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Je n'ai jamais traversé la forêt de Saint-Germain sans me souvenir à la fois de Shakspeare et d'Antoine Hamilton. N'est-ce pas sous ces ombrages que l'histoire copia, vers les dernières années du XVIIe siècle, les plus romanesques inventions de l'idylle et de la comédie? La Cour de Jacques II exilé n'affecta-t-elle pas les mœurs pastorales et galantes de l'agréable compagnie que le poëte d'As you like it réunit autour d'un souverain sans couronne sous les chênes de cette forêt des Ardennes où le vent d'hiver siffle moins haut que les sarcasmes de Jacques le Mélancolique? Antoine Hamilton lui-même n'est-il pas le frère cadet de Jacques, comme lui contemplateur désabusé d'un monde qu'il ne se déciderait pas à quitter, comme lui dériseur des folies amoureuses qui furent, tant que dura la jeunesse, son tourment, son charme et sa gloire, comme lui sensible encore, après tant d'illusions perdues, aux chansons et aux petits vers? Tous deux ont de l'imagination dans leur esprit; tous deux trouvent la nouveauté de l'expression dans le naturel de la parole (et il pourrait être piquant de comparer les étincelantes divagations de Jacques attendri par les larmes du daim qui va mourir à la Relation d'une partie de chasse près du marquisat de Nointel, où Hamilton brode les plus sémillantes variations sur la misère d'un pauvre cerf traqué par les veneurs); tous deux, dans leur retraite, ont gardé les délicates habitudes des palais où ils apprirent la vie; ce sont demi dieux citadins qui, en émigrant aux bois, n'ont pas daigné se travestir en Faunes! Jacques est plus poëte, je le sais bien, et son caprice, moins régulier, a des ailes! C'est que Jacques est né au royaume de féerie, entre le nid d'Ariel et le berceau de Juliette; Hamilton a vécu au royaume de France, entre Bussy et Fontenelle! N'insistons pas sur un parallèle où Hamilton aurait trop à perdre.

Isolée, sa figure prend tout son prix et gagne aisément la faveur. On se plaît à l'intimité de ce courtisan fidèle au malheur, de ce soldat des causes désespérées qui ne mesura jamais son courage à l'espérance du succès, et qu'on voit dans les armées de Louis XIV, en Irlande, à la Boyne, aux côté de Berwick, et plus tard au premier rang des partisans imprudemment dévoués du chevalier de Saint-Georges, partout opiniâtre dans sa foi, partout intrépide avec grâce. Quand il sort des camps ou des séances du conseil privé d'Irlande, aux soupers des Vendôme, aux nuits blanches de la duchesse du Maine, à ces refuges à demi-secrets du bel esprit qui s'enfuit à Marly devant le Père. La Chaise, il apporte ce bon coin de singularité dont parle Saint-Simon, et c'est fête pour les plus délicats quand cet Écossais, dans ses récits nuancés, leur offre, on l'a pu dire, comme la fleur de la sociabilité française ! N'écoutez pas Voisenon qui, après des années, soutient, sur le témoignage fort suspect en ce point du comte de Caylus, qu'Hamilton n'était aimable que dans ses livres. Les petits-fils ne pardonnent pas aux aïeux d'avoir excellé dans le genre où à leur tour ils cherchent fortune et gloire. Le comte de Caylus eut ses prétentions légitimes d'élégance et d'urbanité; Voisenon lui-même fut quelques hivers à la mode; mais tous deux le savaient bien, à leur meilleurs festins, ils n'offraient que la desserte affadie d'Hamilton. Ils ne pouvaient pas contester les Mémoires de Grammont et Zénéide; ils se consolaient en contestant l'insaisissable, la personnalité du mondain. Hamilton leur a échappé tout entier. Pour gagner son procès, il a provoqué une enquête chez Coulanges, chez Chaulieu, chez le vieux Despréaux lui-même, enchanté de cette politesse, de ce tour dégagé, de ce tempérament inimitable; les échos de Saint-Germain, de Sceaux et du Temple ont résonné à l'envi; un portrait sincère nous a rendu le visage du causeur ingénieux et concis. Les médisans ont été condamnés sans appel.

Voisenon eût-il dit vrai, Hamilton aurait de quoi faire oublier ces défaillances de quelques soirées. Qu'importent ses propos d'un jour? II est encore le modèle et la loi vivante de nos entretiens. Il raconte la cour de Charles II et la cour de Charles II nous est plus présente que le salon de lord Holland, que la chambre de madame Récamier, et, tant que dure la magie du léger volume, nous oublions, nous trahissons plutôt l'histoire pour le roman; nous répétons avec Dryden :

The world was then so light,

Joy ruled the day, and love the night;

