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MONTREUIL

1620 1692

Quel Montreuil? me dit-on. Est-ce Jean de Montreuil, avocat au Parlement, qui fit, en 1606, un poëme de trois cents vers, intitulé le Tombeau de M. Philippe des Portes? Est-ce Bernardin, son second fils, qui écrivit beaucoup d'assez mauvais français sur du grec du Bas-Empire? Est-ce un autre Jean de Montreuil, fils aîné de Bernardin, ou bien est-ce son frère Mathieu? C'est celui-ci, puisqu'il nous faut un poëte. Quant à son frère, le second Jean, dont nous aurons à parler à cause de lui, c'est quelqu'un de l'Académie, comme on disait alors.

Il était facile de se perdre dans cette confusion des Montreuil. L'abbé d'Artigny1 qui, avant nous, voulut la débrouiller, faillit ne pas s'y retrouver. « Voilà, dit-il comme soulagé, après avoir laborieusement dressé sa liste, voilà tous les Montreuil que j'ai pu découvrir. On voit qu'il est aisé de s'y tromper et de prendre l'un pour l'autre. »

On ne sait pas au juste en quel endroit ni à quelle époque naquit Mathieu de Montreuil; on pense toutefois que ce fut en Bretagne, vers 4620 2. Il fut abbé, mais seulement pour le bénéfice, ce qui ne l'empêcha pas d'avoir grand équipage 3, de porter fièrement l'épée, de courir les aventures, et surtout de faire l'amour. On trouve une passion à chaque coin de sa vie. Il voyagea beaucoup; or, quelqu'un l'a dit, « il changeoit de maîtresse comme de séjour 5. » Il avait tout ce qu'il faut pour plaire partout : « Une physionomie revenante 6; » de belles dents, auxquelles il tenait fort; de l'esprit qu'il gaspillait en pro

1 Nouveau Mémoire d'histoire, de critique et de littérature, 1752, in-8, tom. V, p. 230-233. 2 Michanlt, Mélanges historiques et philosophiques, 1754, in-12, 3 Montreuil, OEuvres, p. 25, 82. tom. I, p. 87. — 6 Id., p. 90.

t. I, p. 87.

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Id., p. 98-99.- Michault.

digue, mais non plus volontiers que son argent, « car sa volupté étoit d'un gros entretien 1; » un vif désir de plaire et un grand talent pour se faire aimer, ce qui n'est pas, comme il l'a dit, « un mauvais signe qu'on est aimable; » puis voltigeant sur tout cela une étourderie de linotte, qui d'avance justifiait ses inconstances, en laissant croire qu'elles n'étaient que les oublis d'un distrait; beaucoup de cœur au fond, et du plus tendre, du plus sensible, ce qui l'eût rendu parfois bien malheureux, si son étourderie à tire-d'aile ne l'eût toujours sauvé. Il lui arrive de se dire triste, mélancolique 3, et il faut le croire. Sa mélancolie ne dura peut-être que le temps qu'il met à en parler, mais, tout ce temps-là du moins, elle est sincère. La meilleure preuve qu'il a vraiment du cœur en amour, c'est qu'il en demande à celles qu'il aime. Plus de bel esprit alors; il en oublie la langue du moment qu'il aime bien, et il supplie qu'on ne la lui parle pas. « Ne vous amusez plus, dit-il par exemple à une femme qui croyait devoir se mettre en de tels frais pour lui, ne vous amusez plus à m'écrire des lettres si belles. Quand elles ne viennent que de votre esprit, elles ne vont point à mon cœur. >>

Toute son histoire est dans ses amours. Que fait-il pendant la Fronde? Il aime. Il est pourtant déjà d'âge raisonnable; et il serait bon qu'en raison de son rang, il prit parti pour l'une ou l'autre cause. Ce ne sont point là ses affaires; il veut bien une fois, une seule, parler politique, et s'expliquer sur M. le Prince, qui, par ses façons de rebelle, gâte un peu sa gloire de vainqueur; mais il n'en écrit que quelques lignes à peine. Tout s'arrangera, il l'espère, et il se console ainsi. Sans l'espérance en effet, où en serait-on? « Il faudrait, dit-il, songer que nous pourrions manquer de pain. » Ce dernier point qui n'est pas sans importance, est pourtant au fond le moindre souci de Montreuil. Pourvu qu'on l'aime, il passera sur tout, même sur la famine. Ses amours sont à Paris, et les troubles, en occupant la curiosité des importuns, lui laissent, auprès de sa belle, les plus heureux loisirs; il aime donc la guerre civile, et ne craint rien tant que de la voir finir:

Toute la France a beau se plaindre, et désirer
Que la guerre finisse et qu'on quitte les armes.
En l'état misérable où m'ont réduit vos charmes
Il ne faut que cela pour me désespérer.

