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trente ans, a vécu dans son intimité, de souhaiter en son nom la bienvenue aux Annales Fléchoises, et d'exprimer l'espoir qu'elles verront s'ouvrir devant elles un long avenir de prospérité ?

A ce titre d'ami, on m'a demandé de rappeler en quelques lignes au public fléchois le souvenir de M. Fontaine. Ce souvenir est encore vivant dans la mémoire de tous ceux qui l'ont connu. Qui aurait pu oublier cette figure souriante, où respirait la bienveillance, cette affabilité qui ne se démentait jamais, cet accueil si gracieux pour les jeunes gens qui venaient lui soumettre leurs essais, et qui toujours recevaient de lui les plus judicieux conseils ? II n'était pas à La Flèche d'homme plus connu que le Président Fontaine ; il n'en était pas qui jouît d'une plus grande et plus légitime popularité. Aussi, quels regrets y a-t-il laissés, quand il nous a quittés, emporté brusquement par une courte maladie ! Pour ceux qui l'approchaient de plus près, sa mort a produit une véritable sensation de vide physique, tellement son existence était, pour ainsi dire, mêlée à la leur. Devant la foule recueillie qui se pressait autour de sa tombe, M. le Président Deuil, au nom du Tribunal, M. Gossin, premier adjoint, au nom de la Ville, ont rendu un juste hommage à ses qualités de magistrat et de citoyen. Je viens de parler de l'homme privé. En rappelant les principaux traits de sa biographie, j'essaierai de dire quelques mots du littérateur.

Edmond Fontaine naquit à Fresnay-sur-Sarthe, le 7 janvier 1828, d'une famille d'honorable bourgeoisie. Il avait toujours conservé l'amour de sa petite patrie, ainsi qu'en témoignaient sur les murs de ses appartements de nombreuses toiles ou aquarelles représentant des vues de ce pays si pittoresque. Tous les ans, lors de la St-Bonaventure, fète patronale de Fresnay, les organisateurs des réjouissances sollicitaient son

concours, et il m'a montré plus d'une lettre signée suivant l'usage local, du Roi et du Dauphin, lui demandant une cotisation bénévole, qu'il ne manquait jamais d'envoyer. I fit d'excellentes études classiques, d'abord au collège communal d'Alençon, puis au collège royal de Caen, ainsi qu'il aimait à le rappeler, évitant avec soin le mot lycée, qui lui semblait entaché de modernité. De ces fortes études il garda toute sa vie un goût prononcé, et presque un véritable culte pour l'antiquité et pour les maîtres de notre littérature française. Il est probable que, dès cette époque, il s'essayait à traduire en vers ses premières impressions, et qu'il commençait à acquérir cette facilité qui était la caractéristique de ses œuvres poétiques, facilité peut-être trop grande, car elle lui permettait de se dispenser de tout travail fastidieux, et s'il avait eu à lutter àprement contre les difficultés du rhythme et de la rime, peut-être son style poétique y eût-il gagné plus d'éclat et plus de vigueur. Quoi qu'il en soit, répétons avec le poète non omnia possumus omnes, et ajoutons que, dans la gamme douce et tempérée qui fut celle de notre ami, l'émotion et le charme sont loin de faire défaut.

Il commença ses études de droit à Caen et les termina à Paris, où il fut reçu licencié en 1849. A la même époque il fut admis à l'Ecole d'Administration, création éphémère du gouvernement de la seconde République, qui cessa d'exister l'année suivante. M. Fontaine, qui s'était fait inscrire au barreau de Paris, resta dans cette ville jusqu'en 1863, et l'exercice de sa profession ne l'empêcha pas de se livrer à ses goûts littéraires. Comme avocat, il plaida avec succès, surtout à la barre de la Cour d'assises et du tribunal correctionnel; comme littérateur, il publia une brochure politique, Le dernier mot sur Rome (1863), et une traduction en vers de quelques odes d'Horace. Pendant une absence de Jules Moinaux, le

spirituel chroniqueur, il fit à sa place dans la Gazette des Tribunaux plusieurs articles humoristiques, qui furent appréciés du public, et qu'il aimait plus tard à relire à ses amis.

