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terre qu'afin d'y pouvoir conspirer plus à l'aise contre leur légitime souverain. Les ministres anglais prouveront à cette occasion combien le Cardinal de Granvelle les avait jugés sainement, en disant un jour au due d'Albe, que tant que Cecil vivrait, il n'y aurait rien à faire avec l'Angleterre. Ils se retranchèrent derrière les octrois et privileges accordés aux étrangers disant qu'ils n'y pouraient rien changer. C'était vrai sous le règne d'Elisabeth, mais cela n'avait point été le cas sous le règne de sa sœur Marie, et cela seul suffit pour mesurer l'abîme qui sépare ces deux souveraines et met tout le bien d'un côté et tout le mal de l'autre.

Wallons et Flamands ne s'y trompent pas. Ils restent oû ils se trouvent, où leur travail suffit à leurs besoins. Il faut les féliciter, car les tentations ne leur firent point défaut. Les échos de la terre natale venaient jusqu'à eux; c'est ainsi qu'ils entendirent parler du pardon du roi Philippe II, de la Pacification de Gand, de l'Union de Bruxelles qui eurent á tour de rôle un si triste lendemain, et ils ne s'en émurent pas plus que de raison. Pour eux comme pour nous le règne de Dieu ne pouvait s'établir solidement en des lieux si longtemps voués à l'anarchie, où les mauvaises passions grondaient sourdement, où le clergé catholique se mettait à la tête d'une confédération d'Arras où l'on remisait le glaire du bourreau pour aiguiser tout à son aise les poignards bien pensants, où une noblesse ruinée et corrompue ne demandait qu'à se vendre au plus offrant, où des bandes des mercenaires préféraient aux hasards de la guerre les profits plus certains des pillages et des

massacres.

L'Angleterre, fort heureusement pour elle, était à l'abri de semblables avantures. Loin d'en sortir, on y arrivait toujours. Ceux qui font le contraire se comptent. Nicolas Bernard, gentilhomme tournaisien, repondit en 1572 à l'appel du Prince d' Orange laissant à Londres sa femme, Barbe de Châtillon, à l'abri du besoin. Il s'embarque sur le navire de Lancelot de Bréderode et assiste à la conquête de la Brille.

Comme il était familier avec le métier des armes, et qu'il avait donné des preuves de résolution et de bravoure, on fit de lui un capitaine des Gueux. Il retourne en Angleterre et en revient bientôt avec Hopman Eloy à la tête de cinq cents Anglais. Il tente avec eux, mais sans succès, la conquête de Middelbourg. Il prend sa revanche en s'emparant, le 3 Août 1573, de Rammekens et en relevant par là les affaires du Taciturne et le courage de ses partisans. J'ai raconté dans la Biographie nationale de Belgique ses autres prouesses, pas toutes sans doute, et ne puis ici que répéter, d'après le pasteur

van Groningen, auteur d'une Histoire des Gueux de Mer, le souhait que le nom du brave capitaine Bernard arrive encore à une plus grande célébrité.1 Quelques réfugiés s'étaient joints à lui en 1572. L'un d'eux, le tournaisien Adrien de Favarques, Seigneur de La Haye, banni sur la hart par le Conseil des Troubles, fut fait prisonnier à l'affaire de Westsoubourg par le colonel espagnol de Beauvoir, qui vit aussitôt qu'il n'était point de la trempe de ceux qui disaient avec Marnix: "Regardons notre devoir et fions nous à Dieu,” et agissaient en conséquence.

Il proposa au duc d'Albe de lui faire grâce de la vie et de l'employer comme espion, ce qui fut fait, puisque, entre autres preuves, nous trouvons qu'en 1578 le duc de Parme lui fait compter mille écus, sans doute pour quelque vilaine et ténébreuse besogne.2 Sa confession est trop longue pour être rapportée ici. J'en extrais seulement ce qui concerne son séjour en Angleterre. "Il dit être venu à Londres pour y rejoindre sa sœur marieé à un François Maréchal, Artésien, auparavant fixé à Werwicq (? Warwick.) Il était là depuis cinq à six semaines, quand il se mit en un navire équipé à Londres en compagnie d'un Nicolas Bernard, gentilhomme natif de Tournay, et quelques autres avec lesquels il avait débarqué à Flessingue."

