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"l'Aréopagiste, et comme il est de grand auctorité, spécialement en Hollande, de bonne vie et docte qu'il annonce aussy "l'intention de se faire d'Eglise, il me semble que sa réduction "serait d'honneur et de profit."

Quelques semaines auparavant Velsius, pour avoir les mains libres, n'avait rien trouvé de mieux que d'interrompre un mardi soir le culte divin dans le temple flamand et d'insulter grossièrement les pasteurs et les assistants. Mais il avait compté sans les évêques anglicans de Londres et de Winchester qui le guettaient. Ils firent une enquête sur les faits qui lui étaient reprochés et obtinrent sans peine son expulsion du pays2.

Savait on qu'on avait affaire en lui à un espion espagnol ? C'est fort probable. Mais, ce qui est hors de doute, c'est qu' après son départ d'autres agents secrets coutinuèrent à s'occuper des Flamands et des Wallons qui témoignaient le désir de rentrer dans leur pays. On ne peut que plaindre ceux qui reçurent d'eux des passeports ou l'argent de leur passage. Ils étaient signalés aux inquisiteurs espagnols et poursuivés sans pitié dès leur rentreé dans leurs foyers. Le Sommaire du besoigné fait par M. Jacques Hessels touchant les refugiés d'Angleterre dans le quartier de la Leue et dans les environs, c'est à dire dans toute la contrée située entre la Lys et la Deule, est sur ce point le document le plus éloquent qu'il soit possible de rencontrer. Rien n'y manque, ni les roueries des moines ni la généreuse indignation de gens droits et honnètes ayant souffert pour leur foi en présence des caresses qu'on leur fait pour les décider à l'abandonner. L'inquisiteur Hessels connaissait bien le pays; il l'avait parcourru en 1555 dans tout les sens avec son collègue Titelmans à la recherche de Symphorien Desbarbieux qui passait pour être "l'un des chefs et principaux hérésiarques des hérétiques retirés en Angleterre et qu'ils finirent par prendre. Cette fois Hessels était seul, et la commission était autrement difficile et pénible puis qu'il s'agissait de retrouver et d'appréhender au corps des centaines de personnes.

Il commença par la ville de la Gorgue où il ne trouva plus François Le Candêle, qui depuis son retour de Londres avait

1 Gachard. Correspondance de Philippe II. sur les affairs des Pays Bas. Bruxelles, 1848. I. 247.

2 J. S. Burn, History of the french, walloon, dutch and foreign protestant refugees settled in England, London, 1846, p. 190.

3 Archives générales de Belgique. v. les docum. non classés de la Restitution autrichienne de 1862.

Lettre de la reine Marie de Hongrie aux Inquisiteurs de la foi Pierre Titelmans et Jacques Hessels. De Bruxelles le 11 Janvier 1554 v. s. (1555). v. Arch. génér. de Belgique. Restitution autrichienne de 1862. Farde No 47.

joué le bon catholique. À La Ventie Martin de Salengre, aussi un émigré volontaire, lui présenta un billet de confession et n'échappa à la prison qu'en déposant une caution de trois cents florins. A Flourbais il manque un certain Jean Arnoult, mais il fouille dans ses hardes et effets et y trouve un Nouveau Testament, qu'il confisque. À Sailly le brasseur Hernout, dont le curé du lieu avait fort à se plaindre, se sauva de ses mains en se jetant à la nage. A Armentières enfin, où sa visite n'avait sans doute pas été annoncée, Hessels fit tant de prisonniers qu'il ne sût où les mettre et en retácha le plus grand nombre contre écus sonnants. Il questionna par acquit de conscience aux qui lui restaient. C'est ainsi que Tassinot Balen, sa femme Marguerite Hour et Peronne van Oye, ayant appartenu tous les trois à l'église de langue française à Londres, lui racontent que la confession s'y faisait publiquement et la Sainte Cène en s'asseyant devant une table " où il y avait un pain blancq en forme ronde et deux verres de vin, ung à chascun costé."

Tous ces interrogatoires ont un cachet de sincérité indéniable, l'inquisiteur ne cachant pas les grands et petits profits qu'il fait non plus que l'audace des commères revenues d'Angleterre à lui tenir tête. L'une d'elles surtout mérite d'etre citée. Elle est déjà prisonnière, ce qui ne l'empêche pas de témoigner la plus vive indignation en apprennant qu'on a fouillé sa maison de fond en comble. "Ha, ha!, s'écrie-t-elle, vous dites "avoir trouvé chez moi des livrets infâmes, scandaleux et "blasphématoires. Eh bien, je vous jure par le Dieu vivant, " qui me jugera au jugement dernier, que ces livres ne 'm' appartiennent pas, que je ne les ai jamais vus, et que si vous les avez trouvés chez moi, c'est que vous les y aurez "apportés vous même"!

