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RÔLE DE HAWKESWORTH

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nées Mrs Pilkington et Lord Orrery, de nouveaux documents ont été ajoutés par le docteur Delany et par M. Swift. C'est en comparant et en « compilant » 1 qu'il écrira son récit. Il se hâte de satisfaire d'un mot les scrupules qui sont de rigueur chez tout critique, en faisant sur les deux premières sources des réserves, dictées déjà, semble-t-il, par une tradition et qui n'ont rien de très désobligeant 2, les deux autres sources le rassurent tout à fait. Comment pourrait-il en être autrement, puisque Hawkesworth ne peut établir la vérité qu'à la manière d'un juge, après l'audition des témoins? Il est le premier en date des biographes de Swift qui, par l'effet des circonstances, soit réduit au rôle de pur historien. Il ne renoncera pas de propos délibéré à intervenir directement pour contrôler et vérifier et nous donnera parfois son opinion en interprétant lui-même l'œuvre, au point de vue de la vie, comme par exemple les « lettres à Stella ». Mais d'un bout à l'autre de sa biographie, Hawkesworth s'en remet en somme à ses autorités, parmi lesquelles il fait un choix varié et qu'il cite en marge avec exactitude. Sa grande vertu est de reproduire fidèlement, de répéter avec constance, de grouper, composer. A chaque tournant de la vie, à chaque œuvre nouvelle importante, Hawkesworth s'arrête, moins pour reprendre haleine, ce dont il n'a nul besoin, que pour la satisfaction qu'il éprouve en guide consciencieux à nous montrer des tableaux d'ensemble, à faire ressortir des traits dominants, à dégager aussi, car il est moraliste, des idées générales sur la nature humaine.

1 From a comparison of all with each other this account is compiled. 2 Several little incidents, which shewed the particularities of his conversation and domestic life, were related by Mrs Pilkington in her memoirs though these could be believed only in proportion as they verified themselves Lord Orrery's letters contained many of the principal events, intermingled with many characteristic incidents supported in general upon better authority but sometimes founded upon false information. Some of these mistakes were detected by a volume of letters signed J. R. (Delany) in which were also some new materials.

3 Par exemple Hawkesworth s'assure lui-même que, contrairement au dire d'Orrery et de Deane Swift, la mention «speciali gratia » du diplôme de bachelier de Swift n'est pas reproduite sur les registres de l'Université d'Oxford.

• Il répète sans sourciller l'explication donnée par Swift lui-même et ses trois biographes de ses vertiges et de ses crises: « those fits of giddiness and deafness, which were the effects of his surfeit before he was twenty years old ». Johnson seulement, le premier, se défiera de cette puérile explication. Par exemple p. 230, p. 30. Il serait vain ici de vouloir chaque fois faire des citations dénuées en elles-mêmes de tout intérêt.

Lorsque, malencontreusement, en collationnant et combinant ses sources, Hawkesworth se heurte à des contradictions, il s'élève vite à une philosophique impassibilité en juxtaposant les contradictoires où lui apparaît, au fond de chacune, une part de subtile vérité 1. Si pourtant il ne peut y avoir accord entre les témoignages de ses prédécesseurs, si Hawkesworth est impuissant à en tirer un sens plausible et prudent, il se borne à reproduire les termes de la question, à poser l'énigme en dégageant par avance avec un peu d'humeur sa responsabilité. Citons ici un exemple qui contient pour nous un enseignement et nous mettra en garde contre le prétendu caractère «positif » 2, sur ce point, des premiers témoignages: Hawkesworth résume ainsi tout ce que lui ont appris sur les relations de Swift et de Stella les trois mémoires d'Orrery, de Delany et Deane Swift 3 : « Pourquoi le Doyen n'épousa pas plus tôt cette si excellente personne, pourquoi même il l'épousa, pourquoi son mariage fut si soigneusement tenu caché, et pourquoi il ne la vit jamais, affirme-t-on, qu'en présence d'un tiers, ce sont là autant de questions auxquelles nul ne peut répondre ou n'a tenté de répondre, sans absurdité, ce sont là par conséquent de vains sujets de spéculation ». Une telle déclaration, de la part d'un homme si désireux de tout concilier, de tout interpréter pour le plus grand honneur de son héros, nous paraît ici importante, surtout à une époque si rapprochée de l'origine même de cette tradition qui le gêne. Là est

