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l'aimait entre tous et il avait élu ce lieu pour sa sépul

ture:

Je veuil, j'enten, j'ordonne
Qu'un sépulcre on me donne,
Non près des rois levé

N'y d'or gravé.

Mais en cette isle verte,
Où la course entrouverte
Du Loir autour coulant

Est accolant,

Là où la Braye s'amie,

D'une eau, non endormie,
Murmure à l'environ

De son giron.

Là ne fut point enseveli Ronsard, mais à SaintCôme, au bord de la Loire. (Nous irons à SaintCôme.)

C'est ici, au confluent du Loir et de la Braye, que le pèlerin doit, docile au conseil de Ronsard, s'arrêter pour écouter la voix des choses. Nulle part, dans la vallée, la rive n'est aussi « parlante ». Nulle part la nature ne raconte avec plus de grâce et d'éloquence comment elle a formé le génie de son poète.

Rappelez-vous à cette place quelques strophes des Odes, et ouvrez les yeux sur le paysage et vous comprendrez que la poésie française de la Renaissance était demeurée, en dépit des apparences, la fille tentrement passionnée de sa terre natale.

Oui, la Grèce, Rome et l'Italie ont grisé les cerveaux des poètes : c'était l'heure de la « sainte orgie ». Sous presque toutes ces pièces où Ronsard chante son Loir, sa Gatine, les humanistes peuvent inscrire : imité de... Dans cette vallée fraîche et humide, on reste un peu ahuri de voir « baller » la troupe des Nymphes dévêtues. Ces bois ont des taillis bien touffus et bien épineux pour le jeu des Dryades et des Egipans. Vraiment elles ressemblent toutes un peu à Laure de Noves, les femmes que Ronsard a célébrées. Je n'irai pas non plus dans ce Vendômois où « gargouillent les

eaux de cent mille fontaines », tâcher de découvrir laquelle était la fontaine de Bellerie, laquelle la fontaine d'Hélène. Il est plus sûr d'ouvrir Horace et de relire l'ode: 0 fons Bandusia... Le voile d'or des mythologies est parfois lourd à soulever.

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Cependant, si on le veut écarter, quelle vie, quelle vérité, quelle passion de la nature chez Ronsard! J'ai déjà, sur ma route, cité quelques peintures d'une merveilleuse fidélité. J'ai maintenant devant moi les deux rivières du Loir et de la Braye:

Et toi, Braye, qui roules

En tes eaux fortement,
Et toi, mon Loir, qui coules
Un peu plus lentement.

Que voilà bien l'allure des deux courants!

Horace a sans doute inspiré les vers à la fontaine Bellerie. Mais ce trait-ci n'est point d'Horace :

Escoute un peu, fontaine vive,
En qui j'ai rebeu si souvent,
Couché tout plat dessus ta rive,
Oisif à la fraîcheur du vent.

Etendu sous les ombrages de la forêt de Gastine, Ronsard se plaisait à chanter ses vieux arbres, ainsi

que les Grecs, dit-il, chantaient la forêt d'Erymanthe. Mais cette dette payée à la Grèce, il laisse aller son imagination, il célèbre la forêt qui le délivre du souci:

Toi par qui de l'importun soin

Tout franc je me délivre,

Lorsqu'en toy je me pers bien loin
Parlant avec un livre.

Et Ronsard, bien qu'il parlât souvent avec un livre, écoutait aussi d'autres voix,

que sa triste surdité celles des eaux,

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ne l'empêcha jamais d'entendre des bois et de la terre. Elles lui enseignaient des rythmes merveilleux que, depuis, nul n'a retrouvés. Elles lui inspiraient une façon de peindre naïve et prime-sautière que la poésie française allait désapprendre après lui. Elles lui conseillaient de se composer une langue souple et variée, qui, comme lui-même le disait, «sentait son terroi »>.

