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LA MONNOYE

16411728

Dans sa liste des écrivains du siècle de Louis XIV, Voltaire s'exprime ainsi sur La Monnoye, qu'il appelle un excellent littérateur : « Il fut le premier qui remporta le prix de poésie à l'Académie française, et même son poëme du Duel aboli, qui remporta ce prix, est, à peu de chose près, un des meilleurs ouvrages de poésie qu'on ait faits en France.» L'éloge nous paraît maintenant fort exagéré; mais si nous nous reportons à l'année 1770, où parut une édition des OEuvres choisies de feu monsieur de La Monnoye, en deux beaux volumes in-quarto, nous verrons que le successeur à l'Académie de l'abbé Régnier-Desmarais était encore regardé comme un des grands hommes qu'avait fournis à la France cette riche province de Bourgogne, si fertile en talents. L'édition dont nous parlons est ornée d'un portrait de l'auteur, et d'un frontispice allégorique, dont nous ferons la description, parce que frontispice et portrait attestent la haute opinion qu'on avait alors de la gloire du poëte La Monnoye.

« Le portrait de M. de La Monnoye, dit l'éditeur, Rigoley de Juvigny, a un peu au-dessus de lui la statue d'Apollon qui l'a toujours favorisé, et qui semble l'inspirer. » Sa main gauche tient un livre où l'on a gravé cette inscription: Non nisi grandia canto. Sa main droite tient la trompette de la poésie héroïque. Devant lui brillent les couronnes que lui décerna l'Académie française; derrière lui se dessinent, à demi cachés par une ample draperie, les in-folios d'une bibliothèque. Le frontispice n'est pas moins curieux que le portrait. Il se compose d'une urne, entourée d'une couronne de chêne, surmontée d'un casque, et soutenue par un socle décoré d'un trophée d'armes. Le vase, fêlé par le bas, laisse échapper une tige de laurier. Le fond du tableau est

occupé par une pyramide et les avenues d'un temple élevé à la mémoire des grands hommes. Il paraît que l'urne est supposée renfermer les cendres des héros que la Muse de l'auteur a immortalisés. Les deux allégories ont la même signification évidemment elles donnent à entendre que La Monnoye fut un grand poëte lyrique ou épique.

Si nous avions à peindre aujourd'hui l'auteur des Noëls bourguignons, le savant collecteur de tant d'anecdotes littéraires, le traducteur aisé de tant d'épigrammes, d'odes et de madrigaux, latins, grecs, italiens, espagnols, le premier lauréat de l'Académie française, nous supprimerions bien vite la statue d'Apollon, la trompette héroïque, et même les couronnes, pour élargir les rayons de la bibliothèque merveilleuse où La Monnoye poursuivit d'un regard curieux tous les feux follets de l'érudition. Nous respecterions la vaste perruque du savant, mais nous laisserions voir les bas rosés des vignerons de la Côte-d'Or. Ce qu'il y a de pompeux et de fastueux dans le portrait serait remplacé par quelque chose de familier, de vif, de piquant et de sincère. La physionomie de l'auteur s'accorderait ainsi un peu mieux avec le caractère de l'œuvre. La Monnoye revivrait, avec ses traits bourguignons, à peine modifiés par l'influence de la vie parisienne. On aurait, je crois, le vrai La Monnoye

Cet excellent homme, demi-poëte et demi-critique, cet homme ingénieux, docte et modeste, rirait de bon cœur aujourd'hui s'il lui était donné de contempler l'immense vanité de ses héritiers, les demi-poëtes et demi-critiques de notre temps. « Vous avez rimé en français, leur dirait-il mais où sont vos vers italiens, espagnols, latins et grecs? Vous avez écrit des articles de revue: mais avez-vous relevé les erreurs d'un Baillet, d'un Ménage, d'un Bayle, et fourni des documents aux Le Duchat, aux Gibert, aux Coste, aux d'Olivet? Vous êtes de l'Académie française mais avez-vous été élus à l'unanimité? » Et je crois que les arrière-petits-neveux de La Monnoye, quoique frottés de romantisme, de lyrisme, de pédantisme, laisseraient paraître malgré eux une petite rougeur pudique devant cet aïeul souriant et clairvoyant.

Il serait assez difficile d'admirer encore après Juvigny, ou de louer après Voltaire l'auteur du Duel aboli: mais je me garderais bien de le passer sous silence, dans une collection de poëtes français. A l'époque où il entremêla ses vers et sa prose, le souffle de la poésie lyrique s'était bien affaibli. La Monnoye, certainement, n'était pas un grand poëte mais qui donc faisait résonner avec éclat la trompette héroïque, au moment où l'Académie le couronnait ? Le lauréat bourguignon

aurait pu se croire un Pindare; sa modestie éclairée le sauva de ce ridicule. Voici ce qu'il écrivait de Dijon, en 1690 (il était né en 1648), à son compatriote l'abbé Nicaise, chanoine de la Sainte-Chapelle à Paris : « Quatre ou cinq pièces que l'Académie a honorées de ses prix n'ont pas dû faire concevoir une si haute idée de mon mérite, et je n'ai pas prétendu de mon côté, qu'elles dussent être un engagement à m'ériger en auteur. J'ai l'avantage de n'avoir rien jusqu'ici fait imprimer de mon chef; en sorte que, si l'on a vu quelque chose de moi, ç'a été sans ma participation... On se trompera bien fort si l'on s'imagine que je fasse mon capital de la poésie. Elle fatigue l'esprit, et c'est un métier un peu trop pénible pour un paresseux comme moi... Sans un agréable loisir, il est difficile de s'appliquer... Assurez-vous que je ne vous envoie pas la moindre bagatelle grecque, latine ou française que je ne l'aie travaillée de mon mieux; et quand il s'y trouve des fautes, que ce n'est pas la précipitation de l'ouvrier, mais son peu d'habileté qu'il en faut uniquement accuser. » Que nous sommes loin de cette ingénuité, de cette bonhomie, de cette sage dignité littéraire! On aime tendrement La Monnoye pour ces qualités devenues si rares. Comme il a vécu dans l'intimité du génie antique et moderne, il se défie avec esprit de son propre talent, et ne s'approche qu'avec respect de l'autel de la poésie.

