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tielle au reste, de vérité que comporte cette reconstruction, est et demeure saisissante. Il ne faut pas chercher ailleurs le portrait ricanant et tragique du satiriste que fut Swift. Mais le Swift familier, au repos, l'humoriste simplement enjoué, le moraliste érudit et clairvoyant, l'ami sûr et affectueux tel qu'il se montre à nous dans les Lettres et dans les mémoires de quelques intimes, a été complètement omis par Taine, de qui l'on pourrait croire seulement qu'il l'ait volontairement exclu s'il faisait mention des textes essentiels où Swift nous paraît tel, ce qu'il ne fait point. Il est à remarquer que Taine contrairement à son habitude a mieux réussi à faire de Swift un portrait séparé, sans attaches avec le milieu, qu'à le replacer dans son cadre naturel. Des passions mêmes de Swift, Taine nous montre l'intensité mais non ou très peu le développement, l'origine, les liens avec les circonstances; il nous commente avec force la fureur du « Drapier > sans nous montrer rien de l'Irlande. Une réflexion pénétrante nous explique tout le jeu de la politique anglaise, mais dans l'abstrait. Et c'est seulement à la fin, en rattachant au « fond de la race» cette profondeur de désirs » qui lui paraît caractériser Swift, que Taine satisfait à la théorie des milieux, mais en passant, et comme par artifice. L'étude est systématique, mais elle n'est objective qu'en apparence; par sa véhémence et son lyrisme, elle appartient donc bien à la période romantique de la critique swiftienne, dont elle est la production la plus éclatante.

Ce romantisme qui se perpétue jusque de nos jours1, peut du reste s'allier à l'esprit de recherche, à des scrupules d'érudit; CHURTON

1 Par exemple dans les pages consacrées à Swift des « Etudes et Réflexions d'un pessimiste », de Challemel-Lacour (Paris, Charpentier, 1901), p. 128-139. On retrouve là toute la véhémence, toute la rhétorique brillante et l'éloquence amère de la critique romantique, avec les mêmes jeux d'antithèses et les mêmes échos de légendes populaires : « Il rampe et il injurie, il lèche et il souille, il a peur et il fait peur, il a des contorsions de clown prenant des formes d'araignée et de chauve-souris pour faire rire; et aussitôt après... il se choisit une victime, il l'insulte, il la bat, il la mord, il lui lance pêle-mêle à la tête tout ce qui est à sa portée et, semblable à certains singes, lorsque les cailloux lui manquent, il empoigne ses propres ordures et s'en fait contre l'ennemi un dernier projectile », etc. p. 129 : « Lui qui était né avec les goûts et la bravoure d'un soldat..., il fut obligé, la mort dans l'âme, de refuser une commission de capitaine de cavalerie pour prendre la soutane »; p. 134. Mais les réflexions sur la politique et l'action dégradante qu'elle a sur les hommes sont intéressantes par leur sincérité et par leur note personnelle.

COLLINS1, qui crut avoir trouvé de l'inédit2 et qui refit, pour son propre compte, une petite découverte, ajoute peu aux connaissances positives sur l'histoire de Swift, et sa prétention de «faire enfin entendre la vérité » aboutit surtout à une sorte d'apologétique, très lyrique, elle aussi, et en partie inconséquente. C'est au point de vue moral que se place délibérément Collins et de ce point de vue qu'il veut combattre un odieux préjugé: Swift loin d'être le monstre d'hypocrisie et de cynisme que l'on s'est plu à voir en lui; («< The popular estimate of Swift » Ch. II), avait une conscience pure et un cœur admirable. Collins, plus que personne au XIXe siècle, se pose en défenseur de Swift, annonce, dès le début, sa « réhabilitation ». L'ardeur combative de Collins a pourtant son mérite et introduit dans le récit, comme dans la critique, le mouvement et la vie, sinon l'intérêt, d'une révélation. Ce beau dessein d'apologie souffre du reste et surtout vers la fin, d'une certaine inconséquence: Collins, emporté par sa fougue, en arrive à plusieurs reprises à se contredire gravement, et à peindre sans le vouloir son héros sous des couleurs plus sombres que n'avaient fait les Jeffrey ou les Thackeray: il fait de lui un « Méphistophélès », un Titan, le symbole vivant de « toute la laideur et toute la discordance» du monde des Titans. Il répète au sujet de sa « philosophie » les épithètes de « fausse, basse, ignoble ». Il est vrai que Collins veut ménager un contraste et va poser en regard de toutes ces ignominies, les plus fortes et pures vertus. Swift est une antithèse. Lumière et ténèbres. Bassesse et héroïsme. C'est la formule dernière à laquelle aura abouti tout ce développement de la critique romantique. Collins nous présente dans ce dualisme