Heureusement que pour un banni qui trahit il y en a cent qui se dévouent sans arrière pensée. Ces derniers ne sont pas

tous des soldats. Jean van den Driesche, d'Audenarde en Flandre, faisait ses études à Louvain quand son père, qui était un zélé réformé, dut se sauver en Angleterre où sa femme, demeurée catholique, refusa de le suivre. Le jeune van den Driesche, mis en demeure de choisir si entre son père et sa mère, n'hésita point.

Il partit pour Londres où son père, qui était un membre influent de l'église flamande, trouva moyen de lui faire pour suivre ses études à Cambridge. Si remarquablement doué était ce jeune homme qu'à vingt deux ans il fut déclaré apte à professer les langues orientales. L'université de Cambridge voulut le garder, celle d'Oxford voulut l'avoir; il opta pour cette dernière, et lui resta attaché jusqu'en 1576. A se momentlà les Etats généraux des Pays Bas venaient de décréter la liberté de conscience sous le nom de Pacification de Gand, et, se trouvant sans argent, avaient chargé François de Halewyn,

1 Geschiedenis der Watergeusen. Leyden 1840, p. 151. Biographie nationale de Belgique, II. pp. 275-276.

2 Ch. Piot. Correspondance du cardinal de Granvelle. v. VII. p. 559. 3 J. van Vloten. Nederlands Opstand tegen Spanje. (1572-1575.) Bylage. VI. p. xxii.

seigneur de Severeghem, grand bailli d'Audenarde, de conclure en Angleterre un emprunt de vingt mille livres sterling. Le malheur voulut que ce gentilhomme, aussi insinuant que fourbe, ayant rencontré à Londres van den Driessche père, abusa de sa position de grand bailli d'Audenarde pour faire briller à ses yeux la possibilité de rentrer en possession de ses biens. Le père et le fils, également charmés, s'embarquérent avec lui et eurent tout lieu de s'en repentir. Ils se trouvèrent plus pauvres qu'avant, mais Jean van den Driessche ou Drusius, comme l'on disait alors, étant déjà célèbre comme orientaliste, fut sollicité de divers côtés et accepta une chaire dans l'université de Leyde récemment fondée. S'il abandonna cette position au bout de neuf ans, en 1589, c'est que de sa femme, Marie vander Varent, de Gand, il avait trois enfants, et que ses gages ne lui permettaient point de suffire aux besoins de sa famille. Pour quelques centaines de florins de plus il se rendit comme professeur à Franeker et jeta un grand lustre sur l'école de cette ville. Il termina ses jours en Hollande. Peut être aurait il mieux fait de ne point s'y rendre, car les querelles théologiques entre Arminiens et Gomaristes empoisonnérent ses derniers jours. En tout cas il n'oublia pas Ï'Angleterre. Ce qui le prouve surabondamment, sont les termes dans lesquels, le 1er Août 1591, il dédia l'un de ses doctes écrits à Sir Thomas Bodley qu'il avait connu à Oxford, qui était alors ambassadeur de la reine Elisabeth à La Haye et devait s'illustrer plus tard comme fondateur de la Bibliothèque Bodléëinne. Il n'avait qu'un fils qui promettait beaucoup il l'envoya en Angleterre où il mourut bientôt après à Chichester dans la maison du doyen Thorne qui l'avait pris en grande affection.1 L'histoire de cette famille flamande porte avec soi son enseignement. Frappée de confiscation totale parceque son chef avait rempli la charge d'ancien dans sa ville natale, toutes les tentatives qu'elle fit dans la suite pour rentrer en possession de ses biens eurent pour conséquence d'aggraver sa position. C'est que les promesses de pardon et d'oubli et de restitution des biens de la part des Espagnols n'ont jamis été que fourberie et mensonge, excepté pour les porteurs de grands noms auxquels on arrivait assez facilement, hélas, à imposer la honte d'une abjuration solennelle. Le calcul qui avait inspiré ce système se trouva être mauvais noblesse des Pays Bas se deshonora sans profit pour l'Espagne, parceque les citoyens les plus utiles parmi ceux qui avaient émigré, c'est à dire les industriels, les marchands, les artistes

la

1 Abel Curiander. Vita Joannis Drusii, 1618, Iv. 40. Ed. van Cauwenberghe. Lettres sur l'histoire d'Audenarde. Audenarde s. d. pp. 185 a 195.

