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Si j'avais à écrire une biographie de Boileau, je n'aurais qu'à piller Daunou. Si je voulais résumer et expliquer les variations successives de l'opinion littéraire sur le compte du premier de nos poëtes critiques, j'aurais bientôt fait de copier M. Sainte- Beuve dans ses Causeries du lundi et son dernier volume de Port - Royal. Daunou, avec sa merveilleuse sagacité de rapporteur, a réuni et discuté en quelques pages toutes les pièces du dossier biographique de Nicolas. Il n'a laissé aux biographes futurs que l'amusement du commentaire et de la libre interprétation. Quant à M. Sainte-Beuve, nul n'a, mieux que lui, restauré la noble figure de Boileau, si grossièrement bafouée dans toutes les guerres civiles, dans toutes les frondes de la république des lettres. Avant de rendre complète justice à ce grand nom, et pour qu'il fût désormais à l'abri de tout outrage de la part des sols admirateurs, des passionnés adversaires, des ignorants de toute origine et de tout parti, M. Sainte- Beuve a patiemment confronté les divers témoignages historiques des deux derniers siècles et du nôtre sur une de nos gloires les plus nationales. Il a relevé les erreurs de jugement, les préjugés d'école, les illusions de perspective, les entraînements des passions et des circonstances qui ont si souvent

contribué à rabaisser Nicolas presque au niveau de Gilles, son frère, celui qu'on appelait Boileau le grammairien, Boileau le critique. Et non-seulement le poëte a vengé le poëte, sans le surfaire par esprit de réaction, mais le peintre historien a ranimé le grand homme (greatman) dans le cadre même de sa vie passée; ce qui nous a permis enfin d'envisager le patriarche d'Auteuil dans son vrai jour, de comprendre le rôle et la fonction de cette redoutable autorité, de ce caractère si droit et si aimable, de cet esprit novateur et correcteur, de cette raison aussi fière dans ses haines qu'intrépide et indépendante dans ses amitiés.

Oui, voilà le véritable Boileau! Je le reconnais du premier coup, je l'estime toujours, je l'admire quelquefois, et quelquefois aussi je me surprends à l'aimer cordialement comme l'aimèrent sans doute ses meilleurs contemporains, dans cette solitude d'Auteuil, aussi glorieuse en son temps que le fut plus tard celle de Ferney. Je laisse de côté sa biographie anecdotique, cette collection de petits faits de la vie privée que tout le monde sait par cœur aujourd'hui. Ce que je voudrais tenter ici, c'est la biographie de l'esprit de Boileau, cet esprit dont la supériorité, comme le dit Brossette, se révèle plutòt par la conversation que par les écrits. La conversation de cet initiateur littéraire, de cette espèce de Royer-Collard poëte et critique; sa conversation à Versailles, au cabaret, dans les salons, chez les libraires, au théâtre, dans son jardin et jusque dans son lit, où il passe la franche matinée en vrai Parisien qu'il est; ses lectures et ses récitations animées par tout le prestige de l'acteur, du mime excellent et de l'habile metteur en scène, eurent évidemment sur son époque une influence beaucoup plus grande que les diverses éditions de ses œuvres poétiques et critiques. De telles œuvres, si nettement datées, si appropriées au moment, si bien venues à heure fixe, ressemblent d'une manière frappante à des pièces de théâtre, à des chansons, à des causeries, à des plaidoyers d'avocat, à des harangues d'orateur: elles sont faites, sans nul doute, bien plutôt pour être jouées, chantées, mimées et déclamées, que pour être lues avec recueillement, dans le silence du cabinet. Boileau le savait lui-même mieux que nous. Aussi lançait-il ses écrits comme des paroles volantes, que mille échos se renvoyaient, de Paris à Auteuil et d'Auteuil à Versailles, avant qu'elles ne fussent happées au vol par un libraire et triomphalement exposées dans la galerie du Palais. Il les récitait avec feu, avec adresse, et non pas seulement chez ses Mécènes, chez

ses francs amis, chez ses admirateurs, les Lamoignon et les Arnauld, mais jusque chez les amis douteux, tout prêts à devenir des ennemis, comme le Père Ferrier ou le Père La Chaise, confesseurs du roi.