1 L'étude de Collins parut sous une première forme dans deux articles de la Quarterly Review, janvier-avril 1882, et surtout juillet 1883 (où, avant d'entrer en matière, il porte un jugement rapide sur l'œuvre de Craik, à qui il reproche, lui aussi, sa « rhétorique », et sur celle de L. Stephen, de qui il blâme l'attitude si peu sympathique à l'égard de Swift), puis en un volume in-8° « Jonathan Swift, a biographical and critical study », London, 1893.

2 Il crut avoir découvert les emprunts faits par Swift dans Gulliver (part II, Brobdg., ch. 1) au « Mariner's Magazine » de Sturmy, 1684, p. 15-16; mais déjà Knowles avait signalé le fait et cité le texte en 1868 dans « Notes and Queries (4th series, I, 223).

Churton Collins fait de nombreuses et hardies suggestions, même quand les preuves à l'appui sont minces: par exemple (p. 42) en ce qui concerne la date de composition de la «Bataille des Livres » par rapport à celle du << Tale of a Tub ». Il place la Bataille après le Tale et considère les « Digressions de celui-ci comme des épisodes en quelque sorte détachés de la Bataille des Livres.

L'ANTITHÉTISME ET SES DEGRÉS

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rigoureux la clé des énigmes swiftiennes. Cette explication dramatise tout et elle réduit tout: les problèmes se résolvent en se posant. Heureusement, cette inspiration ne se manifeste à travers le livre qu'aux instants graves, elle ne reparait guère qu'à la manière d'un leitmotiv. Ailleurs, quand l'auteur n'a rien à révéler, mais que seulement il rapporte et traduit, souvent il excelle. Tout l'exposé de la vie politique de Swift à Londres est d'une clarté et d'un relief frappants. De plus, le goût naturel de Collins pour les oppositions lui fait parfois saisir les complexités véritables, et le premier il a su présenter les aspects variés de la vie de Swift: les années affairées de Londres et les loisirs rustiques de Laracor, le grave ami de Harley et l'ami facétieux de Sheridan à Quilca. C'est là le mérite le plus net de Collins; on lui doit d'avoir apporté, par sa sincérité, une lumière assez pénétrante sur l'ensemble de l'œuvre et de la vie ainsi que sur des points de détail1.

Cette conception « antithétiste » du génie de Swift, qui apparaît comme le dernier stade du « romantisme Swiftien », se retrouve assez curieusement de nos jours chez d'autres que chez Collins; il serait futile, un peu puéril, de s'attacher à la relever, dans des opuscules ou des essais sans valeur. La matière romanesque contenue dans la

1 Ch. Collins a fait un exposé méthodique et utile du débat sur le mariage secret (surtout Quart. Rev., 1883); il a le premier tiré parti du « Journal de Swift à Holyhead » que Craik avait dû réléguer dans l'appendice de sa 2e édition (1894, vol. II); il a tenté le premier une très rapide histoire des sources biographiques de la vie de Swift et des études swiftiennes ; il a accordé à Sheridan une confiance excessive et, comme tant d'autres, méprise Mrs Pilkington, tout en utilisant à l'occasion ses témoignages (Prédilection de Swift pour Hudibras); il réagit heureusement contre l'injustice de l'opinion à l'égard de Monck-Mason et le place, malgré sa méthode qui l'irrite, au premier rang des historiens pour la sûreté, la précision, la vigueur de l'argumentation et la conscience impartiale.

Citons cependant, par curiosité, un exemple: le « Swift » de Max Simon, Paris, 1893, in-12o, où l'antithétisme se montre sous la forme aiguë: « Comme je viens de le dire, on ne saurait faire un pas dans la vie de l'illustre écrivain sans rencontrer une antithèse. Antithèses dans son caractère, antithèses dans les événements que lui trace une destinée fatale, antithèses partout. » Suivent « quelques exemples pris ici et là au hasard » :

<< Irlandais, au moins par le lien de sa naissance, il proteste qu'il n'est pas de ce vil pays, et sa destinée le force à y vivre et à y mourir ».

