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Et parmi les plaisirs faire vivre et mourir.

Formez-vous des desseins dignes de vos mérites:
Toutes basses amours sont pour vous trop petites;
Ayez dessein aux dieux pour de moindres beautés,
Ils ont laissé jadis les cieux déshabités. »

Durant tous ces discours, Dieu sait l'impatience!
Mais comme elle a toujours l'œil à la défiance,
Tournant de çà de là vers la porte où j'étais,
Elle vit en sursaut comme je l'écoutais.
Elle trousse bagage; et, faisant la gentille :

« Je vous verrai demain; adieu, bon soir, ma fille. »
Ha! vieille, dis-je lors, qu'en mon cœur je maudis,
Est-ce là le chemin pour gagner paradis?

Dieu te doint pour guerdon 1 de tes œuvres si saintes,
Que soient avant ta mort tes prunelles éteintes;
Ta maison découverte, et sans feu tout l'hiver,
Avecques tes voisins jour et nuict estriver 2;
Et trainer, sans confort, triste et désespérée,
Une pauvre vieillesse, et toujours altérée !

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1 Te donne pour récompense. - 2 Te quereller, te battre. Sous-entendu : Puisses-tu. Sans soutien, sans ressources. - Allusion à un vice qui, tout temps a été imputé aux vieilles femmes dissolues. (V. Ovide, Rabelais.} Pour ce que.

Mes sens troublés s'évanouissent.
Les hommes sont comme des fleurs,
Qui naissent et vivent en pleurs,
Et d'heure en heure se fanissent 1.

Leur âge, à l'instant écoulé,
Comme un trait qui s'est envolé,
Ne laisse après soi nulle marque;
Et leur nom, si fameux ici,
Sitôt qu'ils sont morts, meurt aussi,
Du pauvre autant que du monarque.

Naguères, verd, sain et puissant,
Comme un aubépin florissant,
Mon printemps était délectable.
Les plaisirs logeaient en mon sein:
Et lors était tout mon dessein

Du jeu d'amour et de la table.

Mais, las! mon sort est bien tourné2,

Mon âge en un rien s'est borné;

Faible languit mon espérance.

En une nuit, à mon malheur,

De la joie et de la douleur
J'ai bien appris la différence.

La douleur aux traits vénéneux,

Comme d'un habit épineux,

Me ceint d'une horrible torture.

Mes beaux jours sont changés en nuits :
Et mon cœur, tout flétri d'ennuis,
N'attend plus que la sépulture.

Enivré de cent maux divers,

Je chancelle, et vais de travers.
Tant mon âme en regorge pleine :

J'en ai l'esprit tout hébété,

1 Aujourd'hui on dit se fanent.

2 Changé.

Et si peu qui m'en est resté1,
Encor me fait-il de la peine.

La mémoire du temps passé,
Que j'ai follement dépensé,
Épand du fiel en mes ulcères :
Si peu que j'ai de jugement
Semble animer mon sentiment
Me rendant plus vif aux misères.

Ha! pitoyable souvenir!
Enfin, que dois-je devenir?
Où se réduira ma constance?
Étant jà défailli de cœur,
Qui me don'ra de la vigueur
Pour durer en la pénitence?

Qu'est-ce de moi? faible est ma main;
Mon courage, hélas! est humain;
Je ne suis de fer ni de pierre.
En mes maux montre-toi plus doux,
Seigneur; aux traits de ton courroux,
Je suis plus fragile que verre.

Je ne suis à tes yeux, sinon
Qu'un fétu sans force et sans nom,
Qu'un hibou qui n'ose paraître,
Qu'un fantôme ici-bas errant,
Qu'une orde3 écume de torrent,
Qui semble fondre avant que naître :

Où toi, tu peux faire trembler
L'univers, et désassembler

Du firmament le riche ouvrage :

Tarir les flots audacieux,

Ou, les élevant jusqu'aux cieux,

Faire de la terre un naufrage.

1 C'est-à-dire et si peu qu'il me soit resté d'esprit, c'est assez pour que je soffre. - Persister. 3 Sale, fangeuse. Au contraire.

Le soleil fléchit devant toi:
De toi les astres prennent loi;
Tout fait joug dessous ta parole:
Et cependant tu vas dardant
Dessus moi ton courroux ardent,

1

Qui ne suis qu'un bourrier 1 qui vole.

Mais quoi! si je suis imparfait,
Pour me défaire m'as-tu fait?
Ne sois aux pécheurs si sévère.

Je suis homme, et toi Dieu clément !
Sois donc plus doux au châtiment,
Et punis les tiens comme père.

J'ai l'œil scellé d'un sceau de fer;

Et déjà les portes d'enfer

Semblent s'entr'ouvrir pour me prendre ;

Mais encore, par ta bonté,

Si tu m'as ôté la santé,

O Seigneur! tu me la peux rendre.

Le tronc de branches dévêtu,

Par une secrète vertu

Se rendant fertile en sa perte,
De rejetons espère un jour
Ombrager les lieux d'alentour,
Reprenant sa perruque2 verte.

3

Où l'homme en la fosse couché,

Après que la mort l'a touché,

Le cœur est mort comme l'écorce:

Encor l'eau reverdit le bois;

Mais l'homme étant mort une fois,

Les pleurs, pour lui, n'ont plus de force.

1 Espèce de chardon qui a la tête couverte d'une houppe de duvet que le vent emporte. Ce mot était, du temps de Régnier, synonyme de chevelure.— 3 Au contraire, quand l'homme est couché dans sa fosse.

JEAN-BAPTISTE CHASSIGNET

1578

1620

Un poëte qui fait penser au Racine des chœurs d'Esther et d'Athalie en même temps qu'au Jean-Baptiste Rousseau des odes, un poëte dont l'unique préoccupation semble avoir été l'idée de la mort, qui écrit à seize ans un volume entier sur le Mépris de la vie, qui, sans se mêler à aucun des événements de son siècle, passe ses jours dans sa ville natale, et y meurt jeune, un poëte enfin exclusivement religieux et mélancolique, est presque un phénomène dans ce xvIe siècle si remuant, si agité, si divers, si fécond en fortunes subites et incroyables, ce xvi° siècle si vivant, où les plus belles inspirations poétiques nous paraissent puisées directement aux sources d'une existence abondante, joyeuse, remplie, et, par-dessus tout, éphémère et mondaine.

Si d'autres poëtes du xvi° siècle ont été, à de certains moments, des poëtes religieux, ils l'ont été autrement que Chassignet. Que l'on ne confonde pas l'esprit religieux avec l'esprit de parti. Ce n'est que trop souvent ce dernier qui anime les écrivains pendant les temps de luttes religieuses. L'esprit de parti peut produire de belles œuvres, mais des œuvres indignées, satiriques, violentes, sarcastiques. Autres et non moins belles seront les œuvres sorties du cœur d'un homme inspiré par le véritable, éternel et profond sentiment religieux. Dans ces dernières œuvres, ni indignation, ni violence, ni satire; un souffle égal, harmonieux, un rhythme lent, une cadence réglée, pour ainsi dire, sur le mouvement d'un cœur apaisé, soumis et pieux.

De là, il faut l'avouer, une monotonie qui est presque toujours le défaut des poëtes, même les plus grands, qui ont écrit sous cette inspiration. Cette monotonie, que l'on remarque chez les poëtes véritablement religieux, a une double cause. Elle ne provient pas seulement

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