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SONNETS

Ministre avare et lâche, esclave malheureux',
Qui gémis sous le faix des affaires publiques,
Victime dévouée aux chagrins politiques,

Fantôme respecté sous un titre onéreux;

Vois combien des grandeurs le comble est dangereux !
Contemple de Fouquet les funestes reliques;

Et tandis qu'à sa perte en secret tu t'appliques,
Crains qu'on ne te prépare un destin plus affreux!

Il part plus d'un revers des mains de la fortune :
La chute, comme à lui, te peut être commune :
Nul ne tombe innocent d'où te voilà monté.

Cesse donc d'animer ton prince à son supplice,
Et, quand il a besoin de toute sa bonté,
Ne le fais pas user de toute sa justice.

S'élève qui voudra, par force ou par adresse,
Jusqu'au sommet glissant des grandeurs de la cour:
Moi, je veux, sans quitter mon aimable séjour,
Loin du monde et du bruit rechercher la sagesse.

Là, sans crainte des grands, sans faste et sans tristesse,

Mes yeux après la nuit verront naître le jour :

Je verrai les saisons se suivre tour à tour,

Et dans un doux repos j'attendrai la vieillesse.

1 C'est à Colbert que s'adresse cette véhémente invective. Elle atteste la courageuse fidélité qu'à l'exemple de La Fontaine, de madame de Sévigné et de quelques autres personnages du temps, Hesnault sut garder au surintendant disgracié dont il avait été le protégé. (Note de l'éd.)

Ainsi, lorsque la mort viendra rompre le cours
Des bienheureux moments qui composent mes jours,
Je mourrai chargé d'ans, inconnu, solitaire.

Qu'un homme est misérable à l'heure du trépas,
Lorsqu'ayant négligé le seul point nécessaire,
Il meurt connu de tous et ne se connaît pas!

SONNET

A HONSEIGNEUR LE PRINCE DE CONDÉ ET A M. LE DUC D'ENGHIEN

Sur la naissance de M. le duc de Bourbon.

Princes, le plus pur sang n'est pas le plus fertile :

Ne demandez jamais trop de fécondité;

On ne va point en foule à l'immortalité;

Alexandre et César n'eurent qu'un sang stérile.

On voit de vos pareils un second entre mille.

Le reste échappe à peine à la stérilité,
Et, sans se diviser dans la postérité,

De héros en héros jusqu'à la fin défile.

Condé, tu n'as qu'un fils; Enghien, tu n'en as qu'un; Avec cent demi-dieux ce sort vous est commun :

Votre race est illustre, et non pas inféconde.

Vous avez fait assez pour ne jamais mourir: Par de simples mortels laissez peupler le monde, Héros! vous ne naissez que pour le conquérir.

MADAME DESHOULIÈRES

1638 -1694

Il y a de madame Deshoulières un joli portrait signé par mademoiselle Chéron, son amie, qui l'a représentée belle et triomphante encore et l'étoile au front, quoique âgée de plus de cinquante ans. La beauté de cette dixième muse, de la Calliope moderne, de l'illustre précieuse Dioclée, de la glorieuse académicienne de Padoue et d'Arles, dont les poésies furent souvent récitées et applaudies au Louvre, en pleine Académie française, cette beauté languissante, à brusques réveils, dura un peu plus en effet que sa gloire littéraire. Avant que les beaux yeux n'eussent pâli, l'auréole poétique s'était éteinte; et mademoiselle Chéron, vers 1690, était à peu près la seule personne qui vît distinctement une étoile sur le front d'Amarillis. Madame Deshoulières ellemême avait eu sans doute le pressentiment de ce malheur quand elle avait dit, en se mirant dans sa glace :

Amarante, vous chanterez

Sans que personne vous écoute.

Ce nom harmonieux de Deshoulières, si retentissant autrefois, ne se lie aujourd'hui, dans la plupart des mémoires, qu'au lointain écho des Vers allégoriques à mes enfants :

Dans les prés fleuris

Qu'arrose la Seine, etc.,

de ces fameux vers qu'on a voulu arracher à leur auteur pour les restituer à Coutel. Comment se fait-il pourtant que ce faible écho se prolonge, et que ce nom presque oublié ne soit pas mort tout entier? C'est en vain que Racine a poursuivi l'amie de Pradon; c'est en vain

que Boileau a cruellement accroché, dans sa galerie satirique, ce portrait d'Amarillis qui ressemble si peu, hélas! à celui de mademoiselle Chéron :

C'est une précieuse,

Reste de ces Esprits, jadis si renommés,
Que d'un coup de son art Molière a diffamés.
De tous leurs sentiments cette noble héritière
Maintient encore ici leur secte façonnière.
C'est chez elle toujours que les fades auteurs
S'en vont se consoler du mépris des lecteurs.

