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Tes désordres sont grands; tes vertus sont petites,

Parmi tes maux on trouve peu de bien;

Mais si le bon Jésus te donne ses mérites,

Espère tout et n'appréhende rien.

Mon âme, repens-toi d'avoir aimé le monde, Et de mes yeux fais la source d'une onde Qui touche de pitié le monarque des rois.

Que tu serais courageuse et ravie

Si j'avais soupiré, durant toute ma vie,
Dans le désert, sous l'ombre de la croix !

Déserts où j'ai vécu dans un calme si doux, Pins qui d'un si beau vert couvrez mon hermitage, La cour, depuis un an, me sépare de vous, Mais elle ne saurait m'arrêter davantage.

La vertu la plus nette y fait des ennemis.
Les palais y sont pleins d'orgueil et d'ignorance.
Je suis las d'y souffrir, et honteux d'avoir mis
Dans ma tête chenue une vaine espérance.

Ridicule abusé, je cherche du soutien
Au pays de la fraude, où l'on ne trouve rien.
Que des piéges dorés et des malheurs célèbres.

Je me veux dérober aux injures du sort,
Et, sous l'aimable horreur de vos belles ténèbres,
Donner toute mon âme aux pensers de la mort.

JEAN DE SCHELANDRE

45851635

Jean de Schelandre, seigneur de Saumazènes en Verdunois, est de la race des poëtes d'épée, race illustre et vaillante, qui compte en France Thibaut de Champagne et Thibaut de Marly, Eustache Deschamps, Du Bartas, d'Aubigné, Saint-Amand, Scudéry, Racan, Boufflers, Bertin, et que représentent de nos jours M. de Vigny, M. de Molènes, et quelques autres sans doute. Son père, gouverneur de Jametz en 1688, est cité dans l'Histoire universelle de d'Aubigné. Sa famille, alliée à plusieurs maisons illustres, et entre autres à la maison de La Mark, était calviniste. Militaire et huguenot, Schelandre se trouve avoir une double affinité avec l'auteur des Tragiques, dont il fut, bien que né quelque trente ans plus tard, le contemporain. On peut lui en trouver une encore, autrement glorieuse, l'affinité du talent, qui permet de le considérer comme le second poëte de génie que la Réformation ait donné à la France. Né sur le seuil du xvIIe siècle. Schelandre appartient comme poëte au xvie. Colletet, son unique biographe, nous apprend qu'il n'aimait pas Malherbe, dont la poésie lui semblait trop molle et trop efféminée; et qu'il lui préférait Ronsard et Du Bartas, qui, dit-il, après les plus excellents poëtes grecs et latins étoient ses auteurs favoris. Ses vers,

dit encore Colletet, n'ont pas véritablement toute la délicatesse de son siècle, mais ils ont en récompense toute la force du siècle précédent; et comme il n'aimoit que les choses máles et vigoureuses, ses pensées l'étoient aussi. Cette identité de goûts et de doctrine qui achève la ressemblance entre Schelandre et d'Aubigné s'explique par la similitude de leur vie : sol

dats l'un et l'autre, vivant loin de la cour et souvent loin de Paris, ils ne furent poëtes qu'à leurs heures et ne se mêlèrent qu'à distance au mouvement littéraire de l'époque. Les œuvres poétiques de Schelandre étaient rarissimes avant que l'éditeur de la Bibliothèque elzévirienne eût réimprimé, dans le tome VIII de son Ancien Théâtre français, la tragicomédie de Tyr et Sidon, ou les Amours de Belcar et de Méliane, son plus important ouvrage, un drame audacieux et poétique s'il en fut, où deux actions concomitantes s'enroulent de scène en scène comme une double spirale, ou comme les deux serpents du caducée. Le lecteur passe d'une scène à l'autre, de Tyr à Sidon, et de Sidon à Tyr, pour suivre les aventures des fils des deux rois, celui du roi de Sidon, prisonnier à Tyr et amoureux de la fille de Pharnabaze, l'ennemi de son père; celui du roi de Tyr, prisonnier à Sidon et courtisant une bourgeoise galante, dont le mari, vieillard jaloux, le fait assassiner par deux spadassins. L'amour et la guerre, la politique et la fantaisie, le pathétique et le burlesque sont mêlés à hautes doses dans cette tragi-comédie vraiment digne de son nom, coupée par petites scènes à la façon du Goetz de Berlichingen de Gæthe et écrite dans le style ferme et savant des élèves de Ronsard. Il est même telle scène où la comédie empiète sur la parade ou sur la farce, celle par exemple où le vieux Zarate, époux sidonien, courtise un page habillé en femme, chargé de l'entraîner loin de chez lui pour faire le champ libre au prince de Tyr. La variété des tableaux, où la pleine mer succède aux rochers, les palais aux champs de bataille, donnerait une haute idée de l'habileté des machinistes du XVIe siècle, si quelque renseignement pouvait nous faire croire que la pièce ait été représentée: malheureusement rien n'est moins certain. La tragi-comédie de Tyr et Sidon, imprimée pour la première fois en 4608, reparut vingt ans après, précédée d'une préface de François Ogier, prédicateur du Roi, qui est un manifeste des plus surprenants en faveur de la liberté de l'art dramatique. La préface de Cromwell, celle des Études françaises et étrangères d'Émile Deschamps n'en demandèrent pas tant. Il est curieux de retrouver à deux cents ans de date les mêmes idées et les mêmes tendances. Cette coïncidence permettrait peut-être de penser que la doctrine des unités au théâtre n'est point, autant qu'on l'a dit, essentielle au génie français. Nous avons donné nous-même autrefois dans un journal disparu, l'Athenæum, une analyse assez étendue du drame de Schelandre et de la préface de son éditeur; nous n'y reviendrons donc point, d'autant mieux que le texte de l'un et de l'autre peut être aujourd'hui plus facilement rencontré qu'à la date de cet ar

