RENCONTRE AMOUREUSE Un jour, poussant un cerf, dans l'ardeur de la chasse, Des chiens et des piqueurs j'abandonnai la trace; Seul, je perce et m'égare au plus épais du bois, Je sonne, crie, et rien ne répond à ma voix; Je suis, quitte, reprends cent différentes routes, Mais rien ne s'offre à moi, rien n'éclaircit mes doutes; Enfin, sans reconnaître où me guide le sort, De la sombre forêt je rencontre le bord. Dans un petit vallon où la Seine serpente, Je vois près d'un château couler son onde lente; D'arbres sans ordre épars et de buissons touffus. Je descends, et déjà, le visage abaissé, Dans le creux de la main puisant l'eau que je baise, Je me lève, et, marchant droit au bruit qui s'augmente, Je suis d'un pas léger la rive tournoyante; Je m'approche, et, couvert de ces buissons épars, Lance, sans être vu, de curieux regards. Six nymphes, à mes yeux, d'un lin subtil vêtues Parurent, se jouant dans les ondes battues. Mais une autre plus loin, dont l'éclat les efface, Enfin, d'un jeu si doux la fortune se lasse, La troupe désolée en gémit éperdue... Dans l'onde je m'élance, et, par d'heureux efforts, De mon bras vigoureux j'atteins ce faible corps. Un gazon la reçoit étendue et pâmée... Je l'aimai, je la vis, et sa reconnaissance⚫ Qu'échauffaient mes soupirs, qu'animait ma constance, SONNET AU PAPE Pontife souverain, que, d'un commun suffrage, Ton vaisseau ne souffrit jamais un tel orage; Et le ciel à tes mains en réserve l'ouvrage. Réunis en ton sein tes enfants divisés, Confonds l'aveugle erreur des ligueurs abusés; Parle en père commun: il faut que l'on t'écoute. Arrête les torrents de tant de sang chrétien; Tu sais quel est son prix, et que sa moindre goutte Au Dieu qui s'est fait homme a coûté tout le sien. LA FARE 1644 1712 Il y a toute une lignée de poëtes qui feraient douter absolument de l'immortalité de l'âme, si la psychologie n'était qu'une science expérimentale. On ne peut songer qu'avec un sourire d'ironie à l'âme immortelle d'un Chapelle, d'un La Fare, d'un Parny, d'un Bertin. Ces épicuriens semblent tellement étrangers à l'idée d'un autre monde, qu'on les trouve presque dépaysés dans celui-ci. La nature humaine, chez eux, se réduit fatalement ou volontairement à je ne sais quel instinct d'oiseau babillard, gourmand, lascif et léger. Tant que la jeunesse dure, l'oiseau chante et picore au hasard, saisissant le plaisir au vol et jouant en plein soleil du bec et des ailes; mais quand la vieillesse arrive, il arrive souvent que la jolie créature aérienne devient tout à coup une laide bête à quatre pattes, une bête ruminante, paresseuse, immonde, attirée uniquement par l'odeur de la truffe et les miasmes du bourbier. La Fare, cet ami de Chaulieu a prouvé mieux que personne et sans effort qu'à l'abbaye d'Épicure il y a toujours eu des troupeaux et des volières: il a été de la volière, il a été du troupeau. Né dans un château du Vivarais, Charles-Auguste, marquis de La Fare, entra dans la vie par une porte brillante. Mestre de camp du régiment de Languedoc, qui avait été commandé par son père, il fut présenté au roi sous les auspices de la duchesse de Montausier, l'amie de sa famille, dans tout l'éclat de la première jeunesse : il avait à peine dix-huit ans quand il parut à la cour. Naissance, figure, agréments, relations, le jeune ambitieux avait tout pour réussir. En 1664, il fut du ballet de Vincennes; il obtint plus tard le guidon, puis la souslieutenance des gendarmes-dauphin. L'expédition de Hongrie, où il avait figuré comme volontaire, lui avait déjà donné une espèce de gloire romanesque, lorsqu'à la bataille de Senef il mérita, par sa constance héroïque, les félicitations du grand Condé la compagnie des gendarmes-dauphin, sous ses ordres, demeura exposée au feu pendant huit heures,« sans autre mouvement, dit madame de Sévigné, que celui de se presser à mesure qu'il y avait des gens tués. » A cette époque, le marquis de La Fare ne se doutait guère qu'il dût s'illustrer un jour, comme poëte épicurien, par les jolis vers de l'Ode sur la Paresse; il rêvait peut-être le bâton de maréchal, que l'avenir réservait à un de ses fils; mais la fortune le traita tout à coup comme un autre BussyRabutin. Il n'eut pas même la satisfaction d'être fait brigadier, quoique M. de Luxembourg le désirât. Le ministre Louvois, tout en reconnaissant les droits de La Fare, déclara impérieusement que « cela ne servirait de rien. » Après de telles paroles, le héros de Senef n'avait plus qu'un parti à prendre: vendre sa charge. Il la vendit en effet au marquis de Sévigné, enseigne dans sa compagnie, et quitta le service du roi, ce qui, pour un gentilhomme de son temps, était une manière de suicide. Comment La Fare avait-il encouru la haine de Louvois? Il raconte lui-même sa témérité avec un singulier détachement, dans un passage de ses Mémoires. La maréchale de Rochefort, aimée du tout-puissant ministre, et qui l'avait été aussi du chancelier Le Tellier, avait eu par malheur de la bonne volonté pour La Fare. « Ils s'imaginèrent, dit celui-ci, que j'en étais connu et mieux traité que je ne l'étais effectivement. Il y avait plus de coquetterie de ma part et de la sienne que de véritable attachement. Quoi qu'il en soit, ç'a été l'écueil de ma fortune... » Un autre, à la place de La Fare, aurait patiemment attendu la mort ou la disgrâce du ministre. Il s'imagina, l'impatient méridional, « que cet homme était immortel. » Sa conduite en cette circonstance s'explique très-bien par une réflexion de ses Mémoires : « Si le tempérament ne fait pas tout, il entre dans tout. » Le tempérament de La Fare était celui des Languedociens, qui ressemblent souvent aux créoles un mélange d'ardeur et de langueur, d'enthousiasme et d'abattement, de fougue et de paresse. Ni madame de Sévigné, ni madame de Coulanges, avec leur froide vivacité parisienne, n'avaient pu deviner le vrai caractère du marquis. « Je suis dégoûtée de la passion de La Fare, écrivait la marquise à sa fille; elle est trop grande et trop esclave. » De son côté, madame de Coulanges, qui l'avait tenu, elle aussi, pour un amoureux extravagant, et qui avait vu la grande |