« Il esquisse à l'Université la satire du Conte du Tonneau, et c'est à peine

s'il peut obtenir le bonnet de docteur ».

« Aimant passionnément la liberté, il est toute sa vie attaché au parti Tory, le représentant par excellence des idées autoritaires ».

tradition swiftienne a été à plusieurs reprises dégagée, et traitée à part, comme un thème de pure fantaisie, tantôt avec une certaine verve comme dans l'étrange « Stella et Vanessa » de Léon de Wailly1, tantôt, et, presque toujours avec emphase ou niaiserie 2. De tels écrits témoignent de la popularité du sujet, et de la force de persistance des plus oiseuses légendes. Ils montrent aussi, du moins de nos jours, l'épuisement de la critique purement impressionniste et commentatrice.

« Confident intime, ami des ministres, il obtient tout pour autrui et ne peut arriver à l'épiscopat. »

« Haïssant, comme il le dit lui-même, cet animal qu'on appelle l'homme, il meurt en fondant un hôpital de fous. », etc.

Cf. aussi le Swift de Sophia Shilleto Smith, Londres, 1910.

1 Léon de Wailly, « Stella et Vanessa », Hachette, 1855. Ingénieux récit, aussi peu fastidieux qu'il pouvait l'être, des amours de Swift, où est préservé à peu près l'ordre naturel des faits, mais non la vérité des caractères qui sont tous plus ou moins travestis par un procédé humoristique bizarre et assez inconséquent. Une image symbolique (Swift jouant avec le feu) introduite au début puis rappelée à la fin semble vouloir donner au récit une unité, en même temps que fournir une clé à l'énigme.

Par exemple le « Swift. The mystery of the Life and Love », par James Hay, qui ne renonce pas, pourtant, à toute prétention historique), Londres, 1891, ou encore un certain « Jonathan Swift. A novel » anonyme, Londres, 18.., et bien d'autres.

4o PÉRIODE

RECHERCHES OBJECTIVES ET SCIENTIFIQUE MISE AU POINT.

Aussi bien, le besoin ardent de vérité qu'avaient éprouvé autrefois les Nichols et les Mason, fut-il ressenti de nouveau; après les brillantes méditations ou les violentes diatribes romantiques du premier tiers ou de la première moitié du xixe siècle, l'érudition et l'esprit de recherche redevinrent en honneur et inspirèrent de nouveaux efforts sur des points précis.

Un hasard fit que ce furent les médecins qui revinrent les premiers aux recherches: en 1835, les sous-sols de la cathédrale de Saint-Patrick ayant été inondés, on commit l'acte sacrilège 1 d'ouvrir les ca veaux, de violer la tombe de Swift et de Stella, de faire subir au crâne de Swift, déjà ouvert une fois en 17452, un second examen phrénclogique. Chaque médecin proposa une explication différente des anomalies apparentes de ce crâne; le Docteur Houston 3, mettant en évidence l'inégalité d'épaisseur surprenante des parois, et les marques profondes des artères de la dure-mère sur la voûte cranienne, conclut à une constitution anormale du cerveau, à une affection cérébrale chronique; Həmilton remarque les mêmes «< insuffisances phrénologiques; le

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1 Dr Bucknill, « Brain », janvier 1882: « the vandal desecration in 1835 ». 2 A la mort de Swift, le crâne fut ouvert par M. Whiteway, en présence du Dr Nichols, chirurgien en chef (surgeon general) de l'hôpital Steevens et du Dr Battar, tous deux mentionnés dans le testament de Swift. Mr. John Whiteway, le fils cadet de Mrs. Whiteway, étudiant en chirurgie du vivant de Swift, avait reçu de lui par testament la somme de 100 livres pour prendre ses grades (to qualify as a surgeon). Le crâne de Swift, nous apprend le Dr Lyon (notes MSS. de l'exemplaire d'Hawkesworth), était rempli d'eau dans le sinus (the sinus of his crane being loaded with water »).

Phrenological Journal, Aug. 16, 1835.

• Ibid. Sept. 1835: «Although the skull, phrenologically considered, might be thought deficient, yet its capacity was very great ».

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