תמונות בעמוד
PDF
ePub

Regnier. Aprenons à mentir, mais d'une autre façon
Que ne fait Calliope, ombrageant sa chanfon
Du voile d'une fable, afin que fon mystére
Ne foit ouvert à tous, ny connu du vulgaire.

Aprenons à mentir, nos propos desguiser,
A trahir nos amis, nos ennemis baifer,

Faire la cour aux grands, et dans leurs anticham

bres,

Le chapeau dans la main, nous tenir fur nos mem-
bres,

Sans ofer ny cracher, ny touffir, ny affeoir,
Et nous couchant au jour, leur donner le bon-foir.
Car puisque la Fortune aveuglément dispofe
De tout, peut eftre enfin aurons nous quelque chofe
Qui pourra deftourner l'ingrate adverfité,

Par un bien incertain à taftons débité:

Comme ces Courtifans qui f'en faifant accroire,
N'ont point d'autre vertu fi non de dire, voire.

Or lafons doncq' la Mufe, Apollon, et fes vers;
Laiffons le luth, la lyre, et ces outils divers,
Dont Apollon nous flatte, ingrate frenéfié!
Puisque pauvre et quaymande *) on voit la poëfie;
Ou j'ay par tant de nuicts mon travail occupé.
Mais quoi? je te pardonne, et fi tu m'as trompé,
La honte en foit au fiecle, ou vivant d'âge en âge
Mon exemple rendra quelque autre efprit plus
fage.

Mais pour moy, mon amy, je fuis fort mal payé
D'avoir fuivi cet Art. Si j'eufle eftudié

Jeune laborieux fur un banc à l'efcole,
Galien, Hippocrate, ou Jafon, ou Bartole,
Une cornette au col debout dans un parquet,
Ators et à travers je vendrois mon caquet:
Ou bien taftant le poulx, le ventre et la poitrine,
J'aurois un beau tefton pour juger d'une urine;

Et

*) mendiant.

Et me prenant au nez, loûcher dans un baffin,
Des ragoufts qu'un malade offre à fon Médecin,
En dire mon advis, former une ordonnance,
D'un réchape f'il peut, puis d'unc revérence,
C'eft re-faire l'honnefte, et quand viendroit au point
Dire, en ferrant la main, Dame! il n'en falloit,
point.

Il eft vray que le Ciel, qui me regarda naiftre,
S'eft de mon jugement tousjours rendu le maistre;
Et bien que, jeune enfant, mon pere me tanfaft,
Et de verges fouvent mes chanfons menaffaft,
Me difant de defpit, et bouffu de colére:
Badin, quitte ces vers, et que pense tu faire?
La Mufe eft inutile; et fi ton oncle a fceu
S'avancer par cet Art; tu t'y verras deceu.
Un mesme aftre tousjours n'efclaire en cefte terre:
Mars tout ardent de feu nous menaffe de guerre,
Tout le monde trémit, et ces grands mouvements
Couvent en leurs fureurs de piteux changements.
Penfe tu que le luth, et la lyre des Poëtes-
S'accorde d'harmonie avecque les trompettes,
Les fiffres, les tambours, les canons, et le fer,.
Concert extravagant des mufiques d'enfer.

Toute chofe a fon regne; et dans quelques années,
D'un autre oeil nous verrons les fieres deftinées.

Les plus grands de ton temps dans le fang aguer
ris,

Comme en Thrace feront brutalement nourris,
Qui rudes n'aimeront la lyre de la Muse,
Non plus qu'une vielle, ou q'une cornemufe.
Laiffe donc ce meftier; et fage prends le foin
De t'acquerir un Art qui te ferve au befoin.

Je ne fçay, mon amy, par quelle préscience,
Il eut de nos deftins fi claire connoiffance;
Mais pour moi, je fçay bien que, fans en faire cas,
Je mesprifois fon diré, et ne le croyois pas,
Bienque mon bon Démon fouvent me dift le mes-

me.

