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3o PÉRIODE

ÉLABORATION ROMANTIQUE

MONCK-BERKELEY

Dans les Literary Reliques1 qu'il publia en 1789, George MonckBerkeley2 livrait d'abord au monde de l'inédit : un groupe de lettres assez disparates de personnages illustres, depuis celles de Charles II et de Jacques II jusqu'à celles de la reine de Bohême, assemblées assez bizarrement avec des fragments de la correspondance du grand Berkeley, d'Addison, de Congreve, etc. et de Swift. Ces lettres de Swift, étaient accompagnées elles-mêmes de quelques lettres de Mrs Whiteway, de la lettre à Varina (d'avr. 1696), et des lettres à W. Richardson, de 1736 à 1740. Le don était précieux, car ces pages familières éclairent mieux certains moments de la vie de Swift. Mais Monck-Berkeley ne voulut pas borner son rôle à une simple transmission 3. Dans une « Enquête sur la vie de Swift » où, au préalable, il passait rapidement en revue tous les biographes, pour les définir comme chacun le méritait, avec une affectation d'impartialité critique qui se dément elle-même à plusieurs reprises, mais de manière à faire ressortir par avance l'importance

1 Literary Reliques containing original letters from King Charles II, King James II, the Queen of Bohemia, Swift, Berkeley, Addison, Steele, Congreve, the Duke of Ormond and Bishop Rundle to which is prefixed an Inquiry into the life of Dean Swift. London, 1789.

'George Monck-Berkeley, petit-fils du grand Berkeley et fils du Rev. George Berkeley, prébendier de Canterbury, né en 1763, mort à trente ans, en 1793. Il s'était fait remarquer par une étonnante précocité ses premières publications datent de ses études à Eton et par une grande facilité dans tous les domaines littéraires. Il avait essayé à la fois la poésie, le théâtre et l'histoire.

3 Car il tenait lui-même ces lettres à l'exception de la lettre à Varina, du neveu de William Richardson, « Henry Irwine, Esq. of Dublin ».

C'est ainsi qu'il reproche à Sheridan son parti pris de perpétuelle apologie, tandis qu'il vitupère Orrery avec la dernière violence. Lui-même défend Swift sur tous les points, excepté dans l'épisode de Vanessa, où il le taxe d'imprudence coupable. Son étude est une défense.

de sa propre contribution, Monck-Berkeley s'attachait d'abord à détruire une calomnieuse légende 1, puis prétendait nous révéler l'histoire complète et véritable de Stella. De fait, il corrige une erreur indéfiniment répétée depuis Orrery 2 sur Hesther Johnson et apporte le premier une clarté entière et des détails essentiels sur sa naissance et sa famille, lesquels concordent tout à fait avec une allégation vague sans doute, mais trop négligée par les historiens, de Delany 3. Ces renseignements précis et nouveaux, il les tient de la nièce même de Stella, Mrs Hearn, personne infiniment respectable, nous assure Monck-Berkeley, et nous l'en croyons volontiers. Nous les croyons l'un et l'autre tant qu'il n'est question que de faits impersonnels, simplement enregistrés et comme étrangers à celui ou à celle qui les rapporte, mais dès qu'intervient l'interprétation ou le commentaire, notre foi s'inquiète, car nous sentons ici encore, le secret désir du conteur d'entrer lui-même en scène. Ce qu'il y a de plus sûr dans l'histoire de la rencontre de Mrs Hearne avec Swift qui pâlit à sa vue, c'est le sentiment de coquetterie qu'éprouvait à se souvenir de sa tante, la nièce de la trop jolie Stella. Mais Monck-Berkeley eut d'autres informateurs que Mrs Hearne. Une femme encore, une noble dame, la vénérable veuve du grand Berkeley qui, de bouche à oreille, lui chuchote le grand secret de la vie de Swift, le mariage avec Stella '. Nous ne reprocherons pour l'instant à Lady Berkeley que d'avoir été témoin

1 L'histoire du rapt de Kilroot inspirée à Nichols par Salter (note I, page 771).

2 Répétée par exemple très nettement par Johnson: « the daughter of Sir William Temple's steward». Cette erreur a survécu d'ailleurs à MonckBerkeley: << Mrs Johnson, widow of a confidential servant of Sir William > (Craik, I, p. 33). Craik, du reste, s'abstient, lorsqu'il cite en appendice les pages de Swift sur Stella (Character of Mrs Johnson), de révéler ou expliquer l'affirmation contraire de Swift: «She was born at Richmond in Surrey, in the year 1681. Her father was a younger brother of a good family in Nottinghamshire, her mother of a lower degree... » Ceci s'accorde au contraire avec la lettre de Mrs Hearne à Monck-Berkeley. Il est regrettable que Craik ait entièrement négligé ce point comme du reste l'enquête de Monck-Berkeley. 3 Delany rapporte en effet que c'est par l'entremise de Lady Giffard, sœur favorite de Temple, que Mrs Johnson, déjà veuve, fut introduite dans le ménage de son frère Sir William.

