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Serait-ce point un présage donné

Que mon espoir est desjà moissonné?

Non, certes, non: mais pour certain je pense,

J'auray, si bien à deviner j'entens,

Si l'on peut rien pronostiquer du temps,
Quelque grand fruict de ma longue espérance.

J'ay veu ses yeux perçans, j'ay veu sa face claire
(Nul jamais, sans son dam, ne regarde les dieux);
Froid, sans cœur, me laissa son œil victorieux,

Tout estourdy du coup de sa forte lumière.

Comme un surprins de nuict, aux champs, quand il esclaire, Estonné, se pallit si la flèche des cieux

Siflant, luy passe contre, et lui serre les yeux;

Il tremble, et voit, transy, Jupiter en cholère.

Dis moy, ma dame, au vray, dis moy si tes yeux verts

Ne sont pas ceux qu'on dit que l'Amour tient couverts? Tu les avois, je croy, la fois que je t'ay veue;

Au moins il me souvient qu'il me fust lors advis
Qu'Amour, tout à un coup, quand premier je te vis,
Desbanda dessus moy et son arc et sa veue.

Ce dit maint un de moy: de quoy se plaind il tant?
Perdant ses ans meilleurs en chose si légère,
Qu'a il tant à crier, si encore il espère;

Et s'il n'espère rien, pourquoi n'est il content?

Quand j'estois libre et sain, j'en disois bien autant: Mais, certes, celuy-là n'a la raison entière,

Ains a le cœur gasté par une rigueur fière,

S'il se plaind de ma plainte, et mon mal il n'entend.

Amour tout à un coup de cent douleurs me poingt, Et puis l'on m'advertit que je ne crie point.

Si vain je ne suis pas, que mon mal j'agrandisse,

A force de parler! s'on m'en peut exempter,
Je quite les sonnets, je quite le chanter.
Qui me défend le dueil, celuy-là me guarisse!

N'ayez plus, mes amis, n'ayez plus cette envie
Que je cesse d'aymer; laissez moy, obstiné,
Vivre et mourir ainsi, puisqu'il est ordonné:
Mon amour, c'est le fil auquel se tient ma vie.

Ainsi me dict la Fée; ainsi en Eagrie,
Elle feit Méléagre à l'amour destiné,
Et alluma sa souche à l'heure qu'il fust né,
Et dit: Toy et ce feu, tenez vous compaignie.

Elle le dit ainsi, et la fin ordonnée
Suivit après le fil de cette destinée.

La souche (ce dit l'on) au feu fut consommée;

Et dès lors (grand miracle), en un mesme moment, On veit, tout à un coup, du misérable amant

La vie et le tison s'en aller en fumée.

L'un chante les amours de la trop belle Heleine,
L'un veut le nom d'Hector par le monde semer,
Et l'autre, par les flots de la nouvelle mer1,
Conduit Jason gaigner les thrésors de la laine2.

Moi, je chante le mal qui à son gré me meine:
Car je veux, si je puis, par mes carmes 3 charmer
Un torment, un soucy, une rage d'aymer,

Et un espoir musart, le flateur de ma peine.

De chanter rien d'autruy meshuy qu'ay je que faire ? Car de chanter pour moy, je n'ay que trop à faire. Or, si je gaigne rien à ces vers que je sonne,

Ma dame, tu le sçais, ou si mon temps je pers:
Tels qu'ils sont, ils sont tiens: tu m'as dicté mes vers,
Tu les as faits en moy, et puis je te les donne.

J'allois seul, remaschant mes angoisses passées :
Voyci (dieux, destournez ce triste malencontre!)
Sur chemin, d'un grand loup l'effroyable rencontre,
Qui, vainqueur des brebis de leurs chiens délaissées,

Tirassoit d'un mouton les cuisses dépecées,
Le grand dueil du berger: il rechigne et me montre
Ses dents rouges de sang, et puis me passe contre,
Menaçant mon amour, je croy, et mes pensées.

Le Pont-Euxin. 2 La Toison d'or. 3 Vers.

• Vain.

De m'effrayer, depuis, ce présage ne cesse:
Mais j'en consulteray sans plus à ma maîtresse,
Onc par moy n'en sera pressé le Delphien :

Il le sçait, je le croy, et m'en peut faire sage,
Elle le sçait aussi, et sçait bien d'avantage,
Et dire, et faire encor, et mon mal et mon bien.

Ce jourd'huy, du soleil la chaleur altérée
A jauny le long poil de la belle Cérès;
Ores, il se retire; et nous gaignons le frais,
Ma Marguerite et moy, de la douce sérée.

Nous traçons dans les bois quelque voye esgarée;
Amour marche devant, et nous marchons après,
Si le vert ne nous plaist des espesses forests,
Nous descendons pour voir la couleur de la prée;

Nous vivons francs d'esmoy, et n'avons point soucy
Des roys, ny de la cour, ny des villes aussi.
O Médoc, mon païs solitaire et sauvage!

Il n'est point de païs plus plaisant à mes yeux :
Tu es au bout du monde, et je t'en ayme mieux;
Nous sçavons, après tous, les malheurs de nostre ange.

ANTOINE DE BAIF

1531 - 4592

Jean Antoine de Baïf naquit à Venise des amours de Lazare de Baïf, ambassadeur de France, avec une demoiselle de condition. Lazare de Baïf, étant dans les ordres ecclésiastiques, ne put épouser sa maîtresse, mais il reconnut son enfant. Il l'emmena avec lui à Paris où il lui fit donner l'éducation qu'un gentilhomme poëte et savant pouvait ambitionner pour son fils. Lazare lui-même a compté dans le mouvement de la poésie française au xvI° siècle. Il était de la race des Daurat, des SaintGelais et des Étienne Pasquier, de tous ceux qui, au commencement du XVIe siècle, hésitèrent entre le latin et le français, et marquent la transition de l'un à l'autre. Trois petits traités en langue latine sur les Vêtements, les Vases et les Navires des anciens, qu'il composa pendant un voyage à Rome, ont eu plusieurs éditions. Ses traductions françaises de l'Électre de Sophocle, et de l'Hécube d'Euripide, estimées en leur temps, ont été depuis fort sévèrement jugées par les critiques du xvire et du XVIIIe siècle, et notamment par Goujet, qui, suivant moi, n'ont pas assez tenu compte à l'auteur de la difficulté d'une première tentative. La vie de Lazare de Baïf ne faisant point le sujet de cet article, nous renverrons, pour les détails, à la biographie qu'en a donnée M. B. Hauréau dans son Histoire littéraire du Maine. Disons pourtant, comme conclusion, que Scévole de Sainte-Marthe lui a donné place dans ses Éloges des Français illustres, et que Ronsard a célébré sa mort dans une ode dont nous rappellerons seulement les derniers vers comme marquant le degré d'estime où le tenaient ses contemporains :

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