ticle (mai 1854). Nous croyons néanmoins pouvoir citer comme échantillon du style dramatique de Schelandre, et aussi comme pièce à l'appui de nos éloges, quelques vers d'une des principales scènes de l'ouvrage, celle où Abdolonyme, roi de Sidon, déplore les malheurs de la dignité royale et la préférence d'Héphestion qui l'a fait roi contro son désir.

Depuis qu'un vieil ami du vainqueur Macédon
Mit en mes simples mains le sceptre de Sidon,
Combien ai-je tâché d'ombrager nos contrées
Sous l'aile de la Paix, si longtemps désastrées!
Paix! la fille du Ciel, la mère des Vertus,
Le juste cavesson des mutins abattus,

Nourrice des bons arts, saint nœud de concordance,
Trésor de tout bonheur et corne d'abondance;
Paix, qui peuplant la terre en dépit de la mort,
Rends honteux et désert le Charontide port;

O Paix! mon cher désir, qu'ai-je fait pour t'atteindre,
Et pour ce grand brasier dans mon terroir éteindre?
Qu'ai-je fait pour changer nos douleurs en soulas,
Nos corselets en socs, en faux nos coutelas?

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Mais le plus vain désir dont s'abusent tant d'hommes,
C'est dans l'ambition des grandeurs où nous sommes,
Rois gênés de soucis, qui, parmi nos honneurs,
Sommes toujours en butte aux chagrins, aux frayeurs!
Oh! cent fois plus heureux ceux qui passent leurs âges
A guider un troupeau sur l'émail des herbages!
Si leur sceptre n'est d'or, mais de frêne ébranché,
Si leur corps n'est de pourpre, ains de toile caché,
Si pour mets plus exquis ils ont leur panetière,
Leur hutte pour palais, la paille pour litière,
Pour leur suisse un mâtin; si leur nom n'est connu
Qu'en un chétif hameau dont leur tige est venu;
Aussi sont-ils exempts de la mordante envie,
Leur âme en bas état est d'honneurs assouvie,
Ils dorment en repos sans crainte et sans soupçons;
On n'espionne pas leurs humeurs et façons;
Ils n'ont à contenter tant d'avides sangsues
Qui briguent dans les cours des pensions indues;

Ils sont pleiges d'eux seuls, et ne sont obligés
De répondre en autrui du droit des mal jugés;

Ils n'ont soin de méfaits dont ils ne sont pas cause;

Le fardeau d'un État sur leur dos ne fait pause,

Ils ne sont appelés par blâmes différens,
Si paisibles, couards; si justiciers, tyrans!

Citons encore, dans une gamme plus tendre, ce cri de la plaintive Méliane, au moment où elle se croit abandonnée par son amant.

Tu délaisses, ingrat! celle qui, pour te suivre,
Délaissait librement sa natale maison,

Ses grandeurs, ses amis, et son père grison!
O mer!

Fais blanchir hautement les béliers de tes flots,
D'un naufrage apparent fais peur aux matelots.

Je n'ose dire à lui, car il n'est pas croyable!

De telles beautés poétiques, de tels accents nous excuseront peutêtre d'avoir restauré avec quelque soin, pour une galerie de la poésie française, cette vieille toile d'un maitre inconnu.

CHARLES ASSELINEAU.

Les autres ouvrages de Schelandre sont : la Stuartide, poëme dédié à Jacques I, roi d'Angleterre. Paris, 1614; les Sept excellents tableaux de la Pénitence de saint Pierre publiés à Sedan en 1636; enfin les Mélanges poétiques imprimés à la suite de la première édition de Tyr et Sidon (1608). Tout un livre de ces mélanges, les Gayetés, a été réimprimé à la suite d'une Notice sur Schelandre. Paris, 1856. Poulet-Malas-is et de Broise.

ADIEUX A LA VILLE D'AVIGNON

Adieu, beau roc où deux palais dressés

Lèvent en l'air une face tant fière;

Adieu, beau pont; adieu, belle rivière;

Adieu, beaux murs, belles tours, beaux fossés.

Adieu, cité, dont je ne puis assez

Chanter la gloire et l'excellence entière;
Adieu, noblesse; adieu, troupe guerrière,
Amis, témoins des mes travaux passés.

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