Mais quand la paffion en nous eft fi extrême,

[ocr errors]

Les

[merged small][ocr errors]

Regnier. Les advertiffements n'ont ny force ny lieu;
Et l'homme croit à peine aux paroles d'un Dieu,

Ainfi me tansoit-il d'une parole efmeuë.
Mais comme en fe tournant je le perdois de veuë,
Je perdis la memoire avecque fes difcourfes,
Et resveur m'efgarai tout feul par les deftours
Des antres et des bois affreux et folitaires,
Ou la Mufe, en dormant, m'enfeignoit fes mifté

res,

M'apprenoit des fecrets, et m'efchauffant le fein
De gloire et de renom, relevoit mon deffein.
Inutile fcience, ingrate, et mesprifée,

Qui fert de fable au peuple, et aux grands de rifée!
Encor feroit ce, peu, fi, fans eftre avancé,
L'on avoit en cet Art fon age defpenfé,
Après un vain honneur que le temps nous refufe,
Si moins qu'une putain l'on n'eftimoit la Muse.
Euffe-tu plus de feu, plus de foin, et plus d'Art,
Que Jodelle n'eut oncq', des - Portes, ny Ronfard,
L'on te fera la moue, et pour fruit de ta peine
Ce n'eft, ce dira-t'on, qu'un Poëte à la douzaine,

Caron n'a plus le gouft comme on l'eut autre,
fois,

Apollon eft gesné par de fauvages loix,
Qui retiennent fouz l'Art fa nature offusquée,
Et de mainte figure eft fa beauté masquée.
Si pour fçavoir former quatre vers empouillés,
Faire tonner de mots mal joints et mal collés,
Ami, l'on eftoit Poëte, on verroit (cas eftrange!)
Les Poëtes plus efpais que mouches en vendanges

Or que dès ta jeuneffe Apollon t'ait apris,
Que Calliope mesme ait tracé tes efcrits,
Que le neveu d'Atlas les ait mis fur la lyre,
Qu'en l'antre Thefpean on ait daigné les lire;
Qu'ils tiennent du fçavoir de l'antique leçon,
Et qu'ils foient imprimés de mains de Patiffon;

Si quelqueun les regarde, et ne leur fert d'obfta- Regnier.

cle;+

Eftime, mon amy, que c'eft un grand miracle,

L'on a beau faire bien, et femer fes escrits
De civette, beinjoin, de mulc, et d'ambre gris.
Qu'ils foyent pleins, relevés, et graves à l'oreille,
Qu'ils faffent fourciller les doctes de merveille;
Ne pense, pour cela, eftre eftimé moins fol,
Et fans argent contant, qu'on te prefte un licol;
Ny qu'on n'eftime plus (humeur extravagante!)
Un gros asne pourveu de mille efcus de rente.

Ce malheur eft venu de quelques jeunes veaux,
Qui mettent à l'encan l'honneur dans les bordeaux;
Et ravalant Phoebus, les Mufes, et la grace,
Font un bouchon à vin du laurier de Parnaffe;
A qui le mal de tefte eft commun et fatal,
Et vont bizarrement en pofte en l'hofpital:
Difant, f'on n'eft hargneux, et d'humeur difficile,
Que l'on eft mesprifé de la troupe civile;
Que pour eftre bon Poëte, il faut tenir des fous,
Et defirent en eux, ce qu'on mesprife en tous.
Et puis en leur chanfon, fottement importune,
Ils accufent les grands, le Ciel et la fortune
Qui fuftés *) de leurs vers, en font fi rebattus,
Qu'ils ont tiré cet art du nombre des vertus;
Tiennent à mal defprit leurs chanfons indiscret

tes,

Et les mettent au rang des plus vaines fornettes,

Encore quelques grands, afin de faire voir,
De Mecéne rivaux, qu'ils aiment le fçavoir,
Nous voient de bon oeil, et tenant une gaule,
Ainfi qu'à leurs chevaux, nous en flattent l'espaule;
Avecque bon mine, et d'un langage doux,
Nous difent fouriant: et bien que faictes vous?
Avez vous point fur vous, quelque chanfon nou-
velle?

$ 4

J'en

fournis.

Regnier.

J'en vis ces jours paffés de vous une fi belle,

Que c'eft pour en mourir: ha! ma foy, je voy bien, Que vous ne m'aimez plus, vous ne me donnez rien,

Mais on lit à leurs yeux et dans leur contenance,
Que la bouche ne parle ainfi que l'ame penfe;
Et que c'eft, mon amy, un grimoire et des mots,
Dont tous les Courtifans endorment les plus fots.
Mais je ne m'apperçoy que, trenchant du preud'
homme,

Mon temps en cent caquets fottement je confomme:
Que mal inftruit je porte en Broüage *) du fel
Et mes coquilles vendre à ceux de Saint Michel,

Doncques, fans mettre en chere aux fottifes du
monde

Ny glofer les humeurs de Dame Fredegonde,
Je diray librement, pour finir en deux mots,
Que la plus-part de gens font habillés en fots.

*) Brouage, ville du païs d'Aunis, tres célébre par l'abondance et la bonté du fel qu'on y fait,

[ocr errors]
« הקודםהמשך »