Serait-ce point un présage donné Que mon espoir est desjà moissonné? Non, certes, non: mais pour certain je pense, J'auray, si bien à deviner j'entens, Si l'on peut rien pronostiquer du temps, J'ay veu ses yeux perçans, j'ay veu sa face claire Tout estourdy du coup de sa forte lumière. Comme un surprins de nuict, aux champs, quand il esclaire, Estonné, se pallit si la flèche des cieux Siflant, luy passe contre, et lui serre les yeux; Il tremble, et voit, transy, Jupiter en cholère. Dis moy, ma dame, au vray, dis moy si tes yeux verts Ne sont pas ceux qu'on dit que l'Amour tient couverts? Tu les avois, je croy, la fois que je t'ay veue; Au moins il me souvient qu'il me fust lors advis Ce dit maint un de moy: de quoy se plaind il tant? Et s'il n'espère rien, pourquoi n'est il content? Quand j'estois libre et sain, j'en disois bien autant: Mais, certes, celuy-là n'a la raison entière, Ains a le cœur gasté par une rigueur fière, S'il se plaind de ma plainte, et mon mal il n'entend. Amour tout à un coup de cent douleurs me poingt, Et puis l'on m'advertit que je ne crie point. Si vain je ne suis pas, que mon mal j'agrandisse, A force de parler! s'on m'en peut exempter, N'ayez plus, mes amis, n'ayez plus cette envie Ainsi me dict la Fée; ainsi en Eagrie, Elle le dit ainsi, et la fin ordonnée La souche (ce dit l'on) au feu fut consommée; Et dès lors (grand miracle), en un mesme moment, On veit, tout à un coup, du misérable amant La vie et le tison s'en aller en fumée. L'un chante les amours de la trop belle Heleine, Moi, je chante le mal qui à son gré me meine: Et un espoir musart, le flateur de ma peine. De chanter rien d'autruy meshuy qu'ay je que faire ? Car de chanter pour moy, je n'ay que trop à faire. Or, si je gaigne rien à ces vers que je sonne, Ma dame, tu le sçais, ou si mon temps je pers: J'allois seul, remaschant mes angoisses passées : Tirassoit d'un mouton les cuisses dépecées, Le Pont-Euxin. 2 La Toison d'or. 3 Vers. • Vain. De m'effrayer, depuis, ce présage ne cesse: Il le sçait, je le croy, et m'en peut faire sage, Ce jourd'huy, du soleil la chaleur altérée Nous traçons dans les bois quelque voye esgarée; Nous vivons francs d'esmoy, et n'avons point soucy Il n'est point de païs plus plaisant à mes yeux : ANTOINE DE BAIF 1531 - 4592 Jean Antoine de Baïf naquit à Venise des amours de Lazare de Baïf, ambassadeur de France, avec une demoiselle de condition. Lazare de Baïf, étant dans les ordres ecclésiastiques, ne put épouser sa maîtresse, mais il reconnut son enfant. Il l'emmena avec lui à Paris où il lui fit donner l'éducation qu'un gentilhomme poëte et savant pouvait ambitionner pour son fils. Lazare lui-même a compté dans le mouvement de la poésie française au xvI° siècle. Il était de la race des Daurat, des SaintGelais et des Étienne Pasquier, de tous ceux qui, au commencement du XVIe siècle, hésitèrent entre le latin et le français, et marquent la transition de l'un à l'autre. Trois petits traités en langue latine sur les Vêtements, les Vases et les Navires des anciens, qu'il composa pendant un voyage à Rome, ont eu plusieurs éditions. Ses traductions françaises de l'Électre de Sophocle, et de l'Hécube d'Euripide, estimées en leur temps, ont été depuis fort sévèrement jugées par les critiques du xvire et du XVIIIe siècle, et notamment par Goujet, qui, suivant moi, n'ont pas assez tenu compte à l'auteur de la difficulté d'une première tentative. La vie de Lazare de Baïf ne faisant point le sujet de cet article, nous renverrons, pour les détails, à la biographie qu'en a donnée M. B. Hauréau dans son Histoire littéraire du Maine. Disons pourtant, comme conclusion, que Scévole de Sainte-Marthe lui a donné place dans ses Éloges des Français illustres, et que Ronsard a célébré sa mort dans une ode dont nous rappellerons seulement les derniers vers comme marquant le degré d'estime où le tenaient ses contemporains : 、 |