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CHANSON

III.

Sans dépit, sans légèreté,
Je quitte une amante volage,
Et je reprends ma liberté
Sans regretter mon esclavage.

Ce matin j'ai cueilli des fleurs,
Sans faire un bouquet à Lisette;
J'ai déjà quitté ses couleurs,
Je vais lui rendre sa houlette.

Sans rougir, j'ai vu sous l'ormeau
Sylvandre aux pieds de l'infidèle;
J'ai joué sur mon chalumeau
L'air que Sylvandre a fait pour elle.

Je ne fais plus dans nos vallons
Retentir le nom de Lisette;
Je veux lui dire les chansons
Que je ferai pour Timarette.

Si quelquefois dans le sommeil
Ses faveurs me sont retracées,
Elle n'est plus à mon réveil
La première de mes pensées.

Je ne viendrai plus en ces lieux
Respirer l'air qu'elle respire;
Je ne cherche plus dans ses yeux
Ce que je dois penser ou dire.

Lisette a perdu plus que moi :
J'étais tendre, elle était coquette;
Lisette m'a manqué de foi:
Non, non, je n'aime plus Lisette.

20

EPIGRAMME

La jeune Églé, quoique très-peu cruelle, D'honnêteté veut avoir le renom;

Prudes, pédants, vont travailler chez elle
A réparer sa réputation.

Là, tout le jour, le cercle misanthrope
Avec Églé médit, fronde l'amour;
Hélas! Églé, semblable à Pénélope,
Défait la nuit tout l'ouvrage du jour.

MADRIGAL

Fuyez, volez, instant fatal à mes désirs...
Mais, hélas! espérances vaines:
Le temps, qui fuit sur nos plaisirs,
Semble s'arrêter sur nos peines.

SEDAINE

1719-1797

Il est vrai, ce n'est pas l'idée d'un ciseleur de strophes sonores et d'un chercheur de belles rimes que rappelle à l'esprit le nom de Sedaine. On est tout d'abord disposé à s'étonner de trouver ce nom sur la liste des poëtes. Sans doute, en appliquant à ce mot de poésie la signification plus large qu'aujourd'hui l'on n'hésite pas à lui donner, le créateur du Philosophe sans le savoir, de la Gageure imprévue, et de tant de pièces dramatiques d'invention charmante, a bien droit, dans ce sens, à ce glorieux titre de poëte. Cependant nous n'aurions pu l'introduire dans cette cité des aëdes, de ceux dont la pensée chante, et, par une loi inverse de celle du philosophe antique, nous l'en eussions banni avec une couronne de fleurs, s'il n'avait un instant tenté les difficultés du rhythme, s'il n'avait à son tour interrogé la lyre. Sans doute, nous nous hatons d'en convenir, sous ses doigts un peu gauches la lyre est souvent sourde, et le rhythme ne s'assouplit guère jusqu'à la grâce; mais, çà et là, une note imprévue, un accent tout personnel, et qui fait ressouvenir de ses heureux dons, mieux accusés ailleurs, suffisent pour indiquer le vrai Sedaine, et sauver le rimeur de la vulgarité.

Ils sont bien oubliés, assurément, ces deux volumes de vers qui résument pourtant tout le travail intellectuel de la jeunesse de Michel Sedaine. Ils ne firent pas grand bruit à leur apparition; mais ils ne passèrent pas non plus tout à fait inaperçus. Sept ans plus tard, lorsqu'avec un succès au théâtre l'auteur voyait déjà poindre le doux premier rayon de la célébrité, Grimm, à l'occasion de la pièce nouvelle, rappelait ce recueil de vers il note d'un trait qui nous rend

l'impression du moment prise sur le vif, et le genre d'accueil que reçut le livre, et les quelques qualités qu'alors on y trouva. «M. Sedaine, qui exerce ici le métier de maître maçon ou d'architecte subalterne, est connu par un recueil de poésies, qu'il a donné il y a plusieurs années, et qui a fait dans le temps une espèce de fortune. Ce poëte a du naturel et des saillies. » Du naturel et des saillies: ne voilà-t-il pas, en germe, l'auteur du Philosophe sans le savoir et de la Gageure imprévue? Le fin coup d'œil du critique avait déjà discerné ce que contenait ce germe sous son enveloppe un peu épaisse.

