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Quel ministre, quel capitaine,
Quel monarque vaincra sa haine,
Et les injustices du sort?
Le temps à peine les consomme,
Et jamais le prix du grand homme
N'est bien connu qu'après sa mort.

Oui, la mort seule nous délivre
Des ennemis de nos vertus,
Et notre gloire ne peut vivre
Que lorsque nous ne vivons plus.
Le chantre d'Ulysse et d'Achille,
Sans protecteur et sans asile,
Fut ignoré jusqu'au tombeau :
Il expire: le charme cesse,
Et tous les peuples de la Grèce.
Entre eux disputent són berceau.

Le Nil a vu sur ses rivages
De noirs habitants des déserts
Insulter par leurs cris sauvages
L'astre éclatant de l'univers.
Cris impuissants! fureurs bizarres !
Tandis que ces monstres barbares
Poussaient d'insolentes clameurs,
Le dieu, poursuivant sa carrière,
Versait des torrents de lumière
Sur ses obscurs blasphémateurs.

PROPHÉTIE D'ÉZÉCHIEL

Dans une triste et vaste plaine

La main du Seigneur m'a conduit.
De nombreux ossements la campagne était pleine;
L'effroi me précède et me suit.

Je parcours lentement cette affreuse carrière,
Et contemple en silence, épars sur la poussière,
Ces restes desséchés d'un peuple entier détruit.

<< Crois-tu, dit le Seigneur, homme à qui je confic Des secrets qu'à toi seul ma bouche a réservés, Que de leurs cendres relevés,

Ces morts retournent à la vie?

—C'est vous seul, ô mon Dieu, vous seul qui le savez.

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Le sang inonde ses canaux;
La chair renaît et se colore:
L'âme seule manquait encore
A ces habitants des tombeaux.

Mais le Seigneur se fit entendre,
Et je m'écriai plein d'ardeur :
Esprit, hâtez-vous de descendre,
Venez, esprit réparateur ;

Soufflez des quatre vents du monde,
Soufflez votre chaleur féconde
Sur ces corps prêts d'ouvrir les yeux!
Soudain, le prodige s'achève,
Et ce peuple de morts se lève,
Étonné de revoir les cieux.

17

GRESSET

1709- 1777

Lorsqu'en 1734 s'échappa furtivement d'un collège de jésuites l'aimable badinage qui chantait les aventures du perroquet Vert-Vert, la société inoccupée et puérilement blasée de cette époque le reçut avec enthousiasme. On le lut manuscrit, on le relut imprimé. Goûté, fêté, prôné, ce conte gracieux prit le nom de poëme et devint un événement. En peu de jours il courut partout; on le sut en France; on le sut hors de France. Jean-Baptiste Rousseau écrivit que l'œuvre était un prodige, et son auteur un des plus heureux et des plus beaux génies qui eussent jamais existé. « Je ne sais, ajoutait-il, si tous mes confrères modernes et moi ne ferions pas mieux de renoncer au métier que de le continuer, après l'apparition d'un phénomène aussi surprenant. »

Un abime d'idées et d'événements nous sépare de cette première moitié du XVIe siècle, contre la frivolité duquel commençait à lutter Voltaire. Nos haines comme nos enthousiasmes vont à des choses plus viriles, et il semble difficile aujourd'hui d'arrêter son esprit sur les gracieuses médisances du novice de Tours, sur les phrases gentilles des nonnes de Nevers. Cependant, si nous réservons notre attention à l'utile, et notre admiration au beau, nous ne sommes pas devenus tout à fait insensibles au joli; nous sourions quelquefois; nous n'avons pas dit à l'esprit et à la grâce un dernier adieu, et nous portons à l'art un respect trop grand pour ne pas estimer en elles-mêmes ces qualités extérieures qui suffisent à sauver une œuvre de l'oubli. On ne peut les méconnaître dans Vert-Vert, ni dans quelques-unes des autres œuvres de Gresset. La langue y garde cette pureté qui restera toujours un charme pour les amis des lettres; la phrase porte l'harmonie qui berce

sans lasser, malgré la monotonie du rhythme; l'image est nette, le trait vivement lancé, et, là même ou la pensée semble s'évanouir, la grâce

reste.

Mais, mieux que ces qualités, un phénomène particulier attire sur Gresset l'attention du lecteur et l'étude du critique : c'est la spontanéité de son talent. Il semble qu'il produise ses vers comme la plante ses fleurs, sans en avoir plus de conscience ni de souci. De là ses négligences et ses faiblesses; de là aussi ce facile abandon, qui lui fait une originalité.

Son esprit, flexible et sans résistance, reçoit toutes les empreintes, suit sans effort la pente des événements qui le mènent de la paix du collége aux agitations du monde, des ovations du théâtre à l'obscurité de la retraite.

Novice et professeur chez les jésuites, il ne porte pas ses regards au delà du parloir et du couvent, et il fait, comme en se jouant, sans paraître imiter personne, une œuvre aimable et nouvelle. Sans doute, l'art n'en est point parfait; bien des rimes insuffisantes ne purent satisfaire même les juges indulgents de son époque, et trop souvent la fin du vers perd sa force sous la monotonie des épithètes redoublées. Mais tous les défauts s'effacent devant des qualités qui les font oublier: la grâce, la délicatesse, l'esprit; le naturel, qui ajoute aux plus heureuses expressions le charme exquis de ne paraitre point cherchées; ce frais duvet de la jeunesse, qui dore le fruit à peine mûr; ce sourire qui, parti des lèvres du poëte, se réfléchit sur le visage du lecteur, et ne le quitte pas que le livre ne soit fermé.

Le Carême impromptu et le Lutrin vivant sont encore des souvenirs du collége. Ces badinages gardent la vivacité du premier jour, et cette verve facile qui permet de toucher avec grâce aux sujets les plus vulgaires.

La Chartreuse a de plus hautes prétentions : le poëte veut devenir philosophe, et mêler à la gaieté des pensées graves et des raisonnements. Mais aussitôt l'indécision, l'inquiétude pénètrent dans ses vers; on sent le désir d'atteindre à des conceptions plus élevées, on sent surtout l'impuissance d'y parvenir; la phrase n'a pas toujours la souple élégance qu'on admirait dans Vert-Vert; la période parfois se tord, se brise et se termine péniblement. Ces défauts augmentent dans les œuvres suivantes. Les Ombres, les épîtres au Père Bougeant, à sa Sœur, à sa Muse, ne sont que trouble et confusion. Il faut, pour apprécier cette nouvelle face du talent de Gresset, s'en tenir à la Chartreuse.

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