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C'est là, en effet, une de nos vieilles coutumes disparues et dont on nous pardonnera de dire quelques mots.

Dès février 1415, une ordonnance de Charles V crée des offices de crieurs-jurés « pour crier les corps des morts, aller quérir et rapporter les robes, manteaux et chaperons pour les obsèques et les funérailles, crier les denrées à vendre et les choses perdues » (1). Bien avant cette date, en 1352, « sept varlets crieurs de corps » recevaient leur compte « pour leur salaire de sonner autour du corps dudit chevalier, par deux jours et d'icelui crier au Palais et aillours à Paris » (2). Depuis lors, nous les retrouvons aux obsèques de nos rois. Là, seulement, ils se retrouvent au complet vingt-quatre pour le service municipal de Paris (3) - aux obsèques de Charles VII, en 1461 :

Premier avoit vingt quatre hommes

Portant vingt quatre sonnettes,
Vestuz de noir selon les fourmes

Chaperons à courtes cornettes (4).

Ils assistent à celles de Louis XII, en 1515 (3).

(1) Revue Historique et Archéologique du Maine, t. XIII, p. 111, note. Une ordonnance de la même année dit « seront deux d'iceuls crieurs entour icellui corps de crieur trespassé, l'un tenant ung pot de vin, et l'autre un beau hanap, pour présenter et donner à boire à tous ceulx qui porteront le corps ». Ordonnance des rois, t. X, p. 279. (2) Compte d'Et. de la Fontaine, p. 184.

(3) Victor Gay, Glossaire d'Archéologie, 4o fascicule, p. 497. (4) Martial d'Auvergne, Vtg. de Charles VII, t. II, p. 168. On lit dans un autre endroit :

Justice, sergent, commissaire,

S'emparent des biens volontiers,

Et plaignent le drap du suaire,

Curez serrent le luminaire.

Les crieurs viennent tout destendre,

Ibid. Rev. des Poètes français, t. II, p. 287.

(5) A Jehan Perréal, dit de Paris, paintre et varlet de chambre du feu roy... livré aux vingt-quatre crieurs de la ville de Paris, qui furent criez par la ville icellui feu seigneur... Compte de l'obsèque de Louis XII, f 46, vo.

IIs existent non seulement à Paris, mais en province. A Mâcon, d'après une fondation de ses ancêtres, Georges de Feurs, sieur d'Estours, bourgeois de Macon, présente aux échevins de cette ville un «reveille matin » chargé d'aller, tous les lundis, après minuit, crier par les rues :

«Dites vos patenôtres et priez Dieu pour les trespassez! (1) »

A Bourges, « le crieur de la patenostre » (2), à La Ferté, à Mortagne (3), les « crieurs des morts >> avaient les mêmes attributions, qui furent souvent réglementées par nos rois, à la suite de nombreux litiges et contestations qu'ils eurent à soutenir contre les fabriques des églises, à propos du tarif de leurs droits et salaires; entre autres par la déclaration de Louis XIII, juin 1633; par Louis XIV, dans l'Edit du roy portant création de vingt nouveaux offices de crieurs d'Enterrement à Paris; de deux dans les grosses villes, et d'un dans les petites villes, bourgs, paroisses du royaume, donné à Versailles, au mois de juillet 1690 » (4).

A Angers, ils habitaient, avant la Révolution, le n° 2 de la rue Saint-Laud, et, toutes les nuits, à heures fixes, ils passaient dans le quartier qui leur était assigné, en criant l'heure d'une voix lamentable, et, lorsqu'il était mort quelqu'un, ajoutaient : Réveillez-vous, gens qui dormez, Priez Dieu pour les trepassez! (5)

Les crieurs de la patenôtre, différant en cela des (1) Revue historique et Archéologique du Maine, t. XIII, p. 112. (2) « A G. Bremault, 35 s. pour broder sur la manche du crieur de la patenostre 3 moutons aux armoyries de la ville... Girardot, Arch. de l'Art français, 20 série, t. I, p. 254.

(3) Abbé Chambois, Inventaire des minutes anciennes, t. IV, p. 61. (4) Revue citée, pp. 111-112. Quelques-unes de ces notes sont empruntées à l'étude de M. l'abbé G. Esnault, sur les Entrées et Funérailles au Mans au XVIIIe siècle, parue dans la Revue Historique et Archéologique du Maine, t. XIII, 1883, pages 94-117.

(5) Revue de l'Anjou, t. XLV, p. 129.

crieurs de vin et de denrées (1), accomplissaient un office de pure dévotion et portaient un costume brodé aux armes de la ville, ou parfois du trépassé dont ils annonçaient la mort (2).

En quelques diocèses de France, cette coutume s'appelle, au XVIIe siècle, l'« abboi-mort » (3) ; c'est qu'on ne se contente pas de faire circuler par les rues de la ville des crieurs de patenôtre, la cloche de l'église lance, elle aussi, à travers les airs, des sons lugubres, et ce, non seulement le jour, mais encore au milieu de la nuit (4).

C'est là justement ce qui distingue l'« abboi-mort » du Couvre-feu. L'un se sonne à une heure assez avancée et se continue même, en certains lieux, par intervalle, pendant la nuit entière; l'autre, au contraire, est régulier, dure très peu de temps et se tinte même, comme à Paris, au temps des Anglais, alors que le premier ne se fait plus entendre (3).