4 «...

and who now resides at Brighton... with her daughter, Mrs Harrison, the wife of a most respectable cleryman of that name.

5 Par exemple en ce qui concerne le frère et la sœur de Stella, la situation de fortune de sa mère et la sienne, le legs de 1000 livres que lui fit Sir W. Temple. A cause, dit-elle, de sa ressemblance avec sa tante, Mrs Johnson.

' Voir plus loin Livre IV.

MONCK-BERKELEY ET BEDDOES

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aussi du trouble de Swift devant Mrs Hearne. Après les personnes de condition, ce sont les petits gens, voire les serviteurs que MonckBerkeley interroge, en sachant à l'occasion les intéresser1. De l'ancien domestique de Swift, Richard Brennan, il reçoit d'aussi vagues que bizarres confidences qu'il ne reproduit pourtant dans son livre qu'avec une précaution un peu honteuse et sous toutes réserves sur le fils prétendu de Swift et de Stella, fils à demi renié et à demi adopté, errant un peu trop à la manière d'un fantôme autour du Doyenné. Monck-Berkeley n'ose pas y croire tout à fait, mais il suggère que ce serait là une excellente explication de la nécessité urgente «pour Stella d'être proclamée la femme de Swift » et du reste aussi du caractère exceptionnel de ce génie qui ne s'accommodait pas des recettes communes pour le bonheur. A partir de ce point, Monck-Berkeley mérite tous les sarcasmes de Monck-Mason. Tout comme chez un lecteur de Mrs Radcliffe, la passion du romanesque égare en lui le sens du réel.

LE DOCTEUR BEDDOES

Une question aussi troublante que celle des amours de Swift était celle de ce mal mystérieux aussi qui paraissait s'être attaqué à son esprit autant qu'à sa chair et qui amena cette longue et silencieuse ruine de tout son être des années entières avant sa mort. Les biographes avaient proposé chacun leur explication, les plus naïfs seuls acceptant la raison donnée par Swift avec un sérieux sans doute évasif. Le docteur Thomas Beddoes 2 prétendit saisir le premier, par une intuition philosophique, plus que par un simple diagnostic médical, la cause vraie de cette maladie obscure. Puisque, pensait-il, les indices purement physiques sont insuffisants pour déterminer la nature de l'affection, il y faut suppléer par des inductions hardies et bien conduites, et son essai moral et médical témoigne en effet d'une con

1 Monck-Mason (History of St-Patrick, 1820, p. 316) insinuera sarcastiquement que Richard Brennan dut se féliciter d'avoir Monck-Berkeley pour client et que son métier de débitant d'histoires lui permit de vivre de nombreuses années. Il soupçonnera même Monck-Berkeley, qu'il taxe de sottise, de s'être adressé de pareille manière à M1 Maguire, le sacristain de St-Patrick, et de lui servir une rente de 4 livres par an en récompense de ses bons offices. 2 Thomas Beddoes M. D., père du poète Thomas Lowell Beddoes qui, lui, naquit en 1803, l'année même où parut l'Essai sur Swift dans le 3o volume d'Hygeia.

3 « Medical calculation may perhaps supply to a considerable extent, the deficiency of positive information concerning the Dean of St. Patrick's ». (Hygeia, or Essays Moral and Medical, 1803, 3d vol. Essay IX).

