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LE THÈME DES HABITS CHEZ DEKKER

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ne venait ni de la boutique d'un mercier ni des entrepôts des marchands: un billet d'Adam à cette époque eût reçu meilleur accueil que de nos jours la signature d'un chevalier, et cependant il n'occupait grand place sur aucun livre de comptes pour le satin ou les velours; les vers à soie avaient autre chose à faire en ce temps là, que de monter des métiers et d'entrer dans la corporation des tisserands; ses braies valaient moins encore que celles du roi Etienne qui ne coûtaient qu'un pauvre noble, car le haut-de-chausses et le pourpoint que portait Adam les dimanches n'étaient faits d'autre étoffe que de feuilles de figuiers, et la meilleure robe d'Ève était du même drap, et ils n'avaient entre eux qu'une seule paire de cisailles. Un antiquaire de notre ville peut encore montrer une pincée de poudre provenant de ces feuilles desséchées 1... » Puis après ces bouffonnes calembredaines, Dekker s'en prend aux Tailleurs, à leur opulente et impitoyable corporation, et leur décoche quelques flèches parmi d'hilarantes boutades, et de joyeux calembours 2; toutes les pièces les plus hétéroclites du costume de l'époque, les larges braies ou « guarguesques », les vastes « manches danoises pendant ainsi que des besaces de Gallois », les culottes italiennes collantes, les cols rigides à la française, les « fraises dédaléennes triples ou quadruples » et les « rabats qui comptent autant d'arches pour laisser le passage aux galères de l'orgueil que cinq ponts de Londres à la fois », sont décrites ou énumérées dans un pêle-mêle bigarré, jetées devant nous en une irrésistible bousculade. Dekker sait aussi élargir le débat, universaliser le problème et édifier une amusante et fort suggestive doctrine adamite: « Cette leçon une fois apprise, dit-il au Beau, au Petit-Maître qu'il catéchise, tourne la page et (à moins que ce chien hargneux de Gèle-Terre, le froid hiver ne tente de te mordre) promène-toi un instant de long en large dans ta chambre, soit seulement vêtu de ta chemise, soit (il est plus convenable à la fois et plus délectable de lâcher le mot) complètement déshabillé

1 Gull's Horn Booke. Chap. I: «The old world and the new weighed together the tailors of those times and these compared, the apparell, and dyet of our first fathers ».

2 « Tailors then were none of the twelve companies: their hall, that now is larger then some dorpes among the Netherlands, was then no bigger then a Dutch butchers shop: they durst not strike downe their customers, with large billes: Adam cared not an apple-paring for all their lousy hems », et plus loin, jouant sur les deux sens du mot « Fashion » (1o mode, 2o farcin, maladie du cheval): «Fashions then was accounted a disease and horses dyed of it: But now (thankes to folly) it is held the onely rare phisike and the purest golden Asses live upon it ».

et absolument nu. Ne sommes-nous pas nés ainsi? et faut-il que des mœurs imbéciles nous fassent enfreindre les lois de la création? Nos premiers parents, tant qu'ils allèrent tout nus, purent demeurer au Paradis, mais dès qu'ils se mirent des habits sur le dos, furent jetés à la porte. Ne porte donc aucuns vêtements, ou porte les avec négligence, car considère qu'autant la liberté a plus d'agréable aisance que l'esclavage, autant une manière désinvolte de porter nos atours est préférable à l'emprisonnement impeccable en eux par les mains d'un Tailleur. Etre parfaitement ajusté dans ses habits, c'est n'être ajusté pour rien d'autre. Un homme a l'air d'être couvert de chaînes. ou ressemble à un épouvantail... La Vérité (parce que son crânechauve de père le Temps n'a pas de cheveux pour couvrir son front) va (quand elle va le mieux) toute nue; mais le Mensonge a toujours un manteau pour la pluie. De même, vous voyez que le Lion, roi des animaux, le cheval, la plus vigoureuse des créatures, la Licorne dont la corne vaut la moitié d'une ville, n'ont aucun d'eux plus d'habits sur le dos que ne leur en donna la Nature), mais vos babouins et vos singes (écume et canaille de tout le peuple des rôdeurs des haies) portent, eux des pourpoints et des mantilles 1... » Et cette exhortation héroïcomique au retour à la nudité primitive se termine par une évocation qui est l'envers bouffon de l'image swiftienne de la femme écorchée 2, mais tandis que Dekker s'en tient à un effet un peu facile et vulgaire de contraste comique et de surprise, Swift poursuivant âprement son œuvre de dévêtement méthodique, d'impitoyable mise à nu, ne respecte même plus l'aspect naturel de décence dont la création a elle-même habillé les hommes et les choses. Là, comme dans l'attaque du pédantisme 3, Swift qui par moments ressemble aux Elisabéthains