ART. IV

Promenade à travers le monde

Et maintenant, chers lecteurs, que nous avons constaté, depuis le XIe siècle, la continuité du Couvrefeu, voulez-vous, qu'à travers le monde, nous fas(1)

Or vous dirai en quelle guise

Et en quelle manière vont

Cil qui denrées à vendre ont,

Et qui pensent de l'or preu fère,

Que jà ne fineront de brère,

Parmi Paris jusqu'à la nuit.

Guill. de Villeneuve, les Crieries de Paris, p. 137.

A. Franklin,

la Vie privée d'autrefois, l'Aumône et la Réclame, les Cris de Paris, passim.

(2) Victor Gay, op. cit., p. 497.

(3) G. Durand, Rational des divins offices, t. I, p. 365.

(4) Edouard Hornstein, Les Sépultures, p. 208; Journal d'un bourgeois de Paris, cité, loc. cit., etc.

(5) Journal d'un bourgeois de Paris, édition du Panthéon littéraire, p. 640.

sions une promenade, afin d'y rencontrer cette sonnerie avant les heures terribles de la Révolution? Si vous le voulez bien, nous partirons de Paris; mais, avant de le quitter, remarquez, vous souvenant que nous sommes au XVIIIe siècle, qu'on y entend le Couvre-feu à Saint-Germain-des-Prés, à huit heures du soir, à Notre-Dame, à sept heures, à la Sorbonne, de neuf heures à neuf heures et demie (1).

Prenons la diligence de Bordeaux; elle part le dimanche, et nous conduit en cinq jours et demi (2). Aux clochers de Chartres (3), au beffroi de Nantes (4), à la cathédrale de Niort (dix heures) (5), à l'église Saint-Louis de Rochefort (6), nous entendons sonner le Couvre-feu. A Chartres, nous apprendrons en outre qu'une coutume bizarre, mais utile en raison des multiples incendies de la Beauce, veut qu'un veilleur de nuit se tienne du coucher du soleil au jour dans une loge du clocher neuf, et que, toutes les heures, il crie, dans un porte-voix : « Repos! »> (7).

Nous sommes à Bordeaux. La cloche de l'hôtel de ville y sonne tous les soirs la retraite qu'on appelle Couvre-feu, à neuf heures en hiver, à dix heures en été. Les patrouilles commencent alors leurs rondes. Nous trouvons, dans un manuscrit du XVIIe siècle, qu'à l'heure de la retraite, tous les Bordelais doivent être rentrés dans leurs maisons, où le père de famille commence la prière en commun, après laquelle les enfants reçoivent à genoux sa bénédiction ». Que les temps ont changé depuis lors!... (8)

(1) Nouveau Larousse illustré, t. III, p. 367.

(2) Almanach royal de 1777, p. 535.

(3) Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, t. XLVI, col. 499. (4) Ibid., col. 829.

(5) Ibid., col. 718.

(6) Ibid., col. 446.

(7) Ibid., col. 499. Le clocher neuf de N.-D. de Chartres fut achevé par Claude Augé, en 1691.

ses Monuments, pp. 39 et sq.

A. Clerval, Chartres, sa Cathédrale,

(8) Bulletin Polymatique du Muséum, t. IV, p. 187.

Nous touchons presque le Languedoc. Bien avant Guillaume-le-Conquérant, la « chasse-ribauds » y est instituée tous les soirs, soit au moustier, soit au beffroi, ou encore au clocher paroissial (1). Par la Provence, la Franche-Comté, allons saluer la Lorraine, le pays de « Jehanne-la-Pucelle»; nous y rencontrerons notre vieille coutume (2). Elle se trouvera encore en Alsace. Des clochers merveilleux de Strasbourg descendent chaque soir, vers dix heures, les joyeuses sonneries de la retraite. Chez nos voisins, le « souper de Charlemagne >> endort tous les soirs les paisibles habitants de Nimègue (3).

Reprenons, par le nord, la route de France. A Abbeville, nous aurons le Couvre-feu (4). Nous l'entendrons encore si nous descendons en Normandie, où il semble être comme chez lui; de la Seine au Cotentin voir même à Saint-Malo (5) il n'est pas de ville qui ne le sonne tous les soirs (6). Depuis le XIIe siècle, par exemple, comme en Languedoc, le Cache-Ribauds chasse, dans le beffroi du Gros Horloge, « par ses tintements, les ribauds et les malandrins des tavernes, et annonce le commencement et la fin du travail pour les artisans ». Dès 1158, il est fait mention de cette cloche dans les statuts des Eperonniers (7). Cette tournée finie, prenons la berline qui part de Rouen le mardi et arrive à Paris le jeudi (8).

(A suivre.)

LOUIS CALENDINI.

(1) Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, t. XVLI, col. 719. (2) Ibid., col. 719.

(3) Intermédiaire cité, col. 611. En quelques endroits d'Allemagne, la sonnerie de l'Angelus est distincte de la fermeture des brasseries. Nous espérons revenir sur cette question dans notre dernière partie. (4) Ibid., col. 718-719.

(5) Ibid., col. 829. L'usage existait en Bretigne avant la Révolu tion (ibid.).

(6) Ibid., passim, col. 718-719.

(7) Capitaine Paimblant du Rouil, Intermédiaire, cité, p. 446. (8) Almanach royal, 1777, p. 550.

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