Le château de la Poissonnière est sur la paroisse de Couture. C'est dans l'église de ce village que furent ensevelis Louis de Ronsard et Jeanne de Chauldrier, les père et mère de Pierre de Ronsard. Les sépultures ont été bouleversées; les statues placées sur la double tombe ont été mutilées; elles sont maintenant enfermées dans un placard de la sacristie. (On pourrait peut-être mieux traiter des sculptures qui, après tout, ne sont point sans mérite.) Louis de Ronsard a l'air d'un brave et loyal gentilhomme il avait servi trois rois, s'était battu en Italie, avait contribué à la prise de Milan sous Louis XII, et avait accompagné en Espagne les fils de François Ier, lorsque ceux-ci y étaient venus pour répondre de la fidélité de leur père au traité de Madrid. Il était versé dans les lettres latines et françaises, ce qui, d'ailleurs, ne l'avait pas empêché de détourner son fils de l'étude et de la poésie. Quant à Jeanne de Chauldrier, sa statue, bien

qu'endomma

gée, nous laisse deviner des traits fins et

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charmants: elle

semble beau

STATUES DES PÈRE ET MÈRE DE RONSARD

coup plus jeune que son mari, qui mourut à soixante-quinze ans. Ronsard ne prononça le nom de sa mère dans aucune de ses œuvres. Tout ce que nous savons d'elle c'est qu'elle était de très noble extraction et qu'avant d'épouser Louis de Ronsard elle avait été enlevée par Jacques de Fontbernier en Poi

tou, puis mariée à Guy des Roches...

C'est dans cette même église que fut baptisé Ronsard. On connait la jolie légende, contée, je crois, pour la première fois par Claude Binet : « Comme on le portait baptiser du château de la Poissonnière en l'église du lieu, celle qui le portait, traversant un pré, le laissa tomber par mégarde à terre, mais ce fut sur l'herbe et sur les fleurs, qui le reçurent plus doucement.. » Une vieille tradition du pays vendomois veut que le pré où la nourrice maladroite laissa tomber le petit Ronsard sur un lit de fleurs, s'appelle

le pré Bouju.. Je puis apprendre aux ronsardisants que le pré Bouju est à vendre, ou peut-être même vendu. Le 19 octobre dernier, on mettait en adjudication publique toutes les terres qui avoisinent le château de la Poissonnière. Sur l'affiche, j'ai retrouvé le pré Bouju; il est situé à droite de la route qui mène de Couture au manoir. Malheureusement cette pièce est divisée en deux parcelles qui sont mises dans deux lots différents et je ne sais laquelle est terre sacrée.

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La Poissonnière on dit aussi la Possonnière était jadis entourée d'une enceinte flanquée de tours qui a disparu. Le château est une jolie construction de la Renaissance. Les fenêtres ont conservé leurs meneaux. La façade du Midi, avec la tourelle d'escalier, est décorée de sculptures. Un buste, que les uns veulent être celui de Ronsard et les autres celui de Louis XII, surmonte la porte. Voluptati et gratiis, liton sur le linteau. D'autres inscriptions apparaissent au-dessous des fenêtres Veritas filia temporis, Domine, conserva me, Respice finem, devises que l'on attribue, je ne sais pourquoi, à Ronsard celuici n'a jamais été le maître de la Poissonnière, la seigneurie ayant passé, après Louis de Ronsard, à Claude, l'aîné des fils; d'ailleurs, à l'aspect de l'architecture, on peut voir clairement que la reconstruction du château doit dater des premières années du seizième siècle. Chaque inscription est précédée d'un E et suivie d'un L. Ces deux lettres forment un rébus qui a exercé la sagacité des chercheurs. Pour I'L selon les uns point de doute, c'est l'initiale de Louis de Ronsard, le maître de la maison; quant à l'E, c'est l'initiale d'une femme mystérieuse « que Louis dut aimer avec toute l'ardeur d'un premier amour »; et, à l'appui de cette conjecture, on fait remarquer l'absence des armoiries des Chauldrier sur la grande cheminée du château, preuve que l'édifice

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