תמונות בעמוד
PDF
ePub

Non qu'il ne faille un choix dans leurs plus beaux ouvrages.
Quand notre siècle aurait ses savants et ses sages,
En trouverai-je un seul approchant de Platon?
La Grèce en fourmillait dans son moindre canton.
La France a la satire et le double théâtre;
Des bergères d'Urfé chacun est idolâtre :

On nous promet l'histoire, et c'est un haut projet.
J'attends beaucoup de l'art, beaucoup plus du sujet :
Il est riche, il est vaste, il est plein de noblesse ;
Il me ferait trembler pour Rome et pour la Grèce.
Quant aux autres talents, l'ode qui baisse un peu,
Veut de la patience; et nos gens ont du feu.
Malherbe avec Racan, parmi les chœurs des anges,
Là-haut de l'Éternel célébrant les louanges,
Ont emporté leur lyre; et j'espère qu'un jour
J'entendrai leur concert au céleste séjour.
Digne et savant prélat, vos soins et vos lumières
Me feront renoncer à mes erreurs premières :
Comme vous je dirai l'auteur de l'univers.
Cependant agréez mon rhéteur et mes vers.

MOLIÈRE

1622 1673

Ce n'est pas l'auteur de comédies, dont on a tant parlé sans tout dire cependant, que nous allons étudier en Molière, c'est l'homme même, en le cherchant surtout dans la passion qui le posséda le plus, et tout entier: l'amour. S'il entra dans la voie où l'attendaient tant d'épreuves et tant de gloire, c'est que l'amour l'y entraîna. Si, parmi tant d'œuvres admirées, il en est quelques-unes où le sentiment humain éclate encore mieux qu'ailleurs et sur lesquelles il semble qu'on entende retentir « ce rire amer,» véritable accent de l'humaine comédie, dont parlait Boileau après avoir écouté Molière dans certaines parties du Misanthrope; c'est que, pour ces œuvres supérieures aux autres, parce qu'il y laissa plus de lui-même, l'amour, avec ses dépits, ses douleurs et ses désespoirs, l'inspirait.

Je sais, parmi les chants de la Grèce héroïque, une chanson dansée, où la comédie primitive cueillit toutes faites quelques-unes de ses plus folies scènes d'amour, et qui nous donne aussi, en sa fleur la mieux épanouie, la partie amoureuse de l'œuvre de Molière. La connaissait-il? Je le crois, car, parmi les choses de l'antiquité, il en est peu qu'il ignorât; mais son cœur aussi pur, aussi vrai que celui des hommes primitifs à qui l'idée en était venue, aurait pu la trouver de lui-même. Cette chanson tout égayée de danse est, ce qu'on appelait, dans Égine, Athènes, ou Sicyone, le chant amabée. Au milieu d'un cercle de belles jeunes filles et de beaux ádolescents s'avançaient un jeune homme armé d'un glaive d'or, et une vierge couverte d'un voile et couronnée de fleurs. Ils chantent, ils dansent, et leurs danses et leurs chants expriment l'amour dont ils sont épris. Mais voilà qu'ils se séparent, le dépit éclate dans leurs paroles et sur leurs visages. Ils se fuient, puis reviennent, mais pour se fuir de nouveau. Encore quelques instants, et le dépit

deviendra de la colère; des larmes, de vraies larmes couleront; mais non, un sourire a brillé, et la rosée qui perlait déjà s'évanouit sous ce gai rayon. Les mains se reprennent, les bras s'enlacent; la danse recommence avec la chanson, et les deux amoureux, fiancés par ce retour de tendresse, gagnent, en se caressant toujours, la couche nuptiale. Toute la comédie de l'amour est dans cette scène antique, où se trouve aussi l'image fidèle de la vie amoureuse de Molière. Partout où nous le rencontrons, il aime; partout où il aime, il trouve moins des occasions de bonheur tranquille que des occasions de dépit jaloux, et cependant, il ne cesse jamais d'aimer. Ainsi sa vie se passe dans ces continuelles variations du chant amabée; mais toujours soigneux de cacher ses tristesses, n'oubliant jamais sous ses propres ennuis le rire dont il a fait son art, il ne prend de ce chant, moitié rieur et moitié triste, que la note souriante pour en faire comme le refrain de ses comédies.

