LETTRE A MADEMOISELLE DE LENCLOS LE DESSUS A Ninon, de qui la beauté LA LETTRE Si c'est à bonne intention Qu'à tes lois tu me veux soumettre, Réponds à mon affection Lorsque tu réponds à ma lettre. Mon cœur pour toi forme des vœux, Mes yeux te trouvent sans seconde; Et, si je ne suis amoureux, Je suis le plus trompé du monde. Mon âme languit tout le jour; J'admire ton luth et ta grâce; J'ai du chagrin, j'ai de l'amour: Dis-moi, que veux-tu que j'en fasse? Ton entretien attire à soi, De la perte d'une bataille. Je me sens toucher jusqu'au vif, Quand mon âme voluptueuse Se pâme au mouvement lascif Socrate, et tout sage et tout bon, Tu possèdes les qualités Dont un cœur ne peut se défendre. Je sais quel nombre de galants Je modère ainsi mon courroux Je les voudrais dignes de vous; RONDEAU SUR LES MÉTAMORPHOSES D'OVIDE Mises en rondeaux par Benserade A la fontaine où l'on puise cette eau Qui fait rimer et Racine et Boileau, Je tirerai pourtant de mon cerveau De ces rondeaux un livre tout nouveau Hormis les vers, qu'il fallait laisser faire PAVILLON 632 1705 Neveu de l'évêque d'Aleth, Etienne Pavillon reçut une éducation très-solide. Sa famille le destinait aux grands emplois. Il fut d'abord avocat général au parlement de Metz, et peu s'en fallut que Mazarin ne le désignât pour la charge d'avocat général au parlement de Paris. La fortune sembla un moment le réserver au rôle d'un Omer Talon : mais son humeur prit le dessus sur les ambitions de famille et les avances de la destinée. Il se sentit doucement entraîné du côté de Voiture, et suivit sans le moindre regret cette pente fleurie. Étienne Pavillon, qui aurait pu devenir un grand magistrat, peut-être un ministre, devint tout uniment un charmant poëte, un aimable discoureur, un spirituel académicien. Connaissant mieux que personne le Droit romain, les ordonnances royales, les constitutions de l'État, les décrets des papes, les décisions des conciles et les libertés de l'Église gallicane, il profita de tous ces avantages sérieux pour choisir le métier d'oisif, de bel esprit, d'épicurien, de rimeur. On l'a traité de libertin, lui aussi; je garantis qu'il fut aussi éloigné du libertinage que de la dévotion. Mondain, galant, insouciant et même bachique, à la bonne heure! Il adressa, du haut de sa chaise de goutteux trèsprécieux, à Me Antoinette-Thérèse Deshoulières, les mêmes préceptes de métaphysique amoureuse que Jean Hesnault avait adressés déjà à la mère de cette jeune muse : Ne condamnez donc plus les maux que l'amour cause. Sans examiner autre chose, Jeune Amarante, engagez-vous. Vous avez l'esprit grand, le cœur droit et sincère, Tel est celui d'Iris : il s'est laissé charmer. L'auteur de ces faciles couplets, écrits à la dérive, avait bien tout ce qu'il fallait pour rédiger avec un brin d'innocente raillerie cette gazette galante qui figure dans ses œuvres et qui est si joliment datée' tantôt de l'île des Passions, le 4er du mois d'Inclination, ou de la ville de Beauté, le 18 du mois d'Attachement, tantôt du pays de Grand' Dot le 14 du mois Fortuné, ou du camp devant Cruauté, le 8" jour du mois de Désespoir, ou enfin de la république de Jouissance, le 18 du mois de Délices. Je doute que ce badinage eût entièrement agréé à Mlle Scudéry, qui n'entendait pas raillerie sur la géographie amoureuse. Mais Étienne Pavillon était homme à prendre son parti d'un peu de ressentiment. Il savait parfaitement, lui qui ne se brouilla jamais avec personne, qu'on ne pouvait jamais se brouiller avec lui. Qui fut à cette époque plus conciliant et plus doux, plus ménager de ses amitiés et moins homme de parti dans les lettres, que l'ami de Mme Deshoulières et de Racine, de Furetière et de Charpentier, de Saint-Pavin et de Boileau, oui de Boileau lui-même, quoique la satire déplût à l'épicurien, ainsi qu'il le témoigne dans une espèce de rêve de paix et de vertu, par cette pensée de bon chrétien: La charité saurait effacer la satire? Mais quoi! Ne faut-il pas même de la charité à l'égard des satiriques? Chapelle n'est-il pas lié avec Boileau, et Pavillon avec Chapelle ? L'épicurien Pavillon, qui se montre excellent chrétien à ses heures, regrettera un beau matin d'avoir trop mis en pratique la philosophie qui l'a rendu goutteux; car, si nous avions été toujours vertueux, ditil avec une espèce d'onction évangélique : Nous ne sentirions point cette crainte secrète Qu'un remords dévorant fait naître dans nos cœurs. Il craint sérieusement le remords, ce galant homme; il est édifié aux oraisons funèbres de Fléchier; il admire la sainteté de Mme de Miramion. Il va quelquefois jusqu'à attaquer le bel esprit, sous prétexte que tout bel esprit est athée. « Voulez-vous, dit-il à l'abbé de Francheville, obtenir le brevet de bel esprit? |