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reux: Mais les hommes ne suivirent pas longtemps une règle si parfaite; la vivacité de leurs passions affaiblit bientôt la force de la loi naturelle, et cette loi ne se trouva plus un frein assez puissant pour laisser plus long-temps à luimême l'homme ainsi affaibli et aveuglé par les passions. Expliquons cela un peu plus particulièrement.

Les impressions de la loi naturelle, qui défend toute sorte d'injures et d'injustices, n'étaient pas assez fortes pour engager tous les hommes à vivre dans l'indépendance de l'état de nature sans avoir rien à craindre les uns des autres. Il se trouve, je l'avoue, des gens qui ont naturellement à cœur l'honnêteté, l'innocence, la bonne foi, la probité, en sorte qu'ils ne voudraient pas se laisser aller à rien qui fût capable d'y donner la moindre atteinte, quand même ils seraient sûrs de le faire impunément. Il y en a aussi plusieurs qui, sans y être déterminés par un motif de vertu, répriment en quelque sorte leurs sions, et s'abstiennent d'insulter les autres par la crainte du mal qui pourrait leur en revenir à eux-mêmes. Si tout le monde était de l'un ou de l'autre de ces caractères, on n'aurait pas eu grand besoin de société civile. Mais ne voit-on pas une infinité de gens qui foulent aux pieds les devoirs les plus sacrés toutes les fois qu'ils croient trouver du profit à les violer, et qu'ils se sentent assez de force ou d'adresse pour nuire impunément? Or ne pas se défier de tels scélé

TOME II.

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pas

rats, ce serait se trahir soi-même, et s'exposer de gaité de cœur à être le jouet de leur malice. En un mot, comme dit un historien latin, « l'in<<nocence ne trouve pas toujours en elle-même « sa sûreté (1). »

Le premier avantage donc de la société civile, c'est qu'on peut, à l'aide du magistrat, forcer les méchants à laisser tous les hommes paisibles possesseurs de leurs droits.

Ensuite l'état de nature manquait encore d'une autre chose nécessaire au bonheur et à la tranquillité de la société, je veux dire d'un juge commun reconnu pour tel, et qui pût terminer les différends qui s'élèvent tous les jours entre les particuliers. Dans cet état, chacun étant arbitre souverain de ses actions, et ayant droit de juger lui-même et des lois naturelles et de l'application qu'il en doit faire, cette indépendance et cette grande liberté ne pouvaient que produire le désordre et la confusion, principalement dans le cas où il y avait opposition d'intérêt ou de passions.

Les voies d'un accommodement amiable ou les décisions des arbitres ne suffisaient pas pour le maintien de la paix. Car ceux qui se portent à violer les autres lois de la nature ne se font pas scrupule de courir d'abord aux armes, sans se mettre en peine de tenter auparavant les voies pacifiques. D'ailleurs, comme c'est par une simple con

(1) Adherbal, apud Sallust., in bello Jugurth., cap. xiv.

vention et volontairement que l'on s'en rapporte au jugement d'un arbitre, si l'une des parties n'est pas satisfaite de la sentence, ne pourrait-elle pas s'en moquer lorsqu'elle se sentira assez de force pour le faire impunément, puisqu'un arbitre, surtout dans l'état de nature, n'a pas l'autorité nécessaire pour obliger les parties à en passer, bon gré, mal gré qu'elles en aient, par ce qu'il a prononcé ?

Enfin, comme dans l'état de nature il n'y avait personne qui pût faire exécuter les lois, ou en punir la violation avec autorité, c'était encore là un troisième inconvénient de la société primitive, qui affaiblit presque entièrement la vertu des lois naturelles; car de la manière dont les hommes sont faits, les lois tirent leur plus grande force du pouvoir coactif, qui par des punitions. exemplaires intimide les méchants et balance la force supérieure du plaisir et de la compassion.

Tels étaient les inconvénients qui accompagnaient l'état de nature. La grande liberté et l'indépendance dont les hommes jouissaient les jetaient dans un trouble perpétuel; la nécessité les a donc forcés à sortir de cette indépendance et à chercher un remède contre les maux qu'elle leur causait; et c'est ce qu'ils ont rencontré dans l'établissement de la société civile et d'une souveraine autorité.

Mais ce n'a été qu'en faisant deux choses également nécessaires : la première, de s'unir ensemble par une société plus particulière; la seconde, de

former cette société sous la dépendance d'une personne qui eût le droit d'y commander en dernier ressort, pour y maintenir l'ordre et la paix. Ils remédièrent par ce moyen aux inconvénients dont nous avons parlé. Le souverain, en publiant ses lois, instruit les particuliers des règles qu'ils doivent suivre. Chacun n'est plus juge indépendant dans sa propre cause; on réprime les caprices et les passions, et les hommes sont obligés de se contenir dans les égards qu'ils se doivent les uns

aux autres.

Mais rien ne prouve mieux la nécessité et l'avantage de l'établissement de la société civile que l'idée nette de la liberté naturelle; c'est le droit que la nature donne à tous les hommes de disposer de leurs personnes et de leurs biens de la manière qu'ils jugent la plus convenable à leur bonheur, sous la restriction qu'ils le fassent dans les termes de la loi naturelle, et qu'ils n'en abusent pas au préjudice des hommes : à ce droit de liberté répond une obligation réciproque, et par laquelle la loi naturelle engage tous les hommes à respecter la liberté des autres hommes, et à ne les pas troubler dans l'usage qu'ils en font, tant qu'ils n'en abusent pas.

Les lois naturelles sont donc la règle et la mesure de la liberté; et, dans l'état primitif et de nature, les hommes n'ont de liberté qu'autant que les lois naturelles leur en accordent : il est donc à propos de remarquer ici que l'état de liberté naturelle n'est point un état d'une entière indé

pendance. Dans cet état, les hommes sont effectivement dans l'indépendance les uns à l'égard des autres, mais ils sont tous sous la dépendance de Dieu et de ses lois. L'indépendance, à parler en général, est un état qui ne saurait convenir à l'homme, puisque par sa nature il relève d'un supérieur.

La liberté et l'indépendance de tout supérieur sont deux choses tout-à-fait distinctes qu'il ne faut pas confondre. La première appartient essentiellement à l'homme, l'autre ne saurait lui convenir. Et bien loin que la liberté de l'homme soit par elle-même incompatible avec la dépendance d'un souverain et l'obéissance à ses lois, au contraire, c'est cet empire du souverain et la protec-· tion que les hommes en retirent, qui fait pour eux la plus grande sûreté de leur liberté.

C'est ce que l'on comprendra pleinement, și l'on se rappelle ici ce que nous avons établi cidevant en parlant de la liberté naturelle. Nous avons fait voir que les restrictions que la loi naturelle apportait à la liberté de l'homme, bien loin de la diminuer ou de la détruire, en faisaient au contraire la perfection et la sûreté. Le but des lois naturelles n'est pas tant de gêner la liberté de l'homme, comme de le faire agir conformément à ses véritables intérêts; et d'ailleurs ces mêmes lois mettant un frein à la liberté des hommes, dans ce qu'elle pourrait avoir de dangereux pour les autres, elle assure ainsi à tous les hommes le plus haut degré de liberté qu'ils puissent souhai

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