1 Michault, tom. I, p. 88. - 2 Montreuil, OEuvres, p. 138.— 3 Id., p. 11, 103.

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En retardant la paix, c'est ma mort qu'on retarde.
Cette ville à mes yeux n'aura plus rien de doux.
Votre père importun n'ira plus à la garde,
Et moi, belle Philis, je n'irai plus chez vous.

C'était bien en effet pour contenter mes yeux,
Que dans votre balcon je vous demandais place;
Mais vous seule, Philis, me rendiez curieux,
Non le bourgeois armé, qui passe et qui repasse.

Quand on a vu deux fois filer dans une rue

Des gens et des chevaux, on en est bientôt las:
Mais vous, lorsqu'en un jour cent fois je vous ai vue,
Je songe que demain je ne vous verrai pas.

A présent que je suis auprès de vos tisons,
Au seul bruit d'un tambour on court à la fenêtre;
Vos servantes, vos sœurs, tout vient à disparaître,
Et l'on n'écoute plus ce que nous nous disons.

Accuse qui voudra mon cœur de barbarie,
De pouvoir sans pitié voir tant de malheureux,
L'amour ne reconnaît ni parents, ni patrie;
Je ne suis pas cruel, mais je suis amoureux.

Qu'on pille dans les champs les maisons de ma mère,
Et que tous les fermiers ne lui payent plus rien,
Que m'importe cela? Philis, laissons-les faire,
Pourvu que vous m'aimiez, je n'ai que trop de bien.

Qu'on prenne nos convois, qu'on manque de farine,
Que le pain, hors de prix, augmente chaque jour,
Ce n'est pas mon souci; je crains peu la famine,
Je sais bien que mon sort est de mourir d'amour.

On ne sait de quelle maîtresse Montreuil parle dans ces vers. Il y a pour lui confusion d'amours, comme de pseudonymes. Mais c'est dans la magistrature qu'il semble avoir surtout promené ses bonnes fortunes. Celle qui compta le plus, du moins pour la durée, fut sa longue aventure avec la sénéchale de Rennes. Il la voyait en Bretagne, il la voyait à Paris; et le mari étant toujours là, les entraves continuelles de cet amour en expliquent la constance. Montreuil était toute passion, comme en rendirent témoignage les petits vers en grand nombre qu'il fit pour la sénéchale et que le libraire Sercy glana pour ses Recueils, sans dissimuler, en les publiant, le nom de l'adorateur ni celui de l'adorée. Plus tard, Montreuil rassembla lui-même toutes ces pièces éparses, débris d'un amour passé, mais il oublia le nom de celle qu'il avait .

aimée dans ces vers, et qu'il n'aimait plus. Toutes celles à qui son cœur était allé depuis purent croire que ces madrigaux, sans adresse, avaient été faits pour elles! L'erreur était d'autant plus facile, qu'il y est souvent parlé d'un mari importun, et que chacune de ces belles, courtisées par Montreuil, traînait cette gêne après soi. Il aima beaucoup dans les ménages. Après la sénéchale de Rennes, peut-être bien en même temps, il eut une liaison de cœur avec certaine dame restée inconnue, et dont, chose singulière, l'infidélité semble avoir devancé la sienne. Montreuil en fut piqué; il voyait bien que si on le quittait, ce n'était pas pour retourner au mari; il sentait un autre amour sous jeu : « Ou vous avez déjà un amant, lui écrivit-il, ou vous en ferez bien tost. Je connois la nature de ces choses-là. Quand on a une fois aimé bien tendrement, on aime toute sa vie; et quand on se voit le cœur vuide d'une belle passion, on la remplit d'une autre. Un mary ne va point jusque-là; l'amour d'un mary est trop tiède pour bien occuper cette place, surtout à une femme de votre humeur. Vous êtes de toutes les dames, que je connois la moins propre à faire l'amour en faisant votre devoir 1. »