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Il faut bien l'avouer, peu d'hommes, la corde au cou, auraient osé tenir au pareil langage.

Cette femme héroïque s'appelait Jeanne de la Oultre, veuve Cornille. Sa fin, qui n'a pu être que tragique, n'est cependant rapportée nulle part, non plus que celle d'une autre prisonnière d'Armentières, Marie Damman, qui avoue qu'elle a deux filles. mariées en Angleterre, l'une ayant épousé un ministre de l'Evangile, qui de temps à autre font le voyage pour la venir voir. À Anvers où nos coreligionnaires centralisaient les renseignements concernant les choses de la religion aux Pays Bas, où Jean Crespin vint lui même de Genève à la fin de 1566 pour organiser ce service ainsi que tout se qui touchait aux impressions clandestines et au colportage de celles-ci, on ne pouvait toutefois avec la meilleure volonté du monde, tout savoir. Les

prisonniers des inquisiteurs qui nous manquent, que nous ne retrouvons ni dans les martyrologes ni dans les publications de la Société des Huguenots de Londres ou de la Société de Marnix d'Utrecht, ont sans doute été exécutés clandestinement ainsi que les placards de Charles Quint sur l'hérésie et les commissions particulières des inquisiteurs permettaient de le faire. Mon observation s'applique tout particulièrement à la Flandre gallicane. Ce pays, surtout le canton d'Armentières et le Tournésis, regorgeait à tel point de refugiés d'Angleterre, de calvinistes clandestins et même d'anabaptistes que Jacques Hessels termine le sommaire de son besoingné, en disant que le quart de la population est infectée de la doctrine nouvelle, et que six mois ne lui suffiraient pas pour mener à bonne fin son information. Il s'arrête donc, et laisse respirer nos pauvres amis qui émigreront de nouveau, et pour de bon cette fois, après avoir fait un vaillant mais inutile effort pour conquérir la liberté de conscience. Cela ne tarde guère. Ce nouvel exode en masse commence en 1566; il diffère du premier dans ce sens que ce ne sont point seulement des ouvriers que s'en vont, des nobles, des bourgeois, des savants et des artistes prennent comme eux le chemin de l'Angleterre. C'est un heureux évènement pour les refuges flamands et wallons qui vont gagner par là en force morale et en influence, c'est aussi un heureux évènement pour l'Angleterre elle-même. On peut dire sans la moindre exagération, que la reine Elisabeth a du la gloire de faire plus avec sa politique franchement anti-espagnole qu'Edouard III. avec sa politique anti-francaise et ses édits en faveur des ouvriers flamands.

Elle a tiré son pays des langes du moyen âge où il se débattait encore, et elle a réussi à grouper autour de son trône des dévouements précieux, toujours prêts à répondre à son appel, à ne rien lui refuser. Ce sont là les indiscutables miracles du génie et de tolérance religieuse, et le conseiller d'Assonleville, que j'ai déjà eu l'occasion de citer, pouvait en toute vérité écrire de Bruxelles le 30 Juin, 1566, au cardinal de Granvelle, "La royne d'Angleterre proufficte plus de Brabant, de Hollande et de la moietié de la Flandre que le roy propre." Les âmes et les corps, l'argent et les moyens de s'en servir avec profit, tout allait à elle à la fois. En 1588, quand la reine fit un emprunt pour repousser l'invasion espagnole, les Belges se distinguèrent parmi les étrangers établis à Londres qui s'empresserènt à y souscrire. Sur trente huit noms

"

Edm. Poullet. Correspondance de Cardinal de Granvelie. Bruxelles. 1877. v. I. p. 343.

cités par Burn, tous, sauf quatre italiens, sont wallons, flamands ou hollandais.1 L'historien Emmanuel Van Meteren est du nombre des souscripteurs pour une somme de cent livres sterling, ce qui était un fort joli denier quand on songe qu'il était père de douze ou treize enfants et combien grande était la valeur de l'argent à cette époque. Cet excellent homme peut être considéré comme le doyen et le chef de la colonie belge à Londres.

