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tions, de la vue des ruines, jamais cependant le poëte ne tombe dans le lieu commun; tout y est rajeuni par une fantaisie féconde, par une forme généralement correcte et toujours précise et brève, avec une facilité magistrale, facilité que plusieurs trouvaient excessive, mais qu'il défiait avec raison ses adversaires d'imiter. Le sonnet revêt chez lui tous les caractères: tantôt il développe une seule grande image qui arrive avec le dernier vers à sa perfection, tantôt il indique seulement trois ou quatre métaphores qu'il résume et interprète dans le dernier tercet; là, une série d'oppositions d'hémistiche à hémistiche, ou bien une suite de pensées mélancoliques d'où s'élève à l'improviste une fusée d'ironie; ailleurs, un tableau de la vie ou une pensée philosophique largement rendue, et qui, par un retour subit du poëte sur lui-même, prend corps et devient une vivante réalité.

Mélancolie et satire, ces deux notes fondamentales si souvent réunies par Du Bellay dans la phrase mélodique du sonnet, se retrouvent, dans d'autres morceaux, séparées: la mélancolie, exagérée par moments jusqu'à l'humeur noire dans la Complainte du Désespéré; la satire dans le poëte courtisan, fine et mordante plaisanterie où l'on pressent Régnier, et qui dut faire passer une mauvaise nuit à Mellin de Saint-Gelais, malgré l'hommage que Du Bellay lui rend quelque part:

Mellin, que France avoue encore, 1

Des Muses le premier honneur.

La mélancolie et la satire, qui semblent peu conciliables dans le même poëte, émanent d'une même source, des froissements causés à cette nature douce et rêveuse par l'opposition de la vie et de l'idéal; sentiment rare à l'époque de Du Bellay, dans ce siècle positif où tout est tumulte, passion et guerre, jusque dans la littérature.

Après avoir sonné la charge et vu le premier feu, Du Bellay rentra dans le repos pour lequel il était fait; il écrivit par instinct, non par système, et n'affronta pas les grands genres; il les laissa à Ronsard. Celui-ci est en réalité le général qui soutient jusqu'au bout la campagne et succombe sous les lauriers dont la France et l'Europe, les vrais et les faux poëtes, l'accablent à l'envi. Du Bellay n'est plus même son lieutenant, il s'est retiré de l'arène; il admire, il encourage, mais ne se bat plus. Au besoin, il se porterait comme conciliateur, il serait le Mélanchton de ce Luther; Mélanchton dévoué, dont le génie étonné s'incline sincèrement devant les aberrations les plus énormes de son puissant, de son savant ami. Ne rions pas trop si cette admiration

porte à faux, et s'il pousse, jusqu'à vouloir être sourd comme Ronsard, un culte dont l'idole sera renversée demain. Depuis le jour où Du Bellay encore ignorant rencontra Ronsard dans une hôtellerie sur la route de Poitiers, et, enfanté par lui à la vraie religion poétique, le suivit à l'école de Daurat, cette amitié a été son plus sûr soutien; son enthousiasme pour Ronsard tenait à autre chose qu'à un amour peu éclairé de la poésie; il avait pour racine un noble sentiment de la dignité littéraire, du respect que doit à sa langue, à sa pensée, à ses travaux, à ses lecteurs, celui qu'un vrai génie ou même une illusion, qui n'est pas non plus sans noblesse, destine à parler aux autres.

On sait pourtant que Ronsard, irrité par une espièglerie de Du Bellay, faillit donner au public la comédie d'une action intentée en justice pour larcin de secret poétique. Ronsard se méprenait; la manière antique, celle qui surtout lui a porté malheur, n'était pas celle que Du Bellay pouvait cultiver; il prêche aux autres le sac et le pillage des anciens, mais il s'en abstient; quelques idées de philosophie élégiaque, quelques lieux communs horatiens, un innocent appareil de mythologie, voilà tout ce qu'il leur emprunte. Il ne parle pas en français, grec et latin; ses odes, ses hymnes (car il a bien fallu qu'il s'y essayât aussi) sont des morceaux dans différents mètres, souvent heureux, où il ne déploie jamais ces grandes ailes qui emportaient Ronsard si loin du bon sens. Des images d'une nouveauté inattendue, des stances qui rappellent celles de Malherbe à Duperrier ou tel passage des chœurs d'Athalie, une évocation de la Seine au triomphe d'Henri II qui fait penser à la personnification du Rhin dans Boileau, voilà quelques-unes des surprises que ces odes nous ménagent. Une surprise moins agréable, ce sont quelques hymnes chrétiens, des invectives contre les infracteurs de la foi, une dévote exécration sur l'Angleterre; seules concessions qu'il ait faites à ceux qui voulaient lui faire obtenir le bonnet d'archevêque.