Madame Burin n'était pas de même; elle connut le devoir avant l'amour, et ce fut la faute du mari si l'un lui fit oublier l'autre. La manie de M. Burin, par malheur, était, si je puis parler ainsi, le dilettantisme du bel esprit; il sentait que sa femme en avait autant et plus que personne, mais à bas bruit, sans être connue; et, pour sa gloire, il lui tardait qu'elle le fût. A ce Candaule de la préciosité il fallait un Gigès; ce fut Montreuil. D'abord notre commis, M. Burin n'était pas en effet autre chose près de M. Jérôme de Nouveau de Fromont, surintendant des postes 2, mena sa femme chez Ninon. C'était, de prime saut, la faire entrer dans le grand jeu de la galanterie; elle tint bon, et, sincèrement vertueuse, elle sembla ne plus vouloir hanter le bel esprit qui se donnait une telle maison pour sanctuaire. Le mari ne se rebuta point; il introduisit chez lui ce que sa femme ne voulait pas aller chercher dehors: « Ce fut, dit Tallemant brusquant l'indiscrétion comme toujours 3, ce fut Burin qui mena Montreuil à sa femme, disant qu'il falloit attirer les gens d'esprit. Elle ne songeoit pas avant cela à la galanterie. » Ce qui veut dire que depuis elle y songea beaucoup. Qu'arriva-t-il en effet? « Peu de chose, écrit M. Paul Mantz, dans une excellente notice sur notre poëte; Montreuil fut trop bien

1 OEuvres, p. 13-14. 2 Ch. Livet, Dictionnaire des Précieuses, t. II, p. 184. 3 Tallemant, Historiette de madame de Champie. — L'Artiste, 1849, p. 29.

reçu, et c'est justice! Il n'est pas mauvais qu'on démontre parfois aux maris complaisants que, pour les galantes escalades, les gens d'esprit, quoi qu'on dise, sont presque aussi dangereux que les imbéciles. »

Les hantises de Montreuil chez Burin, et le bon accueil que lui faisait la dame, ne furent bientôt plus un secret pour personne. Les vers qu'en étourdi. Montreuil laissa courir, achevèrent de révéler ce que ses visites avaient trahi. Ce fut bientôt chose si avérée que Somaize luimême en parla dans son Dictionnaire des Précieuses1, avec des réticences, il est vrai, mais faites de telle sorte que leur demi-jour éclaire toute la vérité. Voici l'article qu'il consacre à Montreuil dans son livre. Il l'appelle Mitrane, et le nom de Bertraminde déguise celui de madame Burin.« Mitrane, dit-il, est d'une profession qui semble estre attachée à la galanterie; aussi est-ce un fort galant homme. Il a un art tout particulier pour se faire estimer des dames; entre autres Bertraminde est une de celles dans la confidence de qui il a esté le plus avant; je ne voudrois pas dire qu'il en ait esté aimé, car je jure qu'il ne m'en a jamais fait confidence; mais je sçais bien qu'il a fait des vers fort touchants et fort estimez de tout le monde, que l'on disoit estre faits à ce sujet. Il réussit admirablement en matière de tendresse, et se tire à son honneur de tout ce qu'il entreprend dessus d'autres matières. » Si, touchant le dernier point, ce que dit Somaize est vrai, il serait prouvé une fois de plus que l'étourderie dans les manières ne nuit pas autant qu'on pourrait le croire au sérieux de l'esprit, et que la grande adresse est peut-être de concilier l'un avec l'autre, c'est-à-dire, comme l'a écrit Montesquieu, « d'être sage et de paraître fou. » Montreuil, à ce compte, avait au moins la moitié de la sagesse. Madame de Sévigné, qui le connut beaucoup, ne parle jamais de lui sans quelque moi sur son air éventé. Montreuil, dit-elle, par exemple, est douze fois plus étourdi qu'un hanneton. Tallemant n'en dit pas moins; l'on sait par lui que la folie de Montreuil servoit à le faire distinguer de ses frères : « Montreuil surnommé le fou, » écrit-il 2, et il ajoute « le fou de madame Burin. >>

Folie et indiscrétion sont assez germaines; celle-ci se donne même d'autant plus de licence qu'elle espère que l'autre sera son excuse. Montreuil était donc un grand indiscret; il ne fallait lui confier, comme on dit, que les choses à perdre, et encore trouvait-il moyen quelquefois de perdre ce qu'on ne lui confiait pas. En 1646, Ménage, qu'il connaissait

1 Édit. de Ch. Livet, tom. I, p. 152. - 2 Tallemant, Historiette de Conrast.

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