1 Par exemple dans les deux récits opposés que font de l'arrivée de Swift à Dublin en 1713, Orrery et Deane Swift d'une part, et Delany de l'autre, les premiers affirmant qu'il y fut hué et le second prétendant qu'il y fut acclamé, Hawkesworth ne voit que deux aspects différents d'un même fait: << but it seems probable that these accounts, however contradictory may both be true and that Swift at this time might be the Sacheverel of Ireland folloved by the mob of one faction with execrations and by the other with shouts of applause ». En réalité, il est probable que les deux accueils différents furent faits à Swift à deux époques différentes, en juin 1713, et en septembre 1714, lorsqu'il vint en Irlande d'Angleterre, après un nouveau séjour à Londres et sa retraite à Letcombe chez le Rev. John Geree.

a Craik, Appendix, vol. II, p. 300.

3 Hawkesworth, « Life », p. 46.

4 Cette attitude perpétuellement conciliatrice et indulgente, cette habitude de donner à tout son contrepoids apparaît clairement dans ce verdict sur Swift amoureux (p. 47): « But it is also generally allowed that in this instance as in every other, the dean's intention was upright though his judgment might be erroneous, and whatever censure his behaviour to Stella may draw upon him it must ensure him some praise, and secure him against some calumny ».

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UTILITÉ DE HAWKESWORTH

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pour nous aujourd'hui le seul intérêt de la biographie de Hawkesworth1: son caractère impersonnel, en lui donnant l'illusoire apparence d'un plus grand recul dans le temps, fait ressortir les insuffisances des «Sources » dont elle est pourtant exactement contemporaine. Hawkesworth semble avoir conscience à la fois de l'imperfection des récits de ses prédécesseurs et de l'impossibilité où il est lui-même d'y remédier; aussi répète-t-il, sans pouvoir prouver ou expliquer, mais il répète de telle manière que les erreurs et les certitudes sont mises, et souvent malgré lui, en évidence. Sans le vouloir toujours nettement, Hawkesworth, le premier biographe de Swift qui fut étranger à sa vie, nous montre comment ceux qui en furent les témoins familiers purent encore ignorer beaucoup ou se tromper.

L'introduction de Hawkesworth clôt ainsi une première période de l'histoire swiftienne : celle des sources directes, des mémoires, des réminiscences. Nous en avons volontairement exclu une catégorie particulière de témoignages que nous utiliserons précieusement et qui ne nécessiteront pas le même examen critique, parce qu'ils sont immédiats et tout mêlés à la vie : ce sont surtout les correspondances diverses des amis de Swift, avec Swift ou entre eux, ou encore les notations éparses faites autour de Swift ou de ses familiers, fixant et recueillant quelques-uns de ses gestes ou quelques-unes de ses paroles. La correspondance de Mrs Pendarves 2 avec sa sœur Mrs Ann Granville, par exemple, nous présentera un Swift à peu près identique à celui que nous peint quelques années plus tard Mrs Pilkington, et les anecdotes de Spence, recueil fidèle des paroles tombées de la bouche de Pope, fixent aussi pour nous, à travers Pope, divers instants de l'existence

1 L'ouvrage de Hawkesworth a rendu d'importants services, et MonckMason, par exemple, qui a plus de confiance en lui qu'en tout autre, l'appelle « the cleverest of all the biographers of Swift ». Warton, dans son « Essay on the Genius and Writings of Pope », 1782, loue Hawkesworth de la solidité de son travail et de l'exactitude du portrait qu'il nous trace: «The character of Swift has been scrutinized in so many late writings, that it is superfluous to enter upon it especially as from many materials judiciously melted down and blended together, Dr Hawkesworth has set before the public so complete a figure of him. » Vol. II, p. 52-53.

