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Quoique l'empire du ridicule ne foit pas auffi étendu que ceux qui l'exercent le fuppofent, il ne l'eft encore que trop parmi les gens du monde; et il est étonnant qu'un caractère auffi leger que le nôtre fe foit foumis à une fervitude, dont le premier effet foit de rendre le commerce uniforme, languiffant et ennuyeux. La crainte puerile du ridicule étouffe les idées, rétrecit les efprits, et les forme fur un feul modèle, fuggere les mêmes propos peu intéressans de leur nature, et fastidieux par la répétition. Il femble qu'un seul ressort imprime à différentes machines un mouvement égal et dans la même direction. Je ne vois que les fots qui puissent gagner à un travers qui les met de niveau avec les hommes fupérieurs, puisqu'ils font tout également alsujettis à une mesure commune où les plus bornés. peuvent atteindre.

L'efprit eft presque égal quand on eft affervi au même ton, et ce ton eft nécessaire à ceux qui fans cela n'en auroient point à eux; il reffemble à ces livrées qu'on donne aux valets, fans quoi ils ne feroient pas vêtus.

Avec ce ton de móde on peut être impunément un fot, et on regardera comme tel un homme de beaucoup d'efprit qui ne l'aura pas: il n'y a rien qu'on diftingue moins de la fottife que l'ignorance des petits usages. Combien de fois a-t-on rougi à la Cour pour un homme qu'on y produisoit avec confiance, qu'on avoit admiré ailleurs, et qu'on avoit annoncé avec une bonne foi imprudente; on ne s'étoit cependant pas trompé, mais on ne l'avoit jugé que d'après la raifon, et on le confronte avec la mode.

cule

Ce n'eft pas affez que de ne pas s'expofer au ridipour s'en affranchir, on en donne à ceux qui en méritent le moins, fouvent aux perfonnes les plus respectables, fi elles font allez timides pour le recevoir.

Des gens méprifables, mais hardis, et qui font au fait des moeurs regnantes, le répouffent et l'anéantiffent mieux que les autres.

Comme le ridicule n'ayant fouvent rien de décidé, n'a d'existence alors que dans l'opinion, il dépend en partie de la dispofition de celui à qui on veut le donner, et dans ce cas-là il a befoin d'être accepté. On le fait échouer, non en le repoussant avec force, mais en le recevant avec mépris ou indifference, quelquefois en le recevant de bonne grace. Ce font les flèches des Mexiquains qui auroient pénétré le fer, et qui s'amortiffoient contre des arinures de laine.

Quand le ridicule est le mieux mérité, il y a encore un art de le rendre fans effet, c'est d'outrer ce qui y a donné lieu. On humilie fon adversaire, en dédaignant les coups qu'il veut porter.

D'ailleurs cette hardieffe d'affronter le ridicule impose aux hommes; et comme la plûpart ne font pas capables de n'eftimer les chofes que ce qu'elles valent, où leur mépris s'arrête leur adiniration commence, et le fingulier en eft communément l'objet.

Par quelle bifarrerie la même chofe à un certain degré rend-elle ridicule, et portée à l'excès donne-t-elle une forte d'éclat? Car tel eft l'effet de la' fingularité marquée, soit que le principe en foit louable ou repréhenfible.

Cela ne peut venir que du dégoût que cause l'uni. formité de caractère qu'on trouve dans la fociété. On eft fi ennuyé de rencontrer les mêmes idées, les mê ines opinions, les mêmes manières, et d'entendre les mêmes propos qu'on fait un gré infini à celui qui fus pend cet état létargique.

La fingularité n'est pas précisément un caractère; c'est une simple manière d'ètre qui s'unit à tout autre caractère, et qui confiste à etre foi, fans s'appercevoir

qu'on

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qu'on foit different des autres; car fi l'on vient à le reconnoître, la fingularité s'évanouit; c'est une énigme qui cesse de l'être auffi-tôt que le mot en eft connu.. Quand on s'eft apperçu, qu'on eft différent des autres, et que cette différence n'est pas un mérite, on ne peut guére perfifter que dans l'affectation, et c'est alors petitelle ou orgueil, ce qui revient au même, et produit le dégoût; au lieu que la fingularité naturelle met un certain piquant dans la fociété qui en ranime la langueur.

Les fots qui connoiffent fouvent ce qu'ils n'ont pas, et qui s'imaginent que ce n'est que faute de s'en être avilés, voyant le fuccés de la fingularité, fe font finguliers, et l'on fent ce que ce projet bifarre doit pro

duire.

Au lieu de se borner à n'être rien, ce qui leur convenoit fi bien, ils veulent à toute force être quelque chofe, et ils font infupportables. Ayant remarqué, ou plutôt entendu dire que des génies reconnus ne font pas toujours exempts d'un grain de folie, ils tâchent d'imaginer des folies, et ne font que des fottiles.

La fauffe fingularité n'eft qu'une privation de caractère, qui confifte non feulement à éviter d'être ce que font les autres, mais à tàcher d'ètre uniquement ce qu'ils ne font pas.

On voit de ces fociétés où les caractères se font L'un le fait partagés comme on diftribue des rolles. Philosophe, un autre plaisant, un troisième homme d'humeur. Tel fe fait cauftique qui penchoit d'abord à être complaifant, mais il a trouvé le rolle occupé. Quand on n'eft rien, on a le choix de tout.

Il n'eft

pas étonnant que ces travers entrent dans la tête d'un fot, mais on est étonné de les rencontrer avec de l'efprit. Cela fe remarque dans ceux qui nés avec plus de vanité que d'orgueil, croyent rendre leurs défauts brillans par la fingularité en les outrant, plutôt que de s'appliquer à s'en corriger. Ils jouent leur propre caractère; ils étudient alors la nature pour s'en écarter de plus en plus, et s'en former une particuliere; ils ne veulent rien faire ni dire qui ne s'éloigne du fimple; et malheureusement quand on cherche l'extraordinaire, on ne trouve que des platitudes. gens d'efprit même n'en ont jamais moins, que lors qu'ils tâchent d'en avoir.

Les

On devroit sentir que le naturel qu'on cherche ne fe trouve jamais, que l'effort produit l'excés, et que l'excés décele la fauffeté du caractère. On veut jouer Je brusque, et l'on devient féroce; le vif, et l'on n'est que petulant et étourdi: la bonté jouée dégénère en politesse contrainte, et se trahit enfin par l'aigreur: la faulle fincérité n'eft qu'offenfante: et quand elle pourroit s'imiter quelque temps, parce qu'elle ne consiste que dans des actes paffagers, on n'atteindroit jamais à la franchise qui en est le principe, et qui eft une continuité de caractère. Elle est comme la probité; plufieurs actes qui y font conformes, n'en font pas la démonstration, et un feul de contraire la de truit.

Enfin toute affectation finit par se déceler, et l'on retombe alors au deffous de la valeur réelle. Tel eft regardé comme un fot après, et peut être pour avoir été pris pour un génie. On ne se vange point à demi d'avoir été sa dupe.

Soyons

Soyons donc ce que nous fommes, n'ajoutons rien à nôtre caractére; tâchons feulement d'en retrancher ce qui peut être incommode pour les autres et dange reux pour nous mêmes. Ayons le courage de nous fouftraire à la fervitude de la mode, fans paffer les bor nes de la raifon.

Trublet

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