תמונות בעמוד
PDF
ePub

LEÇON III.

La constitution essentielle des États ou la manière dont ils se forment; le souverain, les sujets.

APRÈS avoir traité de l'origine des sociétés civiles, l'ordre naturel veut que nous examinions quelle est la constitution essentielle des États, c'est-à-dire quelle est la manière dont ils se forment, et quelle est la structure de ces édifices merveilleux.

Il résulte de ce que l'on a dit dans la Leçon précédente que le seul moyen que les hommes pouvaient employer avec succès pour se mettre à couvert des maux qui les travaillaient dans l'état de nature, et pour se procurer tous les avantages qui manquaient à leur sûreté et à leur bonheur, devait être tiré de l'homme même et des secours de la société. Pour cet effet, il fallait qu'une multitude d'hommes se joignissent ensemble d'une façon si particulière, que la conservation des uns dépendît de la conservation des autres, afin qu'ils fussent dans la nécessité de s'entre-secourir, et que par cette union de forces et d'intérêts ils pussent aisément repousser les insultes dont ils n'auraient pu se garantir chacun en particulier, contenir dans le devoir ceux qui voudraient s'en écarter, et travailler plus efficacement à leur commune utilité,

Deux obstacles, cependant s'opposaient à ce grand but. Le premier est la diversité prodigieuse d'inclinations et de sentiments, accompagnée chez la plupart d'un grand défaut de pénétration qui les empêche de discerner ce qui est le plus avantageux au but général, et en même temps d'une opiniâtreté extrême à soutenir ce que l'on s'est une fois mis dans l'esprit, et à persister dans le parti bon ou mauvais qu'on a pris. C'est le partage ordinaire des sots. Le second obstacle est la nonchalance, disons mieux, la répugnance avec laquelle on se porte à faire ce qui est avantageux à la société, tant qu'il n'y a point de force supérieure capable de contraindre ceux qui refuseront de s'acquitter de leur devoir.

Deux choses étaient donc nécessaires pour cela: d'abord il fallait réunir pour toujours les volontés de tous les membres de la société, de telle sorte que désormais ils ne voulussent plus qu'une seule et même chose en matière de tout ce qui se rapporte au but de la société; ensuite il fallait établir un pouvoir supérieur soutenu des forces de tout le corps, au moyen duquel on pût intimider ceux qui voudraient troubler la paix et faire souffrir un mal présent et sensible à quiconque oserait agir contre l'utilité commune.

C'est de cette union de volonté et de forces que résulte le corps politique ou l'État, et sans cela on ne saurait concevoir de société civile ; car, quelque grand que fût le nombre des confédérés, si chacun suivait toujours son jugement particu

lier-par rapport aux choses qui intéressent le bien commun, on ne ferait que s'embarrasser les uns les autres, et la diversité d'inclinations et de jugements, la légèreté et l'inconstance naturelle à l'homme, anéantiraient bientôt la concorde, et les hommes retomberaient ainsi dans les inconvénients de l'état de nature. Mais d'ailleurs une telle société ne saurait agir long-temps de concert et pour une même fin, ni se maintenir dans cette harmonie qui fait toute sa force, sans une puissance supérieure qui serve de frein commun pour réprimer l'inconstance et la malice humaine, et pour contraindre chaque particulier à rapporter toutes ses actions au bien public.

Tout cela s'exécute par le moyen des conventions; car cette union des volontés dans une seule et même personne ne saurait se faire de manière que la diversité naturelle d'inclinations et de sentiments soit actuellement détruite; mais cela se fait par un engagement où chacun entre, de soumettre sa volonté particulière à la volonté d'une seule personne ou d'une assemblée, en sorte que toutes les résolutions de cette assemblée, au sujet des choses qui concernent la sûreté ou l'utilité publique, soient regardées comme la volonté positive de tous en général et de chacun en particulier.

Pour la réunion des forces qui produit la souveraine puissance, elle ne se fait pas non plus de manière que chacun communique physiquement ses forces à une seule personne, en sorte qu'après

cela il demeure comme sans vigueur et sans action; mais cela s'exécute par un engagement, par lequel tous en général et chacun en particulier s'obligent à ne faire usage de leurs forces que de la manière qui leur sera prescrite par la personne à laquelle ils ont donné, d'un commun accord, la direction souveraine.

Par cette réunion du corps politiqué sous un seul et même chef, chaque particulier acquiert pour ainsi dire autant de force que toute la société en commun. S'il y a, par exemple, un million d'hommes dans la république, chacun a de quoi résister à ce million, au moyen de la dépendance où ils sont d'un pouvoir suprême qui les tient tous en bride, et qui les empêche de se nuire les uns aux autres ; cette multiplication de force dans le corps politique ressemble à celle de chaque membre dans le corps humain; séparez-les, ils n'ont plus de vigueur; mais par leur union mutuelle la force de chacun augmente, et ils font tous ensemble un corps robuste et animé.

L'on peut définir l'État une société par laquelle une multitude d'hommes s'unissent ensemble sous la dépendance d'un souverain, pour trouver sous sa protection et par ses soins le bonheur auquel ils aspirent naturellement. La définition que donne Cicéron revient à peu près à la même chose. Multitudo juris consensu et utilitatis communione sociata. Une multitude de gens unis ensemble par une communauté d'intérêt et par des lois communes auxquelles ils se soumettent d'un commun accord.

On considère donc l'État comme un corps, comme une personne morale, dont le souverain est le chef ou la tête, et les particuliers les membres; en conséquence on attribue à cette personne certaines actions qui lui sont propres, certains droits, certains biens particuliers distincts de ceux de chaque citoyen, et auxquels ni chaque citoyen, ni plusieurs, ni même tous ensemble ne sauraient rien prétendre, mais seulement le souverain.

C'est aussi cette union de plusieurs personnes en un seul corps, produite par le concours des volontés et des forces de chaque particulier dans une seule et même personne, qui distingue l'État d'une multitude. Car une multitude n'est qu'un assemblage, un amas de plusieurs personnes dont chacune a sa volonté particulière, la liberté de juger suivant ses idées de tout ce qui peut être proposé, et de se déterminer comme il lui plaît, et à laquelle on ne saurait par conséquent attribuer une seule volonté ; au lieu que l'État est un corps, une société animée par une seule âme qui en dirige tous les mouvements, et qui en fait agir tous les membres d'une manière constante et uniforme, et relativement à un seul et même but, savoir, l'utilité commune.

En suivant les principes que nous venons d'établir sur la manière dont les États se forment, si l'on suppose qu'une multitude de gens jusquelà indépendants les uns des autres veuillent établir une société civile, il faut nécessairement qu'il

[ocr errors]
« הקודםהמשך »