תמונות בעמוד
PDF
ePub

« Recipe Boisrobert. » Comment Richelieu eût-il résisté? Il У allait vraiment de sa santé, de sa gaieté, de sa vie. Boisrobert reparaissait donc au Palais-Cardinal, à la résidence princière de Limours, et dans les cabinets des reines, aux belles heures du cercle, où, par de bons contes, par ses plaisantes grimaces de mime habile à singer tous les ridicules, par son abondante provision de nouvelles curieuses, et surtout par ses airs de naïveté jouée, de bêtise endormie, le matois normand déridait en un clin d'œil les plus augustes et les plus sévères visages. Il triomphait dans ce rôle et s'y complaisait, quoi qu'il en ait pu dire. Je me garde bien de prendre au sérieux cette ode champêtre adressée à Balzac, où il prétend avoir goûté plus de bonheur

Entre la Charente et la Touvre

Que le roi n'en a dans son Louvre.

On peut croire qu'il s'est diverti un instant loin de Paris à boire à longs traits chez son illustre confrère

De ce vin délicat et frais

Sur le bord de cette fontaine.

Mais quand il s'écrie tout à coup, dans un bel enthousiasme de courtisan lassé :

Adieu, jardins de musc et d'ambre,

Je m'en vais encore à la Cour

Faire le badin tout le jour

Sur le coffre d'une antichambre,

je n'ajoute pas plus de foi à ses regrets qu'aux déclarations d'amour qu'il envoie par son petit laquais aux Florice, aux Chrysanthe, aux Crimène, aux Lisimène, aux Parthénice: «Ne me refusez pas l'honneur, en cette extrémité, de mourir par vos propres mains, » ou bien encore « Je perds le courage et la parole, et si vous ne me rendez l'un et l'autre par un prompt commandement de vous voir, je perds la vie. » Tout cela, galanterie en l'air, devoir de courtisan, et pur badinage de bel esprit! Aimerait-il un peu cette petite reine de village, cette mignonne aux blonds cheveux, le « petit bavolet, dont le visage n'est pas laid »? Oh! que non pas! François Métel de Boisrobert, le conseiller d'État, l'abbé de Châtillon, l'un des cinq auteurs des pièces du cardinal, l'héritier désigné du comique Scarron, n'aime réellement que le jeu, la table et les spectacles. Sa passion pour la comédie l'avait fait surnommer l'abbé Mondori, du nom d'un fameux comédien de ce temps. « Voilà, disait-on, en le montrant du doigt dans une

église, voilà l'abbé Mondori qui doit prêcher ce soir à l'hôtel de Bourgogne. >>

L'abbé de Boisrobert, malgré ses deux disgraces, fut peut-être le plus heureux des littérateurs de son temps. Il était né coiffé, comme le dit épigrammatiquement Claude de Maleville, dans son fameux rondeau. Des nouvelles, des épîtres, des comédies, des lettres galantes,⚫ des odes panégyriques, nous n'avons absolument rien à citer: mais dans le recueil de Toussaint Du Bray, où son nom figure à côté de ceux de Malherbe, de Racan, de Maynard, nous trouvons une très-jolie pièce, remplie de gaieté, d'observation, d'ironie adroite et de franches peintures comiques, l'Hiver à Paris. Pour donner au lecteur une idée des belles conversations de Boisrobert, nous citons ici tout entière cette brillante pièce adressée au comte d'Avaux. Boisrobert n'était presque pas un écrivain: c'était, comme le disait Richelieu, un solliciteur des Muses, c'était surtout un causeur.

HIPPOLYTE BABOU.

L'HIVER A PARIS

A MONSIEUR D'AVAUX, MAITRE DES REQUÊTES

D'Avaux, qui me vois tout transi,

Trouves-tu pas ce froid ici

Plus grand que celui de décembre,

Et qu'il fait meilleur dans ta chambre,
Le dos tourné devers le feu,
Passer le temps à quelque jeu,
Rire, et se provoquer à boire,
Que, pour aller chercher la foire,
Passer, comme je fais souvent,
Sur le Pont-Neuf, le nez au vent?
L'air qu'on y respire est de glace,
On n'y peut marcher sans grimace,
Le manteau tout autour du cou,
Le nez caché comme un filou,

Qui guette, quand les jours sont troubles,
La laine au bout du Pont-aux-Doubles,
Les doigts dans les ongles gênés,
Et la roupie au bout du nez.
Cette froidure est bien étrange,
Qui fait des rochers de la fange,
Qui fond les massifs fondements
Des plus assurés bâtiments,
Et se roidit contre la Seine

