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Foclin, dans sa Rhétorique française (1), continuent à écrire Ronsart; on lit Petrus de Ronsart dans quelques lettres rédigées en latin, dont l'une est du poète en personne (2); le curé Claude Haton s'en tient, vers 1563, à la forme plus ancienne « maistre Pierre Ronssart » (3); André Thévet écrit Ronsart, en 1584, dans ses Hommes illustres; toutes les pièces officielles conservent l'orthographe de famille, jusqu'à la géné– ration de 1630; enfin le poète lui-même signe Ronsart toute sa vie, parce que tel est son véritable nom (4).

Pourquoi donc voulut-il être connu et admiré de ses contemporains et de la postérité sous le nom de Ronsard? Plusieurs raisons le décidèrent à l'adopter quand parut sa première publication importante. D'abord la terminaison ard lui sembla plus poétique, l'autre étant alors un suffixe qui donnait aux mots un sens légèrement péjoratif, comme dans les expressions vinaigre rosart, esprit songeart. Puis son père n'avait-il pas fait sculpter, dans le manoir de la Possonnière, des armes parlantes qui l'autorisaient, lui, à remplacer le t final par un d? On peut les voir encore au-dessus de la fameuse cheminée de la salle à manger, et, extérieurement, au-dessus de la fenêtre de la dite salle, donnant sur la cour; ce sont des tiges d'églantiers dont le pied est dévoré par les flammes, ce qui signifie « Ronce ard » (de ardere, brûler). Enfin cette devise rendait parfaitement le caractère de la plupart de ses odes, qui sont érotiques, et des son

(1) La Rhétorique française d'Antoine Foclin, de Chauny en Vermandois, est en même temps un Art poétique dont les exemples sont empruntés surtout à Ronsard, du Bellay et Baïf, du moins à celles de leurs œuvres qui parurent avant le mois de mai 1555 (car cet ouvrage fut publié dès cette date par A. Wechel). Foclin emploie toujours la forme Ronsart, c'est-à-dire presque à chaque page de son livre. (2) Edition Marty-Laveaux, tome VI, pp. 484 et 487.

(3) Mémoires publiés dans la collection des Documents inédits pour servir à l'histoire de France.

(4) Voir encore à ce sujet le Dictionnaire critique de Jal, à l'article Ronsard.

nets à Cassandre, qu'il avait déjà en portefeuille quand parurent les Quatre premiers livres des Odes. N'avait-il pas une ardente nature, que les feux de l'amour excitaient encore? Ne s'est-il pas comparé plusieurs fois à la pyralide ou à la salamandre qui, d'après la légende, a le privilège de vivre au milieu des flammes? (1) Donc, au lieu de prendre, comme tant d'autres, un pseudonyme d'écrivain, il se contenta de travestir son nom, si peu que rien, mais assez pour le rendre symbolique par un calembour, procédé qui était assez courant chez les poètes du XVIe siècle. Je ne connais pas d'époque où l'on ait eu davantage la manie de jouer sur les noms propres et de faire des anagrammes; non seulement les érudits changeaient leur nom en latin ou même en grec, par exemple De l'Escale devenait Scaliger, Du Bois devenait Sylvius, Gaucher devenait Scævola, Bonaventure devenait Eutyches, mais encore on s'ingéniait à trouver des rapports entre les noms propres et les noms communs Mellin était tout de miel, La Haye portait des épines, Cassandre de Pré des marguerites, Francine de Gennes mettait les cœurs à la torture, etc; enfin, on retournait Pierre de Ronsard en Rose de Pindare, Hélène de Sugères en Ré des Généreux, et on lisait dans le nom de Nicolas Denisot, le Conte d'Alsinois, dans celui d'Etienne Jodelle, lo le Delien est né ! Comment notre poète n'aurait-il pas cédé à la tentation de prendre un nom de guerre qui lui permettait de symboliser les ardeurs de son tempérament sans abandonner le nom vénéré de son père et de son aïeul?

On objectera que les finales en art et les finales en ard se prenaient fréquemment l'une pour l'autre, et

(1) L'un des appuis de la cheminée de la salle à manger, à la Possonnière, présente justement, entre autres sculptures, une salamandre dans les flammes. Cf. Euvres de Ronsard, édition Blanchemain, tome I, p.p. 79 et 176; tome IV, p.p. 268 et 275.

que celles-ci ont fini par prévaloir comme dans le nom de Ronsard. Mais cette objection ne me paraît pas suffisante pour ruiner l'argumentation qui précède et qui est encore confirmée par des vers tels que ceux-ci :

Quand une ronce, en vain enamourée
Ainsi que moy, du vermeil de ses bras,
En les baisant lui fit couler à bas
Une liqueur de pourpre colorée.

(Sonnet CXV des Amours de Cassandre).

Je veux encore de ma palle couleur
Aux bords du Loir faire naistre une fleur,
Qui de mon nom et de mon mal soit peinte.
(Sonnet XVI des Amours de Cassandre).