Là du faux bel esprit se tiennent les bureaux.

Despréaux, je le veux bien, est un peintre fidèle, et je reconnais bon gré, mal gré, dans sa précieuse l'image exacté de madame Deshoulières, qui tient avec Perrault pour les modernes contre les anciens; qui préfère hautement Pradon à Racine; qui, par amour de la littérature romanesque, pastorale, raffinée, aristocratique, de l'hôtel de Rambouillet, abhorre d'instinct la littérature raisonnable, directe, logique et noblement bourgeoise, de l'époque de Louis XIV; qui d'un autre côté, affiliée par son maître Hesnault au philosophe Gassendi, se trouve à de certains moments plus voisine de Voltaire, avec son épicurisme à la Ninon, que des élèves de Descartes et de Port-Royal; qui enfin, venue trop tôt ou trop tard, appartient à la fois plutôt à la Fronde et à la Régence qu'au siècle régulier de nos auteurs classiques. Je conviendrai même, à la suite du législateur du Parnasse de Versailles, qu'elle se rattache « à l'école du mauvais sens, » et qu'en résumé c'était « une folle. » Il y a de la folie, bien évidemment, à garder un culte pour le passé, à s'élancer naïvement du côté de l'avenir en méconnaissant le présent: car c'est le présent qui règne et qui a raison, puisqu'il est le plus fort. La folie de madame Deshoulières est donc incontestable, mais elle est curieuse et touchante; elle donne à sa figure je ne sais quelle grâce d'hérétique tendre et hardi, généreux et souffrant.

L'hérésie en littérature, quoi qu'en puissent dire les pédants, est aussi légitime, et j'ajouterais volontiers aussi nécessaire qu'en religion. Tout critique intelligent, aujourd'hui, se ferait honneur de répéter le mot de l'Apôtre : « Oportet hæreses esse. » Si l'orthodoxie littéraire a ses gloires consacrées, l'hérésie poétique a ses victimes intéressantes, ses impérissables martyrs, ses âmes du purgatoire ou des limbes, et même ses illustres damnés. On est trop porté à croire

que, dans les lettres et dans les arts, il n'y a qu'une sorte d'immortalité l'immortalité orthodoxe, officielle et, pour ainsi dire, nationale et universelle, proclamée et votée à l'unanimité. Celle-ci est dévolue au génie elle est la récompense des intelligences droites, logiques et claires, qui ont eu l'instinct de leur temps, la science de l'à-propos, et, tranchons le mot, la faculté politique ou administrative dans le domaine des arts et des lettres. Mais il y a une autre sorte d'immortalité qui, pour être moins générale et plus contestée, n'en est pas moins reconnue par tous les esprits clairvoyants, doués du sens historique et du jugement philosophique. Celle-là tient aux circonstances plus qu'au siècle, à la personne individuelle plus qu'au génie collectif, à l'humeur plus qu'au caractère, à la liberté, au caprice, à l'imagination plus qu'à l'autorité, à la raison, à la règle. C'est l'immortalité du mauvais goût, s'écrierait un docteur de la loi littéraire! Oui, du mauvais goût, j'y consens; mais il y a un mauvais goût charmant, un mauvais goût immortel.

Mauvais goût, mauvaise compagnie, ces deux expressions ont souvent défrayé les propos intolérants des puritains de toute sorte; et que de fois pourtant la mauvaise compagnie s'est trouvée la bonne, et le mauvais goût, le grand goût ! Il a suffi pour cela d'une révolution dans les mœurs, d'un changement dans les modes ou de la quantité de fortune ou de génie qui confère le privilége de l'inviolabilité. Quelquefois ce n'a été même qu'une affaire de perspective: Corneille a eu du mauvais goût; Mirabeau a été de mauvaise compagnie.

Le mauvais goût de madame Deshoulières résulte de certaines modes de sentiment, de raisonnement; d'esprit et de style, qui ne sont, il est vrai, ni le sentiment, ni le raisonnement, ni l'esprit, ni le style par excellence, mais qui en offrent de curieuses formes extérieures, avec des caprices d'étoffe, des bizarreries de couleur, des ajustements de draperie, des ornements délicats fort intéressants à relever pour l'enseignement des artistes. Qui de nous, en un jour d'étude et de loisir, ne s'est diverti à considérer, chez un marchand d'estampes, quelque vieille collection de gravures de modes? Du fond des cartons poudreux s'élevait bientôt comme une poussière enivrante de jolies choses fanées. On souriait avec une douce ironie à l'aspect d'un nœud d'épaule, d'une rosette de corsage, d'un falbalas de dentelles, d'une échelle de rubans, où la grâce avait laissé un vague reflet, la vie élégante une lueur, l'art et la poésie une empreinte légère de quelque doigt divin. Et qu'était-ce donc, si tout à coup, parmi ces colifichets

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