1 Ibid., ch. 'I.

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For when the same is arising out of his bed, does not the element seeme more glorious then (being only in gray) then at noone, when hees in all his bravery? it were madnesse to deny it. What man would not gladly see a beautiful woman naked, or at least with nothing but a lawne, or some loose thing over her, and even highly lift her up for being so? Shall we then abhorre that in ourselves which we admire and hold to be so excellent in others? Absit. »

3 Dekker, dans le «Proëm » de son Gull's Horn Booke, apostrophe et défie la horde vile des critiques avec autant de mépris que le fait Swift dans sa « Digression » ou dans le Poème à Congreve. Mais il y a dans Dekker plus d'emportement et moins de maîtrise de soi, plus d'ornements allégoriques, de préciosité, de « flourish» de toute sorte; c'est par l'éclat du style

PAR OU SWIFT DIFFÈRE DES ELISABÉTHAINS

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par la verdeur et la véhémence de son langage ainsi que par le caractère mythique de ses conceptions, se sépare de ceux-ci et les dépasse par son implacable logique, par l'impassibilité paradoxale d'une violence maîtresse d'elle-même. Tout rapprochement, même en apparence approprié, avec ceux-ci, n'aboutit qu'à faire éclater mieux son originalité, tout effort pour l'apparenter à d'autres qu'à mettre mieux en lumière son isolement. Par sa fiction et sa philosophie des habits, comme par la manière dont il traite les autres éléments du récit, Swift conquiert, dans la lignée des satiristes et des conteurs une place tout à fait distincte, avancée, extrême.

et non par l'ironique et froide logique que Dekker cherche à frapper l'esprit du lecteur : « A fig therefore for the new found College of Criticks. You Courtiers, that do nothing but sing the gamuth-are of complemental courtesie and at the rusticall behaviour of our Country Muse, will screw forth worse faces then those wich God and the painter has bestowed upon you, I defie your perfum'd scorne; and vow to poyson your Muske cats, if their civet excrement doe but once play with my nose. You ordinary Gulles, that through a poor and silly ambition to be thought you inherit the revenues of extraordinary wit, will spend your shallow censure upon the most elaborate poeme so lavishly, that all the painted tablemen about you, take you to be heires apparent to rich Midasse, that had more skill in alchimy then Kelly with the Philosophers stone (for all that he could lay his fingers on, turned into beaten gold); dry tobacco with my leaves (you good dry brained polipragmonists) till your pipe-offices smoake with your pittifully stinking girds shot out against me. I conjure you ... when at a new play you take up the twelvepenny roome next the stage (because the Lords and you may seeme to be haile fellow wel-met), there draw forth this booke, read alowd, langh alowd, and play the Antickes that all the garlike mouthd stinkards may cry out. Away with the fool. As for thee Zoylus, goe hang thyself: and for thee Momus, chew nothing but hemlock, and spit nothing but the sirup of Aloes upon my papers, till thy very rotten lungs come forth for anger... ».

CHAPITRE V.