Respectons la volonté du poète et continuons à écrire Ronsard, puisque c'est l'orthographe qu'il a adoptée à partir de 1550 dans les titres de ses œuvres, et imposée à l'admiration du monde civilisé, mais n'oublions pas que ses ascendants les plus proches et lui-même avant cette date, s'appelèrent Ronsart et Ronssart, forme corrompue de Roussart et Rossart.

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Au reste, n'ayons pas les mêmes scrupules quand il s'agit du manoir élégant qui vit naître le poète et que, après son père, ont possédé son frère aîné Claude et son neveu Loys, à la lisière de la forêt de Gastine, près du bourg si riant de Couture, dans la Varenne du Bas Vendômois. Ecrivons hardiment la Possonnière, et de tous nos efforts réagissons contre la manière fautive dont on prononce et on écrit le nom de cette propriété par suite d'une erreur d'étymologie. Plusieurs villes ou villages portent encore ce nom, orthographié de cette façon, notamment, en Anjou, la station de chemin de fer où la ligne de Cholet à Angers vient rejoindre celle de Nantes à Angers.

M. A. de Trémault, le regretté trésorier de la Société archéologique de Vendôme, pensait qu'on appelait autrefois possonnière le lieu où se mettaient les bestiaux à possonner ou pâturer, et que la Possonnière des Ronsart avait dû être, primitivement, une sorte de métairie spécialement destinée à l'élevage des chevaux, des bœufs et des moutons. L'idée de poisson, disait-il, est tout à fait étrangère à ce nom, qui a été modernisé en celui de Poissonnière quand on a cessé de connaître la signification des mots posson et possonner. Je partage l'opinion du savant archéologue en ce qui concerne l'orthographe de la Possonnière; il l'avait vérifiée en personne dans les archives des Basses-Pyrénées, qui contiennent des donations faites aux membres de la famille Ronsart par les ducs de Vendôme, rois de Navarre, et dans les rapports des agents de ces ducs chargés de percevoir les droits féodaux dus par le seigneur de la Possonnière. Mais je me permets de n'être plus de son avis quant à l'origine du nom.

On appelait « possonnières » les endroits où se mesuraient les grains et les liquides à l'aide du posson ou poçon, qui s'est vite corrompu lui-même en poinçon, sorte de futaille destinée au vin nouveau, qui tient à peu près les 2/3 du muid, et en poulçon, subdivision du boisseau de blé au XVIe siècle; on a dit aussi un poinchon de vin en Flandre, et un ponson de vin dans la Bresse, vers 1510. Aussi trouve-t-on écrit la Ponsonnière, domaine des Ronsard, trois fois de suite dans un acte très important publié par M. l'abbé Froger (1); mais le plus souvent, pour désigner le même domaine, on écrit, au XVe et au XVIe siècles, la Possonnière. Jean Bouchet dans ses Epitres et Remy Belleau dans son Commentaire des Amours de Marie n'ont pas écrit autrement; dans les actes notariés, ou

(1) Revue hist. et arch. du Maine, 1884, 1er semestre, page 232.

ayant un caractère officiel quelconque, du XVII et du XVIIIe siècle, on lit toujours la Possonnière (1). Enfin voici une ode bachique, qui, je l'espère, convaincra tout-à-fait ceux qui pourraient hésiter encore; elle est d'Amadis Jamin, et fut écrite très vraisemblablement en octobre 1554, lorsque Ronsard composa de son côté l'Hymne de Bacchus, dont un passage entier est à rapprocher de ces vers (2):

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Il ne se faut esmerveiller

Si l'on voit MARIN (4) batailler

De pieds, de bras et de cervelle;
C'est le Thébain, fils de Semele,
Qui de son Thyrse raisineux
A frappé son cerveau vineux.

Hé! mais qui pourrait résister
Contre ce Dieu qui peut domter
Le cerveau des hommes plus sages?
C'est lui qui hausse nos courages,
Qui les combats nous fait gaigner
Et tous les hazards dédaigner.

L'effroy n'assault jamais le cœur
Où se campe ce Dieu vaincueur.

O Bassare, domteur des Indes,
Bien haut mon courage tu guindes!
Je ne veux estre despité

Contre toi qui fut Penthé.

(1) Archives du Loir-et-Cher, dossier de la commune de Couture. (2) Cf. édition des Œuvres de Ronsard, par Blanchemain, tome V, P. 235.

(3) Claude de Ronsart, frère aîné du poète.

(4) MARIN est sans doute le nom d'un vigneron de Couture, ou d'un serviteur de Claude de Ronsart, qui s'était enivré au moment des vendanges et en présence d'Amadis Jamin. En ce pays de vins blancs savoureux, il n'y a pas un homme, pas une femme qui n'ait souvent à la bouche le Nunc est bibendum des poètes bachiques, et voilà comment Pierre de Ronsard se trouva sans le savoir, dès son âge le plus tendre, un disciple d'Anacréon et d'Horace.

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