et les savants, se gardérent bien de suivre son exemple. Il ne faut donc pas s'étonner que l'aristocratie flamande où wallonne ne joue pour ainsi dire aucun rôle dans les refuges d'Angleterre. Ceux qui y restent ne se privent cependant pas d'observer ce qui se passe sur leur terre natale. Le prévôt espagnol de la ville d'Anvers en parle dans ces terines dans un rapport qu'il adresse au Conseil d'état le 20 Juin 1576: "La plus grande part des Anglois hantans ces pays cy ne sont vrays Anglois, ains natifs de ces dits pays refugiez en Angleterre pour le faict des troubles de l'an Ixvii tant d'Audenarde, Gand, Tournay que aultres quartiers, lesquels trafiquent avecq lettres desrobées et attestations faulses d'Angleterre." S'ils étaient devenus sujets anglais, ce qui est fort probable, leurs lettres n'étaient plus dérobées et leurs attestations n'étaient plus fausses, et l'on ne pouvait rien contre eux. Cela explique suffisamment pourquoi nous ne rencontrons point des noms de réfugiés belges sur les listes des réconciliés avec le roi d'Espagne. De 1578 à 1584 cependant, quand la Révolution un instant triumphante ouvre à tous les portes des Pays Bas espagnols, nous voyons quelques pasteurs et anciens des églises réformées de Londres et de Norwich profiter de l'occasion. Ce sont Hermann Modedt, Pierre Dathenus, Adrian de Sarravia, Ludovic de Heere et Jean Lamoot. Tous vont servir la cause de l'Evangile et de la science à l'Université protestante de Gand nouvellement ouverte. Ils sont trop connus, les trois premiers surtout, pour qu'il soit besoin de rien dire sur leur compte. Je m'arrête donc ici me contentant d'ajouter à ces notes une dernière observation.

À mon avis la Societé huguenote de Londres n'est encore qu' au début de sa vaste et noble entreprise, et, plus elle avancera, plus une lumière nécessaire se fera d'elle même sur les hommes et sur les choses.

J'y compte fermement et, sans doute, bien d'autres avec moi. Il y a tant d'énigmes à résoudre, de faits à élucider touchant à la politique, à la religion, au commerce et à l'industrie, tant de généalogies à dresser et à refaire, qu'on ne sait par où commencer, à quoi s'attaquer tout d'abord. Heureusement

pour elle la Société huguenote de Londres ne s'effraie point de l'énormité de cette tâche, et n'hésite point sur la voie à suivre. Ses Proceedings sont là pour nous apprendre à quel point elle a su faire son profit des expériences d'autrui. On sait ce qui s'est passé en France. En 1846 les deux frères Haag publièrent le premier volume de leur France Protestante, ce livre que nous connaissons, que nous aimons tous; son succès mérité donna naissance, cinq ans plus tard, à la Société de 1 Van Vloten Nederlands Opstand tegen Spanje. 1575-1577 Haerlem 1860. Bylage p. xci.

l'histoire du protestantisme français, et cependant en 1858, quand parut le dixième et dernier volume de l'œuvre monumentale des frères Haag, on parlait déjà de la refondre, ce qui se fit plus tard. Il s'en suit que le plus sage est de finir par où nos fréres de France ont commencé. Mais une Biographie des réformés d'Angleterre doit se faire, et je suis pour ma part tellement sûr qu'elle aura comme celle des frères Haag le caractère d'une glorieuse résurrection, qu'elle sera au sein des églises fondées au seizième siècle le point de départ d'un zèle nouveau, d'un retour aux mœurs austères et fortes de nos pères, que, dès à présent, je ressemble des notes destinées à l'histoire des réfugiés réformés d'Angleterre venues de la Flandre et du pays wallon. Les papiers et registres du Conseil des troubles, reposant aux Archives de Bruxelles m'ont déjà donné une foule de renseignements, et je compte bien ne laisser de côté aucune des sources d'information que la Belgique peut m'offrir. Ce sera ma manière de remercier la Société huguenote de Londres de l'honneur qu'elle m'a fait en m' inscrivant au nombre de ses membres honoraires.

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