« Le monde était si léger alors; la gaieté régnait le jour, et l'amour gouvernait la nuit; » nous ne voulons pas de la réalité sombre, nous récusons Pepys qui dresse la liste des assassinats, qui peint l'encan des consciences, la débauche devenue un métier, et Charles II presque imbécile, bégayant ses discours du trône devant un troupeau de nobles lords que réclament les cachots de Newgate, sinon les gibets de Tyburn! Il raconte Grammont son beau-frère, et en même temps que Grammont nous revoyons ses héritiers confondus avec ses devanciers, les Alcibiade et les Buckingham, le prince de Ligne et Georges Selwyn', le duc de Lauzun et le comte d'Orsay, Robert Lovelace et Pelham, et tous auraient le droit de jalouser celui qui sut toute l'élégance sans en avoir codifié les formules, celui qui, presque seul, se garda de la dignité théâtrale et de la simplicité convenue, ces écueils ordinaires des dictateurs de la mode. Dans les sujets les plus éphémères, Hamilton a mis à force d'art un intérêt qui ne s'éteindra pas; ses médaillons de femmes dureront comme cette galerie d'Hampton - Court où brille, en tant de toiles exquises, le génie pénétrant de Peter Lely; il a parodié les Mille et une Nuits, et, dans ses parodies piquantes où perce parfois une velléité de sentiment, Beaumarchais a pris un titre, presqu'un sujet; Alfred de Musset a trouvé le ton et le moule de sa prose égayée; Thomas Moore a peut-être découvert la veine heureuse de Lallah Roukh. Qu'ajouteraije? un juge d'un goût bien sûr, Grimm avait raison dans cette apologie: «Sans pensée, quelquefois même sans image, Hamilton, trouve encore le moyen d'écrire avec finesse et d'un ton agréable; c'est toujours le ramage le plus ingénieux qui se puisse imaginer 1; » Horace Walpole ne perdait pas son temps quand il prenait tant de soins pour l'édition d'Hamilton, dont la dédicace agréa si fort à la clairvoyante aveugle Du Deffand; Byron enfin n'avait pas tort quand il demandait assidûment conseil à Grammont pour l'éducation de son Don Juan. Hamilton, lui aussi, eut sa Muse.

Ce n'est pas dans les vers trop nombreux dont le conteur du Bé

1 Ajoutons cette autre appréciation bien décisive et qui délimite à merveille la fantaisie d'Hamilton. « Le comte d'Hamilton est presque toujours original, « il a beaucoup de plaisanterie et une grande gaîté dans l'esprit, beaucoup de " ressource, beaucoup de chaleur, beaucoup de fécondité, ou pour mieux dire beaucoup d'extravagance dans l'imagination; et ce que je regarde comme un « talent fort singulier : il sait intéresser et même émouvoir jusque dans les fic«tions les plus extravagantes et les plus impertinentes.

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(Correspondance littéraire, juillet 1755.)

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lier et des Facardins parsemait ses récits et ses lettres, ce n'est pas dans les chansons, bouquets et rondeaux, dont son œuvre est alourdie, que la Muse est surtout visible. Faut-il pourtant mépriser ces rimes qui amusèrent et qui ravirent une société d'ordinaire difficile dans ses plaisirs? Boileau, en recevant l'épitre du comte de Grammont qu'on lira tout à l'heure, remerciait en ces termes Hamilton, secrétaire ce jour-là et remplaçant de son beau-frère: «... Je l'ai lue avec un plaisir extrême, tout m'y ayant paru également fin, spirituel, agréable et ingénieux. Enfin, je n'y ai rien trouvé à redire que de ne pas être assez longue; cela ne me paraît pas un défaut dans un ouvrage de cette nature où il faut montrer un air libre, et affecter même parfois à mon avis un peu de négligence. » Qu'on n'accuse pas le censeur d'Auteuil de flatterie et de compliments obligés. Voltaire, dans un de ses contes les mieux enlevés, a rendu hommage à celui qui maniait si allégrement

Ces vers moins allongés et d'une autre mesure,
Qui courent avec grâce et vont à quatre pieds,
Comme en fit Hamilton, comme en fait la nature.

A vrai dire, les longues poussées de vers octosyllabiques à rimes doublées et redoublées, qui abondent chez Hamilton sonnent maintenant pour la plupart à nos oreilles comme les volées d'un carillon dont le temps aurait fêlé le timbre; ses pastiches marctiques manquent d'exactitude, et souvent le trait de ses chansons est émoussé. Mais n'arrachons pas ces fleurs fanées de notre sol français; telles qu'elles sont, après avoir enchanté une race choisie, elles ont refleuri, elles refleuriront encore pour parer plus d'une jeune boutonnière. Ce n'est pas en prose seulement qu'Alfred de Musset s'est souvenu d'Hamilton. Relisez le Rondeau du pâté chaud et les Trois marches de marbre rose.

La vieillesse d'Hamilton fut triste. Le monde dont il avait été le peintre et le poëte se dépeuplait tous les jours. Grammont était mort; sa femme, la belle Hamilton des Mémoires, atteinte par la petite vérole, cachait dans une pieuse retraite sa beauté perdue et ses regrets. Hamilton à la fin imita sa sœur. Il avait vécu sceptique, presque impie,

Médisant de l'humaine espèce,

Et même d'un peu mieux, dit-on;

il mourut en bon catholique. Repentirs in extremis, conversion du voluptueux exigée par la fuite des années, et certifiée dans des vers lourds et tristes! N'insistons pas sur un détail qui aurait ses amertumes, et

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pour finir par une plus riante image, replaçons Hamilton, ainsi que l'aime l'avenir, dominant Horace Walpole et le prince de Ligne, ces deux Français de Belgique et d'Angleterre, tous deux ses panégyristes et ses émules, assis entre celles qu'il a aimées, la belle Temple et la belle Middleton, et suivant à travers un nuage transparent les filles de sa fantaisie légère, les Fleur d'épine, les Mousseline et les Sapinelle. PHILOXÈNE BOYER.

Les œuvres d'Hamilton, souvent réimprimées, ont été réunies au complet en trois volumes in-8, par M. Renouard en 1812.

On pourra consulter sur Hamilton, Horace Walpole (passim.); M. de Feletz (Mélanges); Vinet (Chrestomathie française, 3o volume); M. SainteBeuve (Causeries du lundi, tome I); H. Rigault (Journal pour Tous, 1856); et surtout M. Sayous (Histoire de la littérature française à l'étranger, tome II).-M. Bulwer a ressuscité Hamilton dans son beau roman de Devereux, et mistress Jameson, qui a recommencé l'Histoire des femmes de la cour de Charles II, a dignement loué leur premier historien.

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