Qui ne va plus qu'avecque peine.
Tout se ressent de son effort.
Les bateaux sont cloués au port;
La Samaritaine enrhumée
N'a plus sa voix accoutumée,
Sa cruche sèche jusqu'au fond
Ne verse plus d'eau sur le pont;
Les moulins, sans changer de place,
Demeurent oisifs sur la glace,
Les crocheteurs demi-troublés
Rappellent, à coups redoublés,
Toutes leurs chaleurs naturelles,
Frappant des bras sous les aisselles;
Les misérables porteurs d'eau,
Tremblants en l'attente du seau

Qui se remplit dans la fontaine,
Chauffent leurs mains à leur haleine;

Les plus pénibles artisans,
Partout chagrins et déplaisants,

Demeurent avec leurs pratiques,

Les bras croisés dans les boutiques.
Les pauvres, gelés et transis,
Contre la terre mal assis,

Aux lieux publics, d'une voix lente,
Et d'une main sèche et tremblante,
Demandent l'aumône aux passans;
Mais le froid leur glace les sens.

Les dames ne font plus la presse, Comme elles soulaient, à la messe ; Celles qui s'écartent du feu, La lèvre pâle et le nez bleu, Paraissent toutes morfondues, En carrosse, au milieu des rues: Celles qui restent aux maisons, Troussent leurs jupes aux tisons, Et, devant le chien et la chatte, Montrent leur cuisse délicate. Le courtisan, tout tailladé, Gèle dans son satin brodé. Ceux que la pauvreté dispense De se porter à la dépense, De bonne heure se vont coucher, Parce que le bois est trop cher. On voit la bourgeoise proprette, Avec sa petite soubrette, Qui trottent comme des souris, Dessus le pavé de Paris;

Les carrefours sont sans tripières, Les sergens quittent leurs barrières, Les femmes qui vendent du fruit, Au marché ne font plus de bruit. Tout divertissement nous manque ; Tabarin ne va plus en banque; L'hôtel de Bourgogne est désert: Chacun se tient clos et couvert,

Et moi, d'Avaux, j'en fais de même,
Car j'ai le visage si blême

Du froid que je viens d'endurer,
Que je suis contraint d'en pleurer;
Et, bien que je sois à mon aise
Auprès de toi, devant la braise,
Pour te conter ces accidents,
J'ai peine à desserrer les dents.

JEAN CHAPELAIN

1595- 1674

Jean Chapelain, de l'Académie française, est un exemple mémorable des vicissitudes de la renommée littéraire. Considéré pendant sa vie comme le parangon du génie et du savoir, oracle des cercles les plus vantés et les moins accessibles, de l'hôtel de Rambouillet comme de l'hôtel de Longueville, consulté par Colbert, honoré par les cardinaux de Richelieu et de Mazarin, accueilli par les grands, recherché et loué par ses confrères, il s'est vu en quelques années dépouillé de tout prestige et même de toute gloire, et ravalé au rang des écrivains médiocres et ridicules. Il ne faut pas faire aux seules épigrammes de Boileau tout l'honneur de cette décadence: Boileau, dans tout ce qu'il a écrit sur les poëtes de la fin du xvre siècle et du commencement du xvII, n'a été que l'interprète d'une révolution de l'opinion publique, révolution pour ainsi dire fatale, et causée précisément par l'importance subite acquise aux jugements du public sur les ouvrages de poésie et de littérature. La découverte de l'imprimerie, en multipliant progressivement le nombre des lecteurs, rendit tributaires du public les écrivains et les poëtes qui auparavant n'avaient relevé que de leurs pairs, c'està-dire des experts et des savants. Les experts n'exigeaient d'eux que d'exceller en prose ou en vers le public leur imposa, pour première loi, d'être clairs et agréables; tel est, en deux mots, le sens de cette révolution dont Boileau fut non le promoteur, mais l'interprète, ce qui suffit encore à sa gloire. La pédanterie fut mise en déroute, mais non sans quelques pertes pour l'art: il suffit, pour s'en convaincre, de comparer les poëtes d'avant Boileau, les contemporains de Régnier et de Malherbe, aux poëtes de la fin du siècle et du siècle suivant, aux Senecé, aux La Fare, aux Chaulieu, aux Dorat, etc. Aussi est-il arrivé que, si les

« הקודםהמשך »