N'allons pas croire pourtant à trop de naïveté chez ce bonhomme. Il encense en grands vers le roi Louis XIV, mais il rime trois épigrammes coup sur coup, lorsqu'il se voit taxé à mille francs: mais il décoche un malin distique, le jour où il apprend qu'il est ruiné par le Système, qui a fait de ses billets de banque des chiffons de papier. C'est un déniaisé qui, malgré ses pieuses traductions de la glose de sainte Thérèse, des hymnes de Santeul et de Coffin, s'expose, par son édition du Menagiana et ses Noëls bourguignons, à la censure des docteurs de Sorbonne, et nous ne répondrions pas, malgré sa sagesse conjugale, qu'il n'eût un peu justifié l'anagramme de son nom: «< io amo le donne. » Beaucoup de madrigaux, d'épigrammes et de chansons peuvent donner à réfléchir sur sa prétendue sagesse. Quand il s'adresse aux Climènes et aux Iris, le galant Bourguignon est assez précis dans ses galanteries; il sait parfaitement ce qu'il veut, ce qu'il demande, et s'il ne l'obtient pas, il se venge tout doucement par un bon mot. Nous avons affaire à un homme du XVIIe siècle qui annonce déjà les hommes du xvIII. Sauf quelques réserves commandées par les bienséances de son temps, La Monnoye est un libre par

leur et un libre penseur. Les érudits et les poëtes sont d'ailleurs, quelle que soit leur époque, fort sujets à caution en fait d'orthodoxie; je ne veux citer qu'un petit fait, relativement à La Monnoye, je ne veux faire qu'un rapprochement très-simple qui expliquera le mezzo termine de cet esprit demi-religieux, demi-sceptique. On trouvera dans le second volume de l'édition in-quarto, à côté du pieux sonnet adressé à M. de Condom, ces vers singuliers à un autre prélat, Héliodore, évêque de Tresca, l'auteur de Théagène et Chariclée.

Mitre, fardeau lassant, disait Héliodore;
J'aurais grand besoin d'ellébore

Si pour te conserver je brûlais mon roman.
Ma tête à l'avenir sera plus honorée

Pour avoir su produire un livre si charmant,
Que pour avoir été mitrée.

Supposez que La Monnoye eût porté la mitre comme Bossuet ou comme Héliodore, et qu'on l'eût menacé de brûler ses Noëls, son Menagiana, ou ses Remarques sur les jugements des savants, que seraitil arrivé? La Monnoye eût été capable de devenir un païen, un athée, un libertin, un esprit fort. Mais grâce à la protection d'un cardinal, il échappa même aux censures de la Sorbonne, et mourut chrétiennement à Paris, en 1728. Il était né à Dijon en 1641, avait été reçu avocat au parlement de cette ville après avoir suivi son cours de droit à Orléans; et quoique poëte, quoique savant, ses compatriotes l'avaient. vu exercer avec exactitude pendant vingt-quatre ans sa charge de conseiller-correcteur à la chambre des comptes. « A Dijon, disait-il avant de quitter la province, je ne suis qu'un simple correcteur à Paris, je serai forcément un bel esprit, profession aussi dangereuse que celle de danseur de corde. » Ce qui n'empêcha pas le correcteur dijonnais de venir à soixante-dix ans danser sur la corde à Paris.

:

HIPPOLYTE BABOU.

SONNET

A UN AMI SEXAGENAIRE

Ami, c'est bien assez d'être époux une fois, Sauve ta liberté, fuis les secondes chaînes; Je crois bien que des ans tu ne sens pas le poids, Que tu peux même encore approcher les Climènes ;

A ton âge pourtant, lorsque l'on fait un choix, Les suites de l'hymen sont assez incertaines. Des conseils suborneurs n'écoute point la voix, Et, comme un autre Ulysse, évite les sirènes.

Je sais qu'on te propose un objet enchanté Qui joint à la naissance une extrême beauté, En esprit, en vertus, aux anges comparable.

D'un si rare parti je fais beaucoup d'état ; Mais j'en sais un pour toi mille fois plus sortable: C'est, ne l'échappe point, ami, le célibat.

A BOSSUET

NOMMÉ A L'ÉVÈCHE DE CONDOM, EN 1669

Un des fameux souhaits du grand fils de Monique Fut d'entendre de Paul la foudroyante voix,

Telle qu'on l'entendit retentir autrefois.

Dans les temples d'Athène et de Thessalonique.

Mais ce que ne put voir ce miracle d'Afrique,
Grâces à Bossuet, aujourd'hui je le vois :
La bouche qui ravit le plus grand de nos rois,
Est celle par où Paul à la France s'explique.

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