Depuis l'une des premières jusqu'à l'une des dernières; depuis le Dépit amoureux jusqu'au Bourgeois gentilhomme, nous le suivons ce refrain de l'admirable esprit, trop rempli des pensées qui l'oppressent pour ne pas les faire déborder sur ce qu'il écrit, mais trop bon aussi pour en communiquer l'amertume, et s'appliquant alors à traduire en sourires pour le public toutes ses secrètes mélancolies. Si Molière n'était qu'un esprit, l'âcre satire ne lui coûterait pas; elle serait l'expression naturelle et complète de ce qu'il souffre; mais c'est un cœur aussi, et comme le fiel ne sort jamais du cœur, on n'en trouve pas dans ses œuvres. Il sent qu'il doit au monde, puisque sa mission est de l'instruire, la confidence de ce qu'il souffre; mais il lui vient du cœur je ne sais quelle crainte de communiquer sa souffrance en l'exprimant avec toute son amertume, et il n'en prend pour la montrer aux autres que ce qui peut leur être une leçon mêlée d'amusement. Ses pensées sont amères, mais le miel est sur ses lèvres, et tout s'adoucit en y passant. Ainsi, dans le Misanthrope même, où il est tout entier avec toutes ses peines, on ne trouve, sauf quelques éclats de ce rire désespéré dont je parlais tout à l'heure, que l'expression d'un chagrin qui craint d'être contagieux en se faisant trop voir; qui aime mieux faire rire que se faire plaindre, et au fond duquel on sent bien moins la haine du mal que des regrets pour l'absence du bien.

Et là pourtant, je le répète, toute son âme aurait dû éclater en sanglots, car il souffrait alors, à ce moment du Misanthrope, tout ce qu'un cœur aimant peut souffrir. Époux, il était odieusement trahi par Armande Béjart; poëte, il était persécuté sa comédie du Tartufe se

trouvait prise dans les piéges des faux dévots; ami, il était trompé : Racine le quittait pour la scène de l'hôtel de Bourgogne, et lui enlevait l'Alexandre, quoiqu'il l'eût déjà joué plusieurs fois sur son théâtre. Ce n'est pas tout, la maladie, dont il devait mourir sept ans après, commençait à le torturer, et comme ses acteurs ne pouvaient rien sans lui, il fallait qu'il suspendit, pendant deux mois, ses représentations! Ainsi, malade lui-même d'âme et de corps, souffrant en outre de toutes les misères que l'inaction allait faire endurer à ceux dont il était moins le chef que le père et l'ami, voilà Molière à l'heure du Misanthrope. Il faudrait à d'autres de bien moindres douleurs pour se croire le sujet d'une tragédie ou d'un mélodrame! Il ne fit, lui, qu'une comédie, et il s'y représenta dans un personnage qui semble inviter moins à s'apitoyer sur ses chagrins qu'à rire de ses brusqueries. Est-il possible de pousser plus loin le dévouement envers son art, et d'avoir plus gaiement la force du genie en ses expériences sur lui-même ? On peut dire de Molière, en ses luttes, ce que Sarrazin a dit d'Henri IV en ses batailles son courage riait! C'est que tous les deux, le comédien et le roi, étaient des esprits d'essence vraiment française.