Sedaine avait trente-trois ans lorsqu'il donna au public ce premier témoignage de sa vocation plutôt que de son talent littéraire. Il n'était pas de ceux dont l'aube de la vie se dore facilement des lueurs de la gloire et des faveurs de la fortune. Sa destinée fut âpre à ses commencements. Encore enfant, lorsqu'il perdit son père, sa pauvreté n'eut d'abord d'autre ressource qu'un métier manuel, rude et grossier. Fils d'un humble architecte, il se fit maçon, gagnant de la sorte pour sa mère et pour lui le pain de chaque journée. Mais les détails de cette dure jeunesse de Sedaine ont acquis une telle notoriété, qu'on les rappelle seulement pour amener le poëte à raconter lui-même ses luttes, ses souffrances, et, à travers tant d'obstacles, ses aspirations, à l'heure si sombre de ses vingt ans. Ce n'est pas le pénible labeur dont il se plaindra davantage; sa profonde souffrance, c'est l'impossible loisir de l'étude et du travail de la pensée. La vocation littéraire, étouffée sous mille entraves, c'est là son tourment secret, son mal le plus profond. Et que vaut d'ailleurs une interprétation de biographe à côté du témoignage vivant de l'homme illustre traçant le tableau fidèle de ses mauvais jours?

Arraché chaque jour à l'humble matelas,

Où souvent le sommeil me fuyait, quoique las,
J'allais, les reins ployés, ébaucher une pierre,
La tailler, l'aplanir, la retourner d'équerre.
Souvent le froid m'ôtait l'usage de la voix,
Et mon ciseau glacé s'échappait de mes doigts.
Le soleil, dans l'été, frappant sur des murailles,
Par un double foyer me brûlait les entrailles.
La rigueur des saisons, la peine de mes mains,
N'étaient que mes travaux, et non pas mes chagrins.

Voilà le vrai; et tout le tableau s'empreint d'un caractère de réalite qui vous pénètre. Mais le dernier trait, si sobre, que ne dit-il pas dans sa délicatesse? N'est-ce pas là un de ces mots saisissants que signalait

le critique, et où l'on retrouve tout Sedaine? Et l'intime souci, la pudique misère, un peu après il nous les révèle sans amertume :

Est-ce là le chemin qui conduit au Parnasse?

Et Thalie à des doigts chargés de durillons
A-t-elle osé jamais confier ses crayons?

Ce fut ainsi pourtant que les études littéraires se firent place au milieu de tout le travail du manœuvre; ce fut ainsi que le recueil de vers se composa peu à peu, à travers tous les tracas du matériel métier. Et puis, le livre fait, que de vains efforts, que de soins infructueux pour conquérir l'éditeur rébarbatif, ou trouver par hasard, par fortune inespérée, l'éditeur bénévole! Dans une préface courte (ce qui est de bon goût), et assez piquante de ton et de tour, il raconte plaisamment ses petites tribulations de poëte inconnu. Le talent comique de l'auteur s'y fait jour par plus d'un trait et en quelques mots. L'auteur raconte, mais déjà le libraire est en scène : « Monsieur, me dit-il au premier « coup d'œil, on a déjà vu cela; et puis toujours des feuilles volantes! << Faites-nous des volumes, monsieur, des volumes. On ne vous demande « pas des chefs-d'œuvre, mais que cela supporte une reliure. » La petite scène est toute vivante, et rien n'en a vieilli. Et tout de suite, comme par vague pressentiment autant que par philosophique recherche de consolation, le poëte rebuté du libraire, ou même imprimé, et redoutant le froid accueil du public, le poëte ne trouve rien de plus naturel que de rêver des compensations de gloire dramatique. Et (voyez combien est sûr l'heureux instinct des vraies vocations!) en plaisantant sur ces perspectives de renommée, comme poëte comique, il fait, sans la chercher, de la bonne comédie. « J'ai regret, au lieu de m'être amusé « à ces frivolités, de n'avoir pas donné une pièce au théâtre. Au cas « qu'elle n'eût pas pris, j'aurais eu du moins la consolation de pouvoir <«< dire : C'est une cabale qui a prévalu; c'est un acteur qui a mal joué; « c'est le froid, c'est le chaud. Mais pour un recueil imprimé, si on ne « l'achète pas, tout ce que j'aurai à dire, c'est que le goût s'éteint en France, « qu'on ne pense plus, qu'on ne sent plus même, et je crois que je le dirai. »> Ne craignez pas qu'ayant, comme il l'a tout naturellement, la notion juste du public, il lui laisse le beau jeu de la plaisanterie prévue et toute faite! I la prévient, il l'émousse; il fait mieux: il la détourne à son avantage. « Je m'attends bien que quelque lecteur pourra me dire, par «forme d'avis: Soyez plutôt maçon... Mais pourquoi ne serais-je pas

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