Du Bellay était trop païen pour être théologien. Il était plus nourri de Tibulle que de saint Augustin, des Dialogues de Platon que de la Somme de saint Thomas; il avait récité les chansonnettes d'Anacréon plus souvent que les antiennes. Les Jeux rustiques surtout respirent ce ton de païen de la décadence. On y a relevé avec raison plusieurs pièces ravissantes. Ce sont les frivolités gracieuses d'un Grec attardé qui, malgré les prédications de saint Paul, reste fidèle à la religion des poëtes et que ramènent par habitude aux autels du passé le sourire de Vénus, la fraîcheur enchanteresse des bois où Palès et Pan restent abrités contre les fureurs du culte nouveau.

Du Bellay s'était, autant qu'aucun autre poëte de la Pléiade, pénétré de l'esprit ancien; mais il se garda sagement, sans calcul toutefois, de vouloir lui-même en reproduire les formes poétiques. Je ne sais s'il assistait à la bacchanale païenne de 1552, par laquelle fut célébré à Auteuil le triomphe tragique de Jodelle. Peut-être était-il déjà parti pour Rome; mais s'il s'est trouvé à cette orgie poétique, il me semble le voir, tandis que ses amis couronnent le bouc aux cornes dorées, rougissent le sol de libations à Bacchus, balbutient dans l'ivresse les cris des Ménades, il me semble le voir se tenir à part, les regarder faire et sourire.

C.-L.

SONNETS

Vous qui aux bois, aux fleuves, aux campagneš,
A cry, à cor, et à course hastive

Suyvez des cerfs la trace fugitive,
Avecq' Diane, et les nymphes compagnes :

Et toy, ô Dieu, qui mon rivage bagnes 1,
As-tu point veu une nymphe craintive,
Qui va, menant ma liberté captive,

Par les sommets des plus hautes montagnes?

Hélas, enfants! si le sort malheureux
Vous monstre à nu sa cruelle beauté,
Que telle ardeur longuement ne vous tienne!

2

Trop fut celuy chasseur avantureux,

Qui de ses chiens sentit la cruauté,
Pour avoir veu la chaste Cynthienne 3.

Seul et pensif par la deserte plaine
Rêvant au bien qui me fait douloureux,
Les longs baisers des colombs amoureux,
Par leur plaisir, firent croistre ma peine.

Heureux oiseaux que vostre vie est pleine
De grand' douceur! ô baisers savoureux!
O moy deux fois et trois fois malheureux,
Qui n'ay plaisir que d'esperance vaine !

Voyant encor, sur les bords de mon fleuve,
Du sep lascif les longs embrassemens,

4

De mes vieux maux je fis nouvelle espreuve.

1 Baignes.

C'est-à-dire, ce chasseur (Actéon) fut trop aventureux qui...

. 3 Diane. - Cep (de la vigne).

Suis-je donc veuf de mes sacrez rameaux? O vigne heureuse, heureux enlacemens,

O bord heureux, ô bien heureux ormeaux!

Si nostre vie est moins qu'une journée
En l'Éternel, si l'an, qui fait le tour,
Chasse nos jours sans espoir de retour,
Si perissable est toute chose née;

Que songes-tu', mon ame emprisonnée ?
Pourquoy te plaist l'obscur de nostre jour,
Si, pour voler en un plus cher sejour,
Tu as au dos l'aile bien empennée '?

Là est le bien que tout esprit desire,
Là le repos où tout le monde aspire,
Là est l'amour, là le plaisir encore :

Là, ô mon ame, au plus haut ciel guidée,

Tu y pourras recognoistre l'idée

De la beauté qu'en ce monde j'adore.

Comme souvent des prochaines fougères Le feu s'attache aux buyssons, et souvent, Jusques aux bleds, par la fureur du vent, Pousse le cours de ses flammes legères;

Et comme encor ces flammes passagères Par tout le bois trainent, en se suyvant, Le feu qu'au pied d'un chesne auparavant Avoyent laissé les peu cautes bergères;

2

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