du vieux temps, brillait le regard ou la lèvre d'une de ces reines de la mode qui ont enchanté toute une génération? L'ironie s'envolait d'ellemême, et la rêverie de l'esprit finissait par bercer et attendrir le cœur. Madame Deshoulìères a été une des reines de la mode poétique. Par sa destinée presque étrange, qui la jette subitement dans un cachot après l'avoir enivrée de louanges dans une petite cour princière, qui fait à la fois d'une belle jeune fille intelligente l'amie passagère de Condé, l'élève de Gassendi, la compagne d'une héroïne comme Philis de La Tour du Pin', amoureuse des champs de bataille et des bords du Lignon; par mille incidents romanesques, Antoinette de La Garde semblait élevée pour un rôle de véritable reine : j'entends une reine de l'esprit. Si elle n'a été qu'une favorite de la mode poétique, une muse de salon et de théâtre, qu'importe ? elle a montré dans ce rôle bien de la grâce, parfois de la sensibilité, de la mélancolie, et, ce qu'on ne sait pas assez, de la verve cavalière et galante, comme dans cette chanson d'amazone bachique, enivrée, qui fait sonner ses éperons sous la table du banquet: Ah! que chez le colonel Stoup La débauche est charmante! Quand je suis avec mes amis, Je ne suis plus malade. N'en déplaise à monsieur Chevart, Fi de ces esprits délicats, Qui, prenant tout à gauche, Et je suis aussi froide ailleurs Je m'arrête ici, et cela suffit bien. Mais qui était donc ce colonel Stoup? Nous voilà fort loin des Tircis, des Silvandres et des Damons. Ce n'est pas, à coup sûr, pour une telle poésie que Fléchier aurait envoyé, du fond de son diocèse, un gâteau de miel de Narbonne à l'illustre Amarillis. Le colonel Stoup, qui l'aurait effrayé, aurait sans doute réjoui, dans son exil, le vieux Bussy-Rabutin, et je parierais qu'il n'aurait pas déplu à madame de Sévigné dans ses jours de franchise hardie. La pièce intitulée le Songe, que nous citons tout entière, est d'un autre ton et d'un autre style. On y devine, on y rencontre, avec une surprise joyeuse, comme un lointain pressentiment de la poésie moderne. Le Songe est en effet bien plus près des Méditations que certaines pièces mélancoliques' de Parny et de Milleveie. HIPPOLYTE BABOU. A MADAME SONGE Les ombres blanchissaient, et la naissante aurore Malgré des soins cuisants, je languissais encore Dont il sait ébranler le plus ferme courage, Semblaient me dire en leur langage : Avec un assez grand plaisir, Quand un certain oiseau, plus beau que tous les autres, Et l'on rencontrait en elle Qui plaisait infiniment. Pour avoir plus longtemps le plaisir de l'entendre, Cet agréable oiseau se laissait approcher, J'avançai la main pour le prendre. Je le tenais déjà, quand je ne sais quel bruit Je suivais son vol avec soin: Soit hasard, soit adresse, Dieux! qu'il me fit aller loin! Enfin, n'en pouvant plus, il se rend je l'attrape, Et, folle que je suis, j'ai si peur qu'il n'échappe, Ce malicieux oiseau, Qui m'avait semblé si beau, Mon cœur fait sa nourriture. Ainsi, loin de goûter les plaisirs innocens Le traître n'avait plus sa première douceur, Il troublait ma raison et déchirait mon cœur. Renonçant tout d'un coup au chimérique espoir ALLEGORIE Dans ces prés fleuris Qu'arrose la Seine, Cherchez qui vous mène, Mes chères brebis. J'ai fait, pour vous rendre Ce qu'on peut attendre Tous mes soins pour vous, Et vous abandonne Aux fureurs des loups. Seriez-vous leur proie, Aimable troupeau, Vous, de ce hameau. L'honneur et la joie, Vous, qui, gras et beau, Me donniez sans cesse, Sur l'herbette épaisse, Un plaisir nouveau? Que je vous regrette! Mais il faut céder. Sans chien, sans houlette, Puis-je vous garder? Me les a ravis. En vain j'importune Le ciel par mes cris. Il rit de mes craintes; Et, sourd à mes plaintes, |