Arrivé à l'âge de trente-cinq ans, il songea à entrer dans la magistrature, où il débuta, en 1863, par le poste de juge de paix à Saint-Florent-le-Vieil (Maineet-Loire). Il passa cinq ans dans ce pays, dont il garda toujours un charmant souvenir. Son caractère conciliant le rendait éminemment apte aux fonctions qui lui avaient été confiées; aussi ne tarda-t-il pas à acquérir sur ses justiciables une influence qui lui permettait d'arranger presque toutes les affaires portées devant lui; le nombre des sentences qu'il rendait comme juge civil était absolument infime, ce qui est le meilleur éloge qu'on puisse adresser à un magistrat cantonal. Tout en remplissant exactement les devoirs de sa charge, il trouvait le temps de cultiver les lettres et les arts. C'est de cette époque que datent plusieurs des poésies publiées plus tard dans le Bulletin de la Société des Lettres, Sciences et Arts de La Flèche; c'est aussi pendant son séjour à Saint-Florent qu'il mit en musique le fameux sonnet de Ronsard :

« Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle... >> et qu'il commença un opéra, intitulé Ronsard à Vaudemont, dont il composait, à la fois, la musique et les paroles. Malheureusement, cet ouvrage est resté inachevé, et il n'en existe que des fragments, dont quelques-uns ont été édités. Ces morceaux sont de nature à faire regretter que l'œuvre soit demeurée à l'état d'ébauche, et que M. Fontaine n'y ait jamais travaillé avec assez de suite pour pouvoir y mettre la dernière main.

Le 21 mai 1868, il fut nommé juge d'instruction au Tribunal civil de La Flèche, et il vint se fixer dans

cette ville, où il est resté jusqu'à son décès. On peut dire qu'il ne tarda pas à devenir, par le cœur, un véritable Fléchois, heureux de mettre au service de ses concitoyens d'adoption son temps, ses soins et l'influence dont il pouvait disposer en haut lieu. Après avoir exercé pendant treize ans les délicates fonctions de l'instruction, il fut appelé, en juin 1883, à la présidence du Tribunal, qu'il ne quitta qu'en janvier 1898, atteint par l'inéluctable limite d'àge. En juillet 1891, le Gouvernement avait reconnu ses services en le nommant chevalier de la Légion d'honneur; déjà les palmes d'officier d'Académie, puis celles d'officier de l'Instruction publique avaient récompensé le zèle qu'il n'avait cessé de montrer pour l'instruction sous toutes ses formes et à tous les degrés.

Conseiller municipal à deux reprises, délégué cantonal, membre du Bureau de bienfaisance, président de la Musique municipale, vice-président du Comice agricole, tels furent les titres qu'il tenait de la confiance du Gouvernement ou du suffrage de ses concitoyens, et qu'il conserva pour la plupart dans la retraite où, au milieu de ses livres et de ses tableaux bien aimés, il goùtait un studieux repos.

L'une des dernières joies de sa vie fut la fête magnifique organisée à La Flèche pour l'érection du monument de Léo Delibes. Il avait été la cheville ouvrière du comité qui s'était formé à cette occasion, et avait composé les paroles de la cantate qui fut exécutée en l'honneur du musicien de Saint-Germaindu-Val. Ce fut avec un bonheur sans mélange que, devant le buste de l'artiste, il entendit quatre cents orphéonistes répéter en chœur les paroles sonores consacrées par lui à la gloire de l'auteur de Lakmé et de Coppélia (18 juin 1899). Hélas! en ce moment il aurait pu chanter lui-même le nunc dimittis, car il ne devait survivre que quatre mois à ce triomphe; du moins il en avait goûté toute la douceur.

M. Fontaine ne se contentait pas de répandre son àme en vers harmonieux; il possédait encore toutes les qualités d'un judicieux critique. Il le fit bien voir dans les conférences organisées sous les auspices de la Société des Lettres, par ses études sur Balzac, Shakespeare, Byron, Octave Feuillet, etc..., qui sont restées dans la mémoire de ses auditeurs, et qu'on a lues avec intérêt dans le Bulletin. Il donna aussi à cette publication plusieurs nouvelles, dont la mieux venue est, à mon avis, Le testament de Me Dumont; les personnages, sortis de l'imagination de l'auteur, y sontdépeints avec une telle vérité et sous des traits si précis que plus d'un lecteur s'y est trompé et que certains lui ont demandé où et quand il les avait connus. Citons encore, dans le dernier numéro du Bulletin (1899), une comédie en prose, intitulée Les Contrastes, où, d'une manière assez piquante, l'auteur cherche à prouver la fausseté du proverbe : « qui se ressemble s'assemble », et à établir que, dans l'union conjugale, la contrariété des caractères est la meilleure garantie de félicité.

La dernière fois que M. Fontaine prit la parole en public, ce fut le 4 octobre 1899, à Aubigné, lors de l'inauguration de la plaque de marbre apposée sur la maison natale de Racan. Malgré la pluie qui ne cessa de tomber pendant toute la journée, il avait tenu à assister à cette solennité littéraire qui touchait si vivement son âme de poète et de Manceau. Quelques jours après, il entreprenait ce dernier voyage à Paris, où la mort devait enlever, à l'affection de ses amis l'homme vraiment bon, et remarquablement doué pour les lettres et pour les arts, dont je viens d'esquisser le portrait (28 octobre 1899). Nul ne mérita mieux que lui le titre d'honnête homme tant au sens du XVIIe siècle que dans l'acception moderne de cette belle expression.

E. COUEFFIN,

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