Diane, avec ses chastes sœurs, Les Filles de Memoire aussi Les vierges qui d'un chaste vœu Je veux ainsi passer ma vie. Les nonnains 1, en communauté, Pour néant 3, le dieu Cupidon O heureuses celles qui ont Amour peut bien en autre part Je veux ainsi passer ma vie. Desormais les hommes mocqueurs François desnaturez, bastards de ceste France Qui ne se peut dompter que par sa propre main, Despouillez maintenant ce courage inhumain Qui vous enfle d'orgueil, et vous perd d'ignorance1. Et vous, princes lorrains, quittez votre espérance, Ne suyvez plus l'erreur de cest asne Cumain Qui, vestu de la peau du grand lion romain, Voyant le vray lion, perd cœur et asseurance. Pauvres Parisiens, où aurez-vous recours? Mais si vous irritez vostre roi contre vous, Vous serez chastiez; les enfants et les fouls, S'ils ne sont chastiez, jamais ne se corrigent. C'est-à-dire par suite de votre ignorance. VAUQUELIN DE LA FRESNAYE 1536 1606 Le poëte Vauquelin est peut-être moins connu aujourd'hui que Vauquelin le chimiste. Même dans sa famille, qui s'est perpétuée en Normandie, on a complétement oublié son nom et ses œuvres, si nous en croyons le témoignage de M. Viollet-Leduc : « En 1832, raconte ce bibliophile, je rencontrai dans les environs de Caen un descendant de Vauquelin, portant le même nom, et possesseur, je crois, de la même terre. Je lui parlai de son aïeul : le brave gentilhomme, sans le renier toutefois, s'excusa grandement d'avoir un poëte dans sa famille. Il en avait deux. » Grâce à la publication des amusantes historiettes de Tallemant des Réaux, le public s'est mis en joyeuse relation avec le second Vauquelin, beaucoup moins digne que le premier de son attention et de sa sympathie. Qui ne se souvient en effet « du petit bonhommet, du dernier des hommes » de ce badin Nicolas des Yveteaux, ce fou souriant, chez lequel Ninon allait jouer du luth, et qu'on trouvait dans son immense jardin de la rue du Colombier, tantôt vêtu en satyre, et tantôt en habit de berger? On a fait l'honneur à ce maniaque de publier tout récemment ses OEuvres poétiques, et Jean Vauquelin son père, un vrai poëte, attend encore un éditeur! Où est donc le critique fameux qui, dans ce siècle de l'histoire littéraire, a sérieusement étudié l'Art poétique, les Satires et les Idylles de ce franc Normand qu'on peut regarder à la fois comme le précurseur de Segrais, de Racan et de Boileau? Pas un esprit curieux n'a jugé à propos de s'arrêter devant cette figure littéraire. M. Viollet - Leduc, dans son édition de Boileau, s'est contenté de creuser un feuilleton pour l'Art poétique de La Fresnaye, au-dessous du texte sacré du poëtelégislateur du XVIIe siècle; La Harpe a parlé du poëte du xvIe siècle en ignorant et en intrus; l'académicien Auger l'a traité, dans un article biographique, en écrivain justement oublié : « La poésie de La Fresnaye, dit-il, a presque tous les vices du temps, et ils n'y sont point rachetés par le mérite des pensées ou des images; son style, sans force et sans élévation, est encore défiguré par beaucoup d'expressions provinciales. » Il y aura vraiment quelque plaisir pour nous à venger le provincial Vauquelin des mépris du Parisien Auger. Nous aurons précisément à faire admirer dans ce poëte méconnu la nouveauté pittoresque des images, l'élévation et la force des pensées, le caractère tout particulier d'un style plein de séve et de relief. Vauquelin, dans ses poésies, a souvent de la grâce, du naturel et de l'esprit; mais quand il lui arrive de rencontrer l'énergie, on croirait entendre la parole rude et franche d'un d'Aubigné catholique. Il naquit à La Fresnaye-au-Sauvage, près