Né à Anvers en 1535 de parents qui professaient le Luthéranisme, il se fixa dans la capitale de l'Angleterre en 1550, y obtint le droit de bourgeoisie et continua à y résider jusqu' à sa mort, en 1612, c'est à dire que tous les évènements les plus considérables des règnes d'Edouard VI, de Marie Tudor, de la grande Elisabeth et de Jacques I. se passèrent sous ses yeux. Sa qualité de citoyen anglais lui sauva la vie en 1575. Se trouvant à Anvers pour affaires commerciales, il y fut arrêté le 2 Mai de la susdite année et três étroitement examiné par les inquisiteurs qui, en presence des démarches du résident et des consuls anglais en sa faveur, se virent obligés de le relâcher. Son cousin, le célèbre géographe Abraham Ortelius, qui s'était aussi fort employé à sa délivrance, et qui s'embarqua avec lui, fut cause qu'il continua à rédiger ses Commentaires sur les affaires des Pays Bas depuis la naissance de Charles Quint, et qu'il les publia d'abord en latin puis en flamand à Delft en 1559. Le texte flamand a été à plusieurs reprises remanié, et parmi les hommes politiques que l'aidérent dans ce travail je puis citer avec d'autant plus de certitude Chrétien Huyghens, le fidèle serviteur du Taciturne, plus tard secrétaire du conseil d'état à La Haye, que je tiens entre les mains l'original d'une lettre que Van Meteren lui écrivit de Londres le 8 Mai 1609. À ce moment une nouvelle édition flamande de son Histoire contemporaine de la Belgique ou de la Néerlande venait de paraitre à Amsterdam. Il regrette que ses corrections, destinées aux dernières feuilles, ne soyent pas parvenues à temps à Huyghens, et il s'étend longuement sur quelques lacunes involonIl s'attend à de vives attaques et se console en se disant qu'il n'écrit point pour flatter les partis mais pour instruire le peuple. Je cite ce passage pour répondre aux jugements beaucoup trop sévères d'Everard Reydanus et du

1 The History of the french, walloon, dutch and other protestant refugees settled in England. p. 11. Les noms sont presque tous estropiés mais faciles à rétablir pour peu qu'on soit familiarisé avec l'histoire des Pays Bas au 16e siècle.

VOL. IV.-NO. I.

E

chanoine Paquot L'accusation de fanatisme sectaire n'est pas davantage méritée. Je ne puis mieux y répondre qu'en rappelant l'ardeur que Van Meteren mit en 1562 à défendre le très tolérant auteur du Martyrologe flamand, Adrien van Haemstede, contre le flot hargneux de ses accusateurs. Ceux ci se vengèrent.

Ils obtinrent contre lui de l'Eglise flamande de Londres, dont il faisait partie, une sentence d'excommunication. Neuf ans plus tard, probablement plus dans l'intérêt moral de sa nombreuse famille que dans le sien propre, il demanda sa réïntégration. On lui fit des difficultés. Il avait présenté sa requête en personne au consistoire le 8 Janvier 1570, trés humblement à ce qu'il me semble; toutefois, après bien des tervigersations, on lui répondit, le 18 Mai 1571, qu'on se mettrait d'accord avec le consistoire wallon sur la réponse qu'il y aura à lui faire.1

Et voilà de quelle façon des gens, qui se tenaint sans doute pour pieux et raisonnables, traitaient un homme supérieur, leur maitre et leur guide à tous en matière commerciale, qui revenait à eux s'excusant presque d'avoir péché autrefois par esprit de justice et générosité de cœur !

J'ai cru devoir rapporter le fait, ne fût ce que pour montrer quelle singulière époque était ce grand seizième siècle où les petitesses et les rancunes irrévocables coudoyent sans cesse l'héroisme et le dévouement.

On ne peut cependant s'empêcher de l'aimer. Les hommes d'alors nous ressemblent si peu, à nous qui ne trouvons plus dans le sentiment religieux la somme d'énergie nécessaire à l'accomplissement des grandes choses, que nous ne pouvons nous empêcher de les étudier avec autant de curiosité que de sympathie.

Ce que j'ai dit d'Emmanuel van Meteren, de Jean Utenhove, de Martin Microen, je pourrais de dire de vingt autres refugiés, et, à défaut d'autre mérite, avoir celui, dont je me contente, de mettre à nu les ingratitudes de l'histoire. Par exemple quel homme complet, à la façon de Marnix, l'anversois Liévin Calewaert!

Il porte successivement avec la même désinvolture et le même succès le harnois militaire, la robe de pasteur et celle de conseiller d'état, mettant ainsi trois vies dans une. Il a combattu en 1568 le duc d'Albe avec le Taciturne; l'année suivante nous le retrouvons à Norwich desservant l'église flamande avec Hermann Modedt et Théophile Ryckewaert. C'est de

A. Kuyper. Kerkeraads Protocollen der hollandsche Gemeente te Londen 1569-1571. Utrecht. 1870. pp. 64, 238, 276, 298, 300, 303.

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