ception audacieuse de la science, où l'hypothèse joue un rôle essentiel : << des talents extraordinaires impliquent une part peu commune de sensibilité; or, les études de jeunesse de Swift n'étaient pas de nature à épuiser en lui les sources vives des sentiments, mais plutôt à les taire jaillir en flots plus abondants », et nous en inférons qu'il fut un passionné, un passionné replié souvent sur lui-même dans des lectures ardentes, ainsi que nous le montre Sheridan, et enfermé comme dans une romantique « tour d'ivoire ». Mais, insinue Beddoes, ce que nous en disent ni Sheridan ni les autres, c'est que parfois il dut sortir de lui-même. Consultons l'œuvre de Swift; d'où peuvent venir ce goût si prononcé pour l'immondice, cette hantise des choses sexuelles, sinon conformément à la grande loi psychologique, d'excès antérieurs, Du reste, la cause puérile et absurde qu'il attribuait lui-même à sa maladie, n'était-elle pas un subterfuge un peu honteux, comme un aveu implicite? De plus il avait ce constant besoin de présences féminines autour de lui, ce besoin même, comme le prouve à Beddoes le << petit langage » du journal à Stella, de perpétuelles émotions amoureuses qu'éprouvent tous les vieux débauchés impuissants. Telle est la formule à laquelle aboutit le médecin dans cette étude plus littéraire que médicale, qui néglige, ou à peu près, les résultats de la première autopsie et les faits strictement physiques pour y suppléer par l'interprétation psychologique, au reste pénétrante, des œuvres et de la vie. Cette conclusion est tragique, émouvante, parle à la sensibilité du lecteur, autant que par sa simplicité elle séduit l'esprit ; elle est romantique aussi, puisqu'elle nous présente Swift comme un don Juan malheureux et vieilli, abattu par la destinée dès avant ses succès et dont la passion se transforme en une jalousie méticuleuse et chagrine qui se plaît à attiser irrémédiablement la flamme en ses victimes pour se dérober ensuite et savourer le seul plaisir du dépit satisfait. Et Beddoes n'en admire que davantage en Swift cette puissance énorme de résistance à un mal si envahissant. Robustesse extraordinaire du tempérament qui est comme la contrepartie chez Swift, de l'extraordinaire ampleur du génie.

De toute manière Swift est ici un être d'exception, et l'on ne saurait lui appliquer des formes ou catégories communes de jugements.

BARRETT

C'est encore, dans une certaine mesure, un être d'exception que voit en lui le digne vice-provost de Trinity. Le Dr Barrett, natu

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rellement sollicité par cette période de la vie de Swift qui s'écoula entre les murs de son propre collège, s'efforça à éclaircir ce qui constituait à ses yeux de professeur un grave mystère: quel avait été l'état d'esprit véritable de Swift durant ses études et pouvait-on, comme on l'avait fait toujours jusque là, expliquer l'aversion profonde qu'eut toujours Swift pour Trinity College et l'Université par la seule humiliation de son demi-échec à l'examen de bachelier ès-arts? Barrett trouvait la raison insuffisante 1 et chercha dans les archives du collège une explication plus secrète et plus effective. Il utilisa, entre autres trois sources principales d'information, le registre d'admission (Book of admission), le registre d'immatriculation (Book of registry) et surtout les cahiers de punitions ou «< livres de crédence » (Buttery books). Barrett mit à jour quelques détails curieux : ses recherches furent malheureusement influencées par deux préoccupations trop exclusives: la première était de vouloir n'apporter que des révélations et de donner partout un démenti à la tradition, la seconde fut de vouloir prouver une affirmation contenue dans une lettre déjà ancienne de Samuel Richardson à Lady Bradshaigh (22 avril 1752). Richardson, faisant allusion aux « Remarques » d'Orrery, reprochait à l'auteur d'avoir représenté Swift à Trinity comme un élève paresseux et en retard dans ses études, et déclarait qu'il savait de la manière la plus certaine du fils d'un compagnon d'études de Swift à Dublin que Swift fit au contraire de très grands progrès à Trinity, mais qu'il était mal noté à cause de son indiscipline et qu'il en avait même été chassé pour avoir trop grossièrement ridiculisé ses maîtres dans le « Tripos » (ou revue comique en trois actes que chaque année, avec l'autorisation implicite des professeurs, composaient et jouaient les étudiants). Barrett rejette une partie de l'affirmation de Richardson, celle qui a trait à l'expulsion, et s'efforce de corroborer l'autre en montrant par les deux méthodes d'évidence externe et interne, que le « Tripos » dont il a retrouvé le texte est bien, au moins en grande partie, l'œuvre du jeune Swift, Barrett reconnaît dans ces facéties faciles et ce « doggrel » les mêmes caractères humoristiques que dans les plaisanteries anglo-latines et les calembours multi-lingues échangés plus tard entre Swift et son ami Sheridan.

1 En réalité, les conclusions finales de Barrett ne sont pas très différentes de cette conception traditionnelle à laquelle il s'oppose, puisqu'il interprète lui-même les nombreuses punitions encourues par Swift (et postérieures à son examen, 13 février 1685-1686) comme la preuve d'un relâchement de discipline provoqué chez lui par l'humiliation.

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