parmi les auteurs du premier ordre.

Malfilâtre mourut le 6 mars 1767.

Le soleil fixe au milieu des planètes.

L'homme a dit : « Les cieux m'environnent,
Les cieux ne roulent que pour

moi :

De ces astres qui me couronnent
La nature me fit le roi :
Pour moi seul le soleil se lève;
Pour moi seul le soleil achève
Son cercle éclatant dans les airs;
Et je vois, souverain tranquille,
Sur son poids la terre immobile
Au centre de cet univers.

Fier mortel, bannis ces fantômes,
Sur toi-même jette un coup d'œil.

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