Qui aurait pu refuser de l'entendre? Il débitait avec tant d'agrément les nouveautés de son esprit! Au reste, quand il avait mis la main sur un auditoire, il ne lâchait pas prise; il le soulevait, il l'étreignait, et se réjouissait à le sentir palpiter sous son regard: car il ne voulait pas lire à des bustes. Il regardait ses gens dans les yeux, le terrible homme, et les eût volontiers saisis au collet pour les mettre à genoux devant lui. Peu lui importaient les louanges en l'air; il demandait à être loué après débat contradictoire, comme on est jugé. Donc, en l'écoutant, on respirait à peine; et si l'on paraissait ne pas comprendre, il insistait avec plus de force, reprenant sans se lasser des files de vers, se répétant avec plaisir, et variant ses intonations comme un parfait comédien. Les cervelles les plus distraites étaient maîtrisées; les mémoires les plus rebelles, entamées coup sur coup, retenaient forcément ses vers comme des entailles. Boileau, quoi qu'on en pût dire, s'imprimait dans les esprits ou s'y gråvait en se récitant. Autant d'auditeurs, autant d'exemplaires vivants de son œuvre que le moindre vent feuilletait et faisait parler. Avant d'avoir publié un seul volume, le jeune Boileau était célèbre.

D'où lui vint cette célébrité? De son rare talent, sans doute, de son talent de lecteur et d'auteur: mais il y eut des motifs plus sérieux pour que les applaudissements, mêlés aux cris de haine, saluassent de tous côtés les premières satires. On fut émerveillé de tant d'audace; on fut peut-être ravi de tant d'à-propos. Ce qu'il attaquait, ce qu'il venait renverser, pesait lourdement à son siècle du poids de ces vieilles choses consacrées auxquelles on ne croit plus, et qu'on s'imagine respecter parce qu'elles ennuient. Boileau décoiffa Chapelain, et de rire! On s'aperçut que le vieux monarque littéraire n'avait pour couronne qu'une perruque à calotte, et la gaieté satirique éclata partout victorieuse elle se répandit jusque sur le calme visage de ce froid Colbert, que les courtisans avaient surnommé le Nord. Plus d'ennui : donc plus de respect. Un culte nouveau allait s'établir dans les lettres.

Boileau devina (et ce fut son mérite) qu'il s'agissait à la fois d'une réforme et d'une renaissance. De là, condamnation sans merci des doucereux, des extravagants, des burlesques et des précieux, qui auraient fini par faire dégénérer la langue en jargon; de là le retour décisif à l'antiquité grecque et latine, où la langue française devait puiser, avec

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la clarté, son caractère principal qui est le signe même de notre nation le caractère de l'universalité classique. Une philosophie rationnelle avait déjà donné le coup de grâce à la scolastique. Boileau adopta franchement la méthode de Descartes, pendant qu'Arnauld lui-même la défendait. Tout en restant chrétien comme Port-Royal, il s'avoua cartésien. N'est-ce pas ce qu'un fin critique a voulu indiquer, en appelant Boileau molino-janséniste? On nous permettra de développer cette spirituelle indication, qui s'applique aussi exactement au génie qu'à la conduite du satirique.

Habile autant que résolu dans son rôle de chef de parti littéraire, Boileau se maintint en bonnes relations avec les solitaires de Port-Royal comme avec leurs adversaires. Il ménagea longtemps les jésuites les plus distingués, tels que le Père Ferrier, le Père La Chaise, le Père Bouhours et le Père Bourdaloue, dont il disait à la présidente de Lamoignon, qui lui avait envoyé le portrait du célèbre prédicateur :

Enfin, après Arnauld, ce fut l'Illustre en France
Que j'admirai le plus, et qui m'aima le mieux.

« Si M. Despréaux me chante, avait dit gaiement Bourdaloue luimême dont le nom avait été accolé à celui d'Escobar dans une chanson de table, si M. Despréaux me chante, je le prêcherai. » Il le prêcha peut-être quelquefois, mais comme il avait été chansonné, currente lagena, au dessert. Ce fut par égard pour les jésuites que l'auteur de l'épître sur l'Amour de Dieu ajouta dans cette épître ces huit vers que désapprouvait Racine:

Oui, dites-vous, allez, vous l'aimez, croyez-moi.
Qui fait exactement ce que ma loi commande
A pour moi, dit ce Dieu, l'amour que je demande.
Faites-le donc, et sûr qu'il nous veut sauver tous,
Ne vous alarmez point pour quelques vains dégoûts,
Qu'en sa ferveur souvent la plus sainte áme éprouve;
Marchez, courez à lui: qui le cherche, le trouve,
Et plus de votre cœur il parait s'écarter,

Plus par vos actions songez à l'arrêter.

Le Père de La Chaise en fut si enchanté qu'il les lui fit répéter huit fois en s'écriant: « Pulchre, bene, recte! Cela est vrai, cela est indubitable. Voilà qui est merveilleux. Il faut lire cela au roi. » Et pourtant cette épître, qui fit tant de bruit, avait été rimée à la suite d'une discussion avec le Père Cheminais, discussion aussi vive que celle qui eut

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