Parmi tant de périls divers, De vos faits allongez l'histoire; Tous les étés, une victoire, Pour la France et pour votre gloire, RONDEAUX Ma foi, c'est fait de moi, car Isabeau Cela me met en une peine extrême. En voilà cinq pourtant en un monceau. Si je pouvais encor de mon cerveau En bon français politique et dévot, A tout propos, vous faites le bigot, Pleurant nos maux avecque maint sanglot, Et votre cœur espagnol se déguise En bon français. Laissez l'État et n'en dites plus mot, SONNETS Il faut finir mes jours en l'amour d'Uranie; Dès longtemps je connais sa rigueur infinie; Quelquefois ma raison, par de faibles discours, M'invite à la révolte et me promet secours; Mais, lorsqu'à mon besoin je veux me servir d'elle, Après beaucoup de peine et d'efforts impuissans, Elle dit qu'Uranie est seule aimable et belle, Et m'y rengage plus que ne font tous mes sens. Des portes du matin l'amante de Céphale Ses roses épandait dans le milieu des airs, Et jetait sur les cieux nouvellements ouverts Ces traits d'or et d'azur qu'en naissant elle étale; Quand la nymphe divine, à mon repos fatale, Apparut, et brilla de tant d'attraits divers Qu'il semblait qu'elle seule éclairait l'univers, Le soleil, se hâtant pour la gloire des cieux, L'onde, la terre, et l'air s'allumaient alentour, IMPROMPTU La reine Anne d'Autriche, rencontrant Voiture dans les jardins de Rueil, lui demanda à quoi il pensait; le poëte lui répondit par les vers suivants: Je pensais que la destinée, Mais que vous étiez plus heureuse Je pensais (nous autres poëtes Ce Vous avisiez dans cette place Venir le duc de Buckinghan, « O l'admirable tempérament que celui du complaisant M. Colletet! « On ne l'a jamais vu en colère; et en quelque état qu'on le rencontrât, «< on auroit jugé qu'il étoit content et aussi heureux même que Sylla << qui se vantoit de coucher toutes les nuits avec la fortune. Nous << allions manger bien souvent chez lui, à condition que chacun y feroit « porter son pain, son plat, avec deux bouteilles de champagne ou de « bourgogne; et par ce moyen, nous n'étions point à charge à notre « hôte. Il ne fournissoit qu'une vieille table de pierre, sur laquelle « Ronsard, Jodelle, Belleau, Baïf, Amadis, Jamyn, etc., avoient fait ent << leur temps d'assez bons repas. Et, comme le présent nous occupoit <«< seul, l'avenir et le passé n'y entroient jamais en ligne de compte. « Claudine avec quelques vers qu'elle chantoit, y choquoit du verre avec « le premier qu'elle entreprenoit, et son cher époux, M. Colletet, nous « récitoit dans les intermèdes du repas, ou quelque sonnet de sa façon, « ou quelque fragment de nos vieux poëtes, que l'on ne retrouve point « dans leurs livres. << C'est assurément un grand dommage que la Vie des poètes, qu'il «< avoit faite, ait été perdue. Il en avoit connu quelques-uns, et par << tradition qui étoit pour lui de fraîche date, il savoit de certaines par<«ticularités dont il pouvoit seul nous informer. Ceux qui se propo<< soient de travailler à son inventaire m'ont assuré qu'il leur en avoit « évité la peine et qu'il n'avoit laissé à Monsieur son fils que le nom de « Colletet pour tout héritage! >> Cette page, que je transcris du Chevræana, m'a toujours rempli d'attendrissement. C'est un petit tableau complet, charmant, touchant même. On voit ce digne homme, il n'était plus déjà très-jeune alors, - festinant joyeusement et sans façon avec ses amis et sa femme, dans sa maison, la maison de Ronsard! qu'il avait achetée par piété dans un moment de richesse, et que la détresse le força plus tard à revendre ; interrompant le service pour parler de ses vers et de ceux des autres et mêlant ainsi sa passion pour la poésie aux plaisirs de la table et aux douceurs de l'amitié; sans embarras de sa pauvreté, qui ne lui permettait d'offrir à ses convives que la table littéralement et sa bonne humeur: «< Car, dit Chapelain dans ses lettres, il a passé sa vie dans l'innocence entre Apollon et Bacchus, sans souci du lendemain, au milieu des plus fâcheuses affaires. >> La matinée avait été bien remplie car Colletet était grand travailleur. Passionné pour la poésie, il se fit archéologue pour en écrire l'histoire. Cette vie des poëtes français que Chevreau croyait perdue et qui vient seulement après deux cents ans de trouver un éditeur, est le premier travail d'ensemble qui ait été entrepris sur notre poésie nationale. C'est un ouvrage considérable, plein de recherches, de particularités, d'érudition, et dont plus d'un s'est servi, qui ne s'en est point vanté. Il savait autant que personne de son temps l'italien et l'espagnol; et il est intéressant de lui voir citer dans ses traités didactiques de poésie, non-seulement Pétrarque, mais Dante que, certes, bien peu de ses contemporains avaient lu. Il a traduit du grec le roman des Amours d'Ismène et d'Isménie, d'Eustathéus; du latin, le poëme des Couches de la Vierge, de Sannazar, la Doctrine chrétienne, de saint Augustin, les Éloges des hommes illustres, de Gaucher de Sainte-Marthe, le Discours, d'Anne Schurmann, sur l'éducation des femmes. Et malgré tant de travaux, la poésie, ses amours, fut toujours sa principale occupation. Luimême, il a peint sa vie dans ce vers: Mais quand l'utile prose a terminé sa tâche... Vous voyez d'ici le laborieux poëte, hâtant sa besogne pour revenir plus vite à ses chers loisirs, au travail libre et savoureux de l'inspiration. Colletet, par l'étendue de son savoir et par la variété de ses aptitudes, représente, mieux qu'aucun autre de son temps, le type de l'homme de lettres, tel que nous le concevons à présent; c'est-à-dire un homme confondant le plaisir et l'étude et sachant trouver la satisfaction de ses goûts à travailler pour le public. Il est l'ancêtre de tous les polygraphes du XVIII siècle et du nôtre, des Fontenelle, des La Harpe et des Charles Nodier. Il y a du Voltaire en lui; et les fameuses stances à madame du Châtelet: Si vous voulez que j'aime encore, trouveraient plus d'un pen |