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Scaures du temps présent, hypocrites sévères,
Un Claude effrontément parle des adultères,
Milon, sanglant encor, reprend un assassin;
Gracche, un séditieux; et Verrès, le larcin.

A la fin du xvi siècle, où sont les Scaures, où sont les Gracques, et les Milons, et les Verrès? Je défie M. Viollet Le Duc, on pourrait défier Régnier lui-même de nommer les personnages qui se cachent sous ces masques de rhétorique. Vauquelin de La Fresnaye, je le répète, a plus de naïveté poétique, plus d'originalité moderne, plus de nouveauté française que Régnier; et cela tient sans doute, non pas seulement aux dons de nature, mais à la noblesse de l'âme et de la vie, à la dignité du citoyen, à la pureté du poëte, aux croyances élevées du philosophe chrétien. Qui ne serait fier de s'associer aux généreuses colères d'un tel homme? Qui ne rougirait de suivre Régnier dans les mauvais gites où son ivresse cynique mène en trébuchant la Muse de la satire? Quand je vois à travers ses œuvres sauter ou grimacer l'impudent moraliste, il me semble assister à cette fête païenne d'Arcueil où Ronsard, Baïf et Jodelle promenèrent, dit-on, un bouc couronné de lierre.

Mathurin Régnier n'a point de conscience; il n'a point de foi, point d'honneur, et s'en vante. Que lui importe sa patrie? Henri IV est un ladre vert, les grands seigneurs ne protégent plus les poëtes; il n'a, le malheureux! que deux mille francs de pension, tandis que son oncle avait dix mille écus de rente. Il est évident que la France est au plus bas louons donc le temps passé, flagellons sans pitié le temps présent.

Pour moi, les huguenots pourraient faire miracles,
Ressusciter les morts, rendre de vrais oracles,
Que je ne pourrais pas croire à leur vérité.

En toute opinion je fuis la nouveauté.

Fuir la nouveauté, en effet, telle est la tendance invincible, et presque la manie de Régnier. Vivant sous Henri IV, il demande asile aux contemporains des Valois, et s'évade même du xvIe siècle pour s'en aller flâner dans la voie sacrée de la Rome d'Auguste. Là, chaud de libations, libre d'affaires, rêvant de quelque courtisane facile, il aborde Horace, Ovide, Catulle, en ayant grand soin d'éviter le doux et grave poëte de Mantoue. De ses entretiens avec ces Romains délicats, il rapporte mille richesses littéraires qu'il jette dans la vieille balance gauloise avec l'ironique sans façon d'un Brennus. Il a rêvé en latin, il se

réveille en français; et c'est alors qu'il peint son poëte, son fâcheux, son pédant, son fat, sans se douter qu'il a naïvement ronsardisé on villonisé les auteurs latins. Véritable clerc de l'abbaye de Thélème, il prêche partout et pratique à ses risques et périls la célèbre maxime rabelaisienne : « Fay ce que voudras. » Ce qu'il veut, c'est rimer à l'avenant, c'est aimer au hasard, c'est respirer à pleine narine la fumée des tavernes et l'irritante odeur des mauvais lieux. Savez-vous comment il est devenu poëte? croyez-vous qu'il ait dormi sur l'Hélicon avec Hésiode? Non, il s'en allait à Vanves un beau jour,

Et comme un conclaviste entre dans le conclave,
Le sommelier me prit et m'enferme en la cave
Où, buvant et mangeant, je fis mon coup d'essai,
Et où, si je sai rien, j'appris ce que je sai;
Voilà ce qui m'a fait poëte et satirique...

Le satirique et le poëte sont exactement chez Régnier la conséquence de l'homme, comme, chez Rétif de La Bretonne, le romancier du lendemain fut toujours exactement l'amoureux et le vagabond de la veille. Qu'il se soit égaré dans un mauvais gîte, il peindra sans vergogne l'hôtellerie enfumée de sa luxure. Qu'il désire une femme

Ou soit belle, ou soit laide, ou sage, ou mal apprise,

Il la jettera, telle quelle, sur la toile jaunie de ses tableaux. Lui-même, il se représente avec une naïveté qui touche au cynisme :

Or moi, qui suis tout flamme, et de nuit et de jour,

Qui n'haleine que feu, ne respire qu'amour;

Je me laisse emporter à mes flammes communes,
Et cours sous divers vents de diverses fortunes.

Ravi de tous objets, j'aime si vivement
Que je n'ai pour l'amour ni choix, ni jugement.
De toute élection mon âme est dépourvue,
Et nul objet certain ne limite ma vue,
Toute femme m'agrée. . .

Régnier a le feu sous la lèvre comme un Faune. Dans ses œuvres comme dans sa vie, il est haletant, écumant, presque frénétique, et comme il arrive aux grands libertins d'entrevoir des éclairs d'amour, il arrive aussi à ce rimeur passionné de toucher quelquefois, par la

véhémence de ses peintures, à la grande, à la belle, à la pure poésie. Sa verve, le plus souvent, ressemble parfaitement à une rage sensuelle. Il dresse son Parnasse à la butte Saint-Roch, et reconnait son Apollon dans le dieu des jardins.

