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il échappe seul à la destruction, seul il fixe les regards de la postérité.

Chénier, quoique placé, comme poète, dans un rang inférieur à celui de l'Homère anglais, avait reçu de la nature une âme passionnée, une imagination forte et un talent vigoureux. Parmi ses productions poétiques, il en est plusieurs sur lesquelles l'action du temps n'aura aucun pouvoir. A ce titre, sa mémoire réclame de justes égards. Ce n'est plus Chénier qui nous occupe, c'est l'auteur de Henri VIII et de Fénelon; c'est le poète plein de verve qui a déshonoré la délation et flétri les calomniateurs ; c'est l'écrivain éloquent, le critique éclairé dont les jugements littéraires sont, en général, l'expression impartiale de la vérité et du goût.

Que n'a-t-il vécu dans ces temps heureux où l'homme de génie, maître de lui-même et de ses loisirs, se livre paisiblement à de nobles inspirations, et, citoyen d'une autre patrie, ne descend sur la terre que pour exciter des sentiments généreux? A la hau

teur où Chénier s'est élevé, au milieu du tourbillon qui l'arrachait sans cesse au doux commerce des Muses, et malgré les luttes pénibles qu'il a eues à soutenir contre ses propres passions et contre les passions des autres, on peut juger ce qu'il fût devenu dans un siècle moins agité peut-être eût-il cueilli l'une des palmes de l'épopée; peut-être se fût-il placé près de Voltaire, celui de nos grands écrivains avec lequel il a le plus de rapports et dont il a été le constant admirateur.

Cette supposition est d'autant plus admissible, que la mort a fermé prématurément sa carrière; et que, dans les dernières années de sa vie, son talent était parvenu à un point de perfection qui promettait de nouveaux chefsd'œuvre à notre littérature. Je l'ai vu familièrement à cette époque: une maladie incurable le conduisait avec rapidité au tombeau; mais nulle douleur, nulle crainte de la mort n'altéraient cette âme inébranlable, et n'affaiblissaient ses rares facultés. Affranchi de tout soin terrestre, il semblait ne vivre que dans

l'avenir, sa pensée, active, indépendante, parcourait librement les domaines de l'imagination et en rapportait des trésors précieux; desa conversation animée jaillissaient des traits de feu, des rayons de lumière qui éclairaient toutes les questions, et donnaient un grand éclat à la vérité. Les passions orageuses qui plus d'une fois égarèrent son jugement étaient alors dans le calme; il rendait justice à ses rivaux, même à ses ennemis. De toutes les accusations mensongères qui avaient troublé son repos, une seule l'affectait encore: il frémissait d'indignation à la pensée d'avoir pu être soupçonné d'indifférence au sort de son malheureux frère. Le stylet de la calomnie avait touché la partie la plus sensible de son coeur; bien qu'il eût repoussé cette atroce calomnie avec des preuves qui trompèrent complétement la rage de ses ennemis, la blessure s'est rouverte par intervalles jusqu'à son dernier soupir.

Chénier parlait avec quelque plaisir des services qu'il avait rendus ; il était resté sans prévoyance contre l'ingratitude. La Harpe

persécuté trouva un défenseur dans l'homme qui fut long-temps l'objet de ses critiques passionnées. L'infortune des hommes distingués par leurs talents ou par quelques brillantes qualités affectait cette âme si énergique: il n'avait de courage que contre ses propres malheurs. Avare de son estime, constant dans ses affections, il eut des amis qui sont restés fidèles à sa mémoire.

Tel fut Chénier dans sa vie privée; sa vie publique appartient à l'histoire. C'est en så qualité de critique que je vais le considérer. Son Tableau historique de la littérature française depuis 1789 est peut-être l'effort le plus étonnant de son esprit. Conçu et exécuté à l'époque où il luttait contre les souffrances physiques les plus vives, cet ouvrage paraît le résultat d'une méditation profonde, d'un jugement calme, et d'un goût parfait. Dans ce travail immense, il trace d'abord, à la tête de chaque genre, l'aperçu rapide des progrès de l'art jusqu'à la période où commencent ses observations. Ces points lumineux éclairent sa route. Il soumet ensuite à une revue générale

III.

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ment impartiale les productions du même genre qui ont été publiées depuis 1789, et qui ne paraissent pas indignes de l'attention publique. L'importance des ouvrages sert de mesure à l'étendue des réflexions. On aurait pu craindre quelque partialité dans ses décisions, mais il avait un sentiment trop exquis du vrai et du beau pour ne pas les reconnaître et les admirer partout où ils frappaient ses regards. Les renommées de circonstance, l'exagération des succès obtenus à la faveur de l'intrigue ou de l'esprit de coterie, n'exerçaient aucune influence sur ses jugements. Jamais critique n'eut une conscience littéraire plus inflexible et plus irréprochable.

Lorsqu'un ouvrage lui paraît digne d'éloge, il loue avec effusion de coeur ; alors il devient éloquent, et ne reste point inférieur à son sujet. Voyez, par exemple, comme il s'élève en parlant de cet admirable roman de Corinne qui, sous plus d'un rapport, soutient le parallèle avec la Julie de Rousseau.

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