ÉTUDE ANALYTIQUE DU CONTE: LES THÈMES ET

LA PHILOSOPHIE

A. Les données initiales: Le Testament et la Doctrine esthétomorphique.

Le Testament. Ce thème fondamental fait son entrée dans le Conte dès l'ouverture, puisqu'il fournit la matière même du Testament. « Il était une fois un homme qui possédait trois fils nés de la même épouse, et tous trois à la fois, sans que la sage-femme pût dire avec certitude lequel d'entre eux était l'aîné. Leur père mourut alors qu'ils étaient jeunes encore et, les mandant à son lit de mort, leur avait parlé ainsi: Mes fils, n'ayant fait l'acquisition d'aucun domaine et n'en ayant hérité aucun, j'ai longtemps considéré en mon esprit quels bons et utiles legs je pourrais vous laisser, et j'ai pu enfin, à force de sollicitude et de dépenses, me procurer pour chacun de vous un habit neuf: les voici. Or, il faut que vous sachiez que ces habits possèdent deux vertus: l'une consiste en ceci que, si vous les portez avec soin ils vous dureront, en frais et bon état, toute votre vie; l'autre est de grandir dans les mêmes proportions que votre corps, s'allongeant et s'élargissant d'eux-mêmes, de façon à vous aller toujours parfaitement. Allons, que je le voie sur vous avant de mourir. Fort bien; donc je vous en prie, mes enfants, tenez-les propres et brossez-les souvent. Vous trouverez dans mon Testament que voici, des instructions complètes et où tous les détails sont prévus, sur la façon de porter et d'entretenir vos habits; et vous devez en cela prendre bien garde de ne pas encourir les peines que j'ai édictées pour toute transgression ou négligence de mes volontés, car de votre conduite à cet égard dépendra entièrement votre avenir. J'ai également stipulé dans mon testament que vous viviez ensemble sous le même toit en frères et amis, car ainsi, et seulement ainsi, vous aurez

ÉTUDE ANALYTIQUE DU CONTE. LES THÈMES ET LA PHILOSOPHIE 319

la certitude de réussir. » Ce début du récit est d'une habileté consommée, en même temps que d'une perfection littéraire qui fait songer aux contes de Voltaire 1. La première phrase est celle d'un vrai conte, d'un conte de fées, et les paroles du mourant, introduites aussitôt, exposent avec une insurpassable sobriété, toutes les données dramatiques du problème. Cette histoire, qui semble s'adresser à des enfants s'ouvre sous les auspices de la pure logique, s'énonce avec la prudence et la netteté d'une doctrine philosophique où, dès le commencement, les objections principales sont prévues et reçoivent déjà comme un principe implicite de réfutation. Ce Conte se présente à nous comme une pièce racinienne où les duels de passions et les luttes symétriques se devinent dès les premières confidences du protagoniste ou dès l'épigraphe et la préface: « Invitus invitam »... Et il se déroulera en effet dans une impeccable ordonnance, en dépit des arrêts simulés, des interruptions, des digressions; tous les prétendus obstacles auront leur utilité, mais le fil des événements ne sera de leur fait ni distendu, ni rompu. Ces événements seront groupés, ramassés en tableaux successifs, mais en tableaux (si l'on peut le dire encore aujourd'hui) intensément << vivants »; Swift, pour les alléger, les rendre plus mobiles, écarte d'eux tout l'appareil idéologique indispensable et encombrant qu'il masse ailleurs, ou dépose à un tournant convenable de la route, de sorte que nous assistons tour à tour à des représentations dramatiques et à des conférences de philosophie, mais les premières sont purgées de tout élément pédantesque, les secondes confinées à plaisir dans la plus lourde et savante atmosphère. Le passage de la salle de spectacle à la salle de cours ménagera de fréquents et piquants contrastes, nous permettra, à chaque expérience nouvelle, de franchir un degré nouveau de la Surprise salutaire, de telle manière que nous nous trouverons à la fin au niveau moral requis pour recevoir l'enseignement décisif de la Digression sur la Folie et des réflexions dernières.

Une fois le testament entendu et le Père mort, les trois fils partent

1 Craik (vol. I, p. 140) nous paraît être d'une injuste sévérité pour l'allégorie en tant qu'œuvre littéraire; il ne veut en reconnaître ni les mérites de style, ni les qualités dramatiques indéniables et que toute comparaison avec les « Sources » ou analogues fait nettement ressortir. Sans doute, ainsi que nous nous attachons à le montrer, la satire n'y atteint pas la profondeur des digressions philosophiques de la préface et de l'introduction, mais Swift manifeste des qualités d'écrivain autres, dignes en elles-mêmes d'admiration et que d'éminents critiques comme Leslie Stephen placent très haut (cf. « Swift », p. 40-43).

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