Si c'est ainsi qu'en usait le courageux grand homme avec ses douleurs les plus profondes, on comprend avec quelle facilité il devait se faire un jeu des menues peines de l'amour, de ces dépits dont je parlais, et qui semblent avoir été l'accident quotidien de ses passions si nombreuses et si diverses. Ses comédies, en plus d'une scène, en ont, comme je l'ai dit, gardé le reflet et l'écho. Éraste du Dépit amoureux, dans la scène de fâcherie et de raccommodement avec Lucile, c'est Molière; et Gros-René avec Marinette, c'est Molière aussi. Dans Tartufe, Valèré querellant Marianne, puis revenant à elle, c'est encore lui; dans les Amants magnifiques, Climène et Philinte « qui font en musique une petite scène d'un dépit amoureux, » c'est Molière qui s'inspire du Donec gratus eram d'Horace pour s'égayer sur ce qu'il souffre; dans le Bourgeois gentilhomme, Cléonte se prenant de colère boudeuse contre une autre Lucile, mais n'attendant qu'un sourire pour se rengager, c'est lui encore, toujours lui. Il se faisait déjà vieux à cette dernière fois; c'était trois ans avant sa mort, mais il n'avait rien désappris de l'amour; son cœur était une source inépuisable de tendresse, comme la conduite de sa femme une source non moins intarissable de colères et de dépits.

Ce fut une bien cruelle douleur pour cet homme, de souffrir dans sa trop sérieuse réalité ce qu'il avait tant de fois tourné en raillerie, et

de trouver pour soi-même, dans ce thème comique, qu'il exploita si bien pour les rires de la foule, un sujet de larmes véritables. Si je vous dis qu'il pleura, c'est que lui-même ne s'en est caché jamais, hormis pourtant au théâtre. Le comédien voulait faire croire qu'il ne savait que rire, mais l'homme avouait qu'il savait pleurer. Un billet qu'il écrivit à La Mothe Le Vayer nous révèle ce que ses plus sérieuses comédies même ne laissaient pas soupçonner; ce plaisir qu'il trouvait dans les larmes, en se disant, comme Ovide: Est quædam flere voluptas. C'était en 1664, La Mothe Le Vayer venait de perdre son fils, qui avait été l'un des meilleurs amis de Molière. Celui-ci s'empressa de lui adresser, avec un sonnet qu'on trouvera plus loin, la lettre que voici, retrouvée par M. Monmerqué dans les manuscrits de Conrart, à l'Arsenal: « Vous voyez bien, Monsieur, que je m'écarte fort du chemin qu'on suit d'ordinaire en pareille rencontre, et que le sonnet que je vous envoie n'est rien moins qu'une consolation. Mais j'ai cru qu'il fallait en user de la sorte avec vous, et que c'est consoler un philosophe que de lui justifier ses larmes, et de mettre sa douleur en liberté. Si je n'ai pas trouvé d'assez fortes raisons pour affranchir votre tendresse des sévères leçons de la philosophie, et pour vous obliger à pleurer sans contrainte, il en faut accuser le peu d'éloquence d'un homme qui ne saurait persuader ce qu'il sait si bien faire. >>

Molière connut ces mêmes douleurs dont il console ici La Mothe Le Vayer en lui conseillant les larmes, et l'une de ses œuvres reçut, comme toujours, la confidence de cette peine.

Il eut trois enfants dont un seul, une fille, survécut. La mort de l'aîné, qui était un fils, lui fut un profond chagrin. Quand eut-il le malheur de le perdre? On ne le sait; mais ce qu'il fait dire au père de sa Psyché, dont le cœur souffre d'une peine semblable, indiquerait que l'époque où il fit sa part dans cette pièce est celle aussi où son fils lui fut enlevé.

Il en est toujours ainsi avec lui. Si un fait de sa vie échappe, on peut, en cherchant bien, le retrouver dans ses œuvres. Par ses œuvres, on connaît son cœur; par son cœur, on connaît sa vie. Ce premier fils devait avoir huit ans à peu près, quand il mourut. C'est assez pour qu'on ait eu le temps de mettre tout son espoir dans un enfant, surtout lorsque, comme Molière, on est contraint de ne demander au ménage d'autres joies que celles de la paternité; surtout lorsque, sachant trop bien que la femme infidèle à son devoir d'épouse ne devra pas en bien remplir d'autres, le père se fait un bonheur d'être, à lui seul, toute une

« הקודםהמשך »