de Falaise, d'une race de gentilshommes qui avaient porté gonfanons et bannières dans l'armée de Guillaume le Conquérant. Ayant perdu son père dès sa plus tendre enfance, il fut envoyé à Paris; et par ses commencements nul ne pouvait prévoir que le jeune Vauquelin reviendrait en Normandie pour occuper l'emploi de lieutenant général et plus tard de président au bailliage et présidial de Caen. Il étudiait sous Buquet, Turnèbe et Muret. Son adolescence fut toute poétique. Il connut Baïf, adora Ronsard et honora Du Bellay (ce sont ses propres expressions) avant d'avoir au visage un brin de poil follet. Il n'avait pas dix-huit ans qu'il tourna le dos à Paris et s'en alla battre l'estrade en province, sur le chemin verdoyant des Muses buissonnières. L'écolier évadé partit un beau matin avec deux amis « poussés d'un beau printemps » qui l'accompagnèrent de la Seine à la Sarthe, et de la Sarthe au Maine. Les trois pélerins ne s'arrêtèrent qu'à Angers, devant le logis du mignard Tahureau. De là ils s'en allèrent visiter les Nymphes poitevines qui suivaient par les prés le jeune Sainte-Marthe. Ce fut à Poitiers que Jean Vauquelin composa ses Foresteries. La Muse pastorale, qui devait l'ensorceler pour toujours, l'accola gentiment pour la première fois sur les bords du Clain. Quoiqu'il dût se résigner, en bon Normand, à étudier la chicane; quoiqu'il dût quitter Poitiers pour Bourges, et la poésie pour le droit, même après son mariage, même après avoir été reçu avocat au bailliage de Caen, l'ami de Sainte-Marthe ne put jamais oublier la Nymphe poitevine. Il la fit normande pour la mieux aimer, et la cacha dans les bois, à portée de son ménage, non loin de sa résidence de magistrat. Les troubles civils et religieux, le service du roi et du public l'éloignèrent souvent de la poésie. Il se reprit au charme tant qu'il put, rimant et rustiquant, dès qu'il lui était permis d'abandonner les affaires. On savait du reste et on voulait que le magistrat fût poëte, puisqu'il n'entreprit l'Art poétique, ainsi qu'il le dit à la fin du troisième livre, que par le commandement de Henri III : Je composai cet Art pour donner aux François, De vos lauriers gagnés, polir votre langage... C'était le temps où le poëte Desportes brillait à la cour, sous le mécénat de Joyeuse. Je vivois cependant au rivage Olénois, A Caen, où l'Océan vient tous les jours deux fois. Oui sans doute, il résidait à Caen, il y rendait la justice; mais il ne vivait en liberté que dans sa gentilhommière, à La Fresnaye-au-Sauvage. Personne mieux que lui n'a décrit la vie à la fois rustique et poétique d'un gentilhomme de campagne. Il faut lire, pour s'en convaincre, la satire ou plutôt l'épitre adressée à son ami le trésorier général de Caen. Entre ses bas vallons, sa basse renommée De vallon en montagne, et de bois en bois, il va jusqu'à la nuit, écoutant le murmure des forêts, les claires eaux des fontaines, les rivières bruyantes, le chant des rossignols et le bourdonnement des abeilles qui passent en escadron. Mais ce n'est pas seulement un rêveur, amoureux de la nature, épris de haute fantaisie, comme il le dit de Baïf. Il plante, il cueille, il sème, il moissonne; la chasse et la pêche l'occupent tour à tour; il a des chiens courants pour le lièvre, et des limiers pour le sanglier, et des hameçons, tramails, éperviers, pour le grand brochet, le saumon, la carpe et la truite. Bonne garenne d'ailleurs, bon colombier et bon verger rien ne lui manque en son château, d'où il voit revenir pêle-mêle vaches, aumailles, taureaux, et galoper le haras, et les bœufs accouplés ramener lentement la charrue. |