On a souvent répété qu'il avait la touche grasse, le faire hardi et familier des peintres flamands. Ses tableaux, en effet, si largement éclairés qu'ils soient, rappellent toujours qu'il est possible de déranger le soleil pour illuminer des casseroles. Ce qui manque à Régnier comme aux Flamands, ce n'est pas la lumière (elle fourmille!); ce qui lui manque vraiment, et ce qui manquera d'ailleurs en France jusqu'au XVIIe siècle, c'est la clarté, ou, ce qui est la même chose, l'ordre poétique, la sereine harmonie.

HIPPOLYTE BABOU.

Les œuvres complètes de Régnier ont été publiées en 1853 dans la Bibliothèque elzevirienne de P. Jannet, avec une préface de M. Viollet Le Duc. Cette édition renferme deux pièces nouvelles, extraites, pour la première fois, du Parnasse satirique. La préface de M. Viollet Le Duc est une véritable histoire de la satire en France.

SATIRES

A M. RAPIN1

Rapin, le favori d'Apollon et des Muses,

Pendant qu'en leur métier jour et nuit tu t'amuses,
Et que d'un vers nombreux, non encore chanté,

Tu te fais un chemin à l'immortalité,

Moi, qui n'ai ni l'esprit ni l'haleine assez forte
Pour te suivre de près et te servir d'escorte,
Je me contenterai, sans me précipiter,
D'admirer ton labeur, ne pouvant l'imiter;
Et, pour me satisfaire au désir qui me reste,
De rendre cet hommage à chacun manifeste.
Par ces vers j'en prends acte, afin que l'avenir
De moi, par ta vertu, se puisse souvenir;

Et que cette mémoire à jamais s'entretienne,
Que ma muse imparfaite eut en honneur la tienne :
Et que si j'eus l'esprit d'ignorance abattu,
Je l'eus au moins si bon, que j'aimai ta vertu:
Contraire à ces rêveurs 2 dont la muse insolente,
Censurant les plus vieux, arrogamment se vante
De réformer les vers, non les tiens seulement,
Mais veulent déterrer les Grecs du monument 3,
Les Latins, les Hébreux, et toute l'antiquaille",

Et leur dire à leur nez qu'ils n'ont rien fait qui vaille.

1 On sait à quelle occasion Régnier composa cette satire. L'anecdote est trop connue pour que nous la racontions. Disons seulement qu'en vengeant son oncle de l'injurieux sarcasme de Malherbe, le poëte a vengé, du même coup, la langue et la poésie de l'étroit pédantisme du hautain Normand. - 2 Malherbe. — 3 Du tombeau; sens conforme à l'étymologie latine. Pour antiquité; ce mot qui ne se prend plus aujourd'hui qu'en mauvaise part, a évidemment ici un sens tout différent.

Ronsard en son métier n'etait qu'un apprentif,
Il avait le cerveau fantastique et rétif:

Desportes n'est pas net; Du Bellay trop facile :
Belleau ne parle pas comme on parle à la ville;
Il a des mots hargneux, bouffis et relevés,

Qui du peuple aujourd'hui ne sont pas approuvés.
Comment! il nous faut donc, pour faire une œuvre grande,
Qui de la calomnie et du temps se défende,

Qui trouve quelque place entre les bons auteurs,
Parler comme à Saint-Jean 1 parlent les crocheteurs?
Encore je le veux, pourvu qu'ils puissent faire
Que ce beau savoir entre en l'esprit du vulgaire,
Et quand les crocheteurs seront poetes fameux,
Alors, sans me fâcher, je parlerai comme eux.

Pensent-ils, des plus vieux offensant la mémoire,
Par le mépris d'autrui s'acquérir de la gloire;

Et, pour quelque vieux mot étrange, ou de travers,
Prouver qu'ils ont raison de censurer leurs vers!
(Alors qu'une œuvre brille et d'art et de science,
La verve quelquefois s'égaye en la licence.)

Il semble, en leurs discours hautains et généreux,
Que le cheval volant n'ait pissé que pour eux;
Que Phoebus à leur ton accorde sa vielle;
Que la mouche du Grec leurs lèvres emmielle 2;
Qu'ils ont, seuls, ici-bas, trouvé la pie au nid,

Et que des hauts esprits le leur est le zénith;

Que, seuls, des grands secrets ils ont la connaissance;
Et disent librement que leur expérience

3

A raffiné les vers, fantastiques d'humeur 3,

Ainsi que les Gascons ont fait le point d'honneur;

1 C'est-à-dire comme parlent les porte-faix du marché Saint-Jean qui se tenait tout près de la place de Grève, à Paris. «Quand on demandait à Malherbe son avis sur quelque mot français, il renvoyait ordinairement aux crocheteurs du port au Foin (également situé dans le voisinage de la place de Grève), et disait que c'étaient les maîtres pour le langage.» (Vie de Malherbe.) — 2 Allusion à la tradition célèbre suivant laquelle des abeilles déposèrent leur miel sur les lèvres de Pindare. 3 C'est à-dire entêtés qu'ils sont de leurs chimères capricieuses.

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