2 Mrs Pendarves qui devait plus tard, en 1743, épouser en secondes noces le théologien et biographe de Swift, Patrick Delany, fit un séjour en Irlande de septembre 1731 à avril 1733, chez une amie, Mrs Donnellan. C'est pendant la durée de ce séjour qu'elle fit à la fois la connaissance de Swift et celle de Delany; elle parle fréquemment de l'un et de l'autre dans ses lettres à sa sœur.

familière de Swift. Nombreux sont les documents de cette sorte qui demeurent comme des fragments arrachés de la vie de Swift, toutes les lettres de ceux qui, de près ou de loin, le connurent, les témoignages de ses amis1 et aussi les attaques de ses ennemis, depuis la correspondance de Lady Giffard, sœur du «Chevalier Temple », jusqu'aux pamphlets de Dean Smedly, mais il est clair que de pareils documents, parce qu'ils sont partie intégrante de la vie, ne doivent pas être confondus ici avec les témoignages extérieurs, postérieurs, nécessairement plus impersonnels. Car nous nous bornerons dans cette introduction à considérer la galerie successive des portraits de Swift, non les simples reflets de son regard sur d'autres visages. Or, jusqu'ici, les efforts de restitution auxquels nous avons assisté nous paraissent présenter quelques caractères communs essentiels: en premier lieu, tous ces récits, si l'on excepte celui de Hawkesworth, lequel a précisément pour objet de remédier au caractère fragmentaire des autres, sont partiels, incomplets ou inégalement sûrs, chacun de ces chroniqueurs se laisse entraîner 3, sinon à dire plus qu'il ne sait, du moins à dire plus qu'il n'a vu, à suppléer par sa confiance ou sa vanité à son insuffisante information. De là vient à ces récits divers cette apparence d'hésitation et de hâte imprécise. L'auteur semble gêné par son zèle et par la trop grande familiarité où il est avec son sujet, l'important se dégage mal dans son récit des détails menus ou de peu d'intérêt, et l'anecdote est toujours au premier plan. Il y a là, semble-t-il, comme un défaut de perspective dû à une trop grande proximité. Ces premières << sources » contiennent une abondance de matériaux, mais de matériaux mélangés d'impuretés.

Comme l'a suggéré Thomas Amory, comme le sent confusément Hawkesworth, il reste à la fois à compléter et à contrôler cette information.

1 Lettres de Voltaire, Abbé Desfontaines, Abbé Leblanc.

2 Cf. plus loin Livre IV.

A l'exception peut-être de Mrs Pilkington qui, si elle enjolive ou dramatise à l'occasion, ne prétend pas étendre son savoir au delà des limites de son expérience personnelle.

2o PÉRIODE.

REVISION ET CRITIQUE DES PREMIÈRES SOURCES.

C'est à quoi vont s'efforcer désormais historiens et critiques pendant toute la fin du XVIIIe siècle1, puis au siècle suivant, avec une ardeur constante, mais de manière diverse. Si d'une part, à mesure que grandit la renommée de Swift, tout ce qui touche à lui prend une valeur de plus en plus générale et humaine, cette popularité ne va pas sans quelque danger, car elle impose aux livres comme à l'homme un caractère d'emprunt qui les déguise. Nous verrons d'autre part si Swift n'aura pas aussi à souffrir du trop grand empressement que l'on mettra à parler de lui plus encore qu'à le lire. La vie de Swift apparaîtra si fertile en événements dramatiques qu'elle deviendra un thème littéraire presque autant qu'un sujet d'étude, et elle subira, en tant que matière, l'empreinte diverse des époques et des tempéraments, mais sa force inspiratrice déjouera les simples efforts d'imagination

1 Cette fin du XVIIIe siècle est marquée par un renouveau des études historiques et archéologiques. La « Société des antiquaires de Londres », par exemple, se réforma et, dès 1770, publie ses découvertes dans l'Archeologia. C'est aussi, comme on sait, l'époque de la résurrection de la Ballade et de l'Ossianisme (Percy's « Reliques », 1765, Macpherson's Ossian 1760-1763); mais les recherches s'étendent à tous les domaines, à l'histoire du théâtre (Dodsley's Select Collection of Plays, 1744), de la vieille poésie (Thomas Warton: History of English Poetry from the XIIth to the close of the xvith century, 1774, George Ellis: Specimens of the Early English Poets, 1790, etc.), de la poésie écossaise (J. Pinkerton: Scottish Ballads, Poems, etc.), de l'histoire biographique (Biographical History of England, de Granger, 1769 et 1775), de l'histoire scandinave Percy: Northern Antiquities, [étude fondée sur l'œuvre française de Mallet] 1770, etc. Les sociétés savantes vont devenir chaque jour plus nombreuses et Walter Scott donnera une vaste impulsion à ce mouvement de retour au passé, à la fois archéologique et romantique. Les recherches swiftiennes présentent aussi ce double caractère.

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