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LAZARE DE BAÏF ET MICHEL-ANGE

Nul n'ignore que Lazare de Baïf fut choisi par François Ier pour représenter la France auprès de la République Vénitienne. Nommé ambassadeur en 1529, à la suite du traité de Cambrai, je ne sais pour quelle raison notre illustre fléchois ne gagna son poste que dans le cours de l'année 1531. Du reste il y demeura fort peu de temps, puisque, dès la fin de 1533, nous le voyons de retour à Fontainebleau.

Si courte qu'ait été son ambassade, il ne laissa pas d'y bien servir son pays et son roi : il suffit, pour s'en convaincre, de feuilleter sa volumineuse correspondance diplomatique (1).

Ainsi apprend-on, de Baïf lui-même, qu'il s'efforce, non sans succès, de faire oublier aux Vénitiens la défaite d'Agnadel et de leur persuader que le roi de France est leur meilleur et plus sincère ami. Il ne néglige pas non plus de « clamer» haut contre Soliman « ce grand chien de Turc» qui menace Venise, par la Hongrie et la Dalmatie. Ce n'est pas là toutefois ce qui l'occupe entièrement; son fils, Jean Antoine, nous le dit expressément :

De voir les rois celui-là ne s'effroye
Ny de leur guerre et discord ne s'emoye,
Ny du Grand Turc, ni de ses entreprises,
Ny des cités qu'aux Hongres il a prises.

(1) Cf. à la Bibliothèque Nationale, le no 265 de la collection Dupuy, qui contient 20 lettres; le n° 3941 qui contient deux ou trois cents dépêches de Baïf et, entre autres, celle que nous citons ici.

Notre ambassadeur, avec ou sans mission officielle à ce sujet, veut gagner à la France plus que des hommes politiques; il recherche pour son roi l'amitié des artistes de la Renaissance Italienne. Tout lui facilite cette mission: ses goûts personnels, sa science incontestable, son amour des lettres et des arts, car, d'après son fils lui-même, Lazare de Baïf est :

L'un des premiers Français qui les muses embrasse, D'ignorance ennemi, désireux de savoir.

Par ailleurs, Baïf connaissait sur ce point les sentiments de François Ier. Le Père des Lettres encourageait, en effet, plus que jamais, le merveilleux élan de la Renaissance Française. Non content de réunir à sa cour les plus érudits et les plus illustres de ses sujets, il appelait en France les artistes renommés de l'Italie Léonard de Vinci y vient après la victoire de Marignan en 1313, Andrea del Sarto en 1518, sans y faire cependant long séjour, le Rosso ou Maître Roux en 1530, le Primatice, chef de l'Ecole de Fontainebleau, en 1531, et beaucoup d'autres encore.

Une visite était, entre toutes, ardemment désirée à la Cour de France: celle du Maître par excellence, de Michel-Ange lui-même.

Les Français avaient pu admirer, à Rome, ses Fresques du Vatican et son Christ debout tenant sa croix, à Florence, sa célèbre statue de la Nuit sur le tombeau de Julien de Médicis, et François Ier enviait, pour son pays, le brillant éclat de cette civilisation dont Florence était devenue le centre principal, grâce au génie de Michel-Ange.

Baïf arrivait peut-être à une heure propice.

Pendant l'un des innombrables bouleversements révolutionnaires de la République Florentine, boule

versements qui n'étaient que la suite de divisions. jamais éteintes au sein de la famille des Médicis, Michel-Ange prit parti pour le cardinal Hippolyte de Médicis contre son cousin Alexandre de Médicis. Mais ce dernier avait comme partisans son cousin le pape Clément VII et Charles-Quint.

En vain, Florence soutint courageusement le siège des Impériaux; en vain, Michel-Ange, passé ingénieur, fit exécuter de très habiles travaux de défense, la ville fut prise; le pape et l'empereur mirent Alexandre à la tête de la République, et celui-ci, à peine investi de l'autorité, s'empressa de se débarrasser de ses ennemis, par le fer, le poison ou tout autre moyen en rapport avec les douces mœurs de l'époque.

Michel-Ange, on le conçoit aisément, ne voulut point s'exposer à la vengeance de celui qu'il avait combattu et il se réfugia à Venise.

C'est alors que Lazare de Baïf connut sa détresse et en écrivit à François Ier :

་་

Sire,

Ayant trouvé la commodité de ce gentilhomme qui s'en va en diligence en Angleterre ambassadeur pour le pape, n'ai voulu omettre de vous écrire par lui les présentes, nonobstant que vous aie écrit des 8 et 13 de ce mois, pour faire savoir que j'ai été averti que Michael Angelo, excellent peintre, voyant le danger de Florence, s'est retiré en cette ville et ne se montre point, car il n'y veut pas faire sa demeure. Et crois fermement que si l'on lui offre quelque bon parti en votre nom, il serait pour l'accepter. Vous savez l'excellence du personnage en son art. S'il vous plaît le retirer, en me faisant savoir, j'en ferai mon effort, et cependant n'omettrai de chercher le moyen à le pratiquer, étant assuré que ce faisant vous ferai service, qui est la chose du monde que plus désire. »

« Du 14 Octobre. «

Haureau qui cite cette lettre dans son Histoire littéraire du Maine ajoute: « Baïf connaissait bien Fran

çois Ier; il savait que rien n'eût plus flatté ce grand prince qu'une visite du sculpteur Michel-Ange. Tel était le respect qu'on avait pour le génie, à Fontainebleau, à Rome, à Madrid, et même à Constantinople, puisque Soliman, à l'exemple des plus grands rois de la Chrétienté, se fit représenter par Ambassadeur dans l'atelier de l'illustre Florentin! La négociation conduite par Lazare de Baïf n'eut pas le résultat qu'il en avait espéré. Michel-Ange ne se décida pas à quitter l'Italie. »>

Michel-Ange ne vint pas en France: ses ennemis politiques n'étaient pas aveuglés au point de méconnaître son génie.

Clément VII lui proposa, sans tarder, la décoration de la chapelle sixtine: Telle est l'origine du Jugement dernier que l'artiste mit sept ans à composer (15341541).

Plus jamais, je crois, ne se présenta d'autre occasion pour l'attirer en France. Doit-on, du reste, le regretter, lorsqu'on se rappelle les merveilles produites à cette époque par cet esprit incomparable? N'est-ce pas, en effet, après les travaux du Vatican, que Michel-Ange fut chargé par Paul III de terminer Saint-Pierre? Il donna dès lors définitivement à la basilique la forme d'une croix grecque, précisa le plan de la coupole, et fit enfin, de cet édifice, le plus célèbre monument qui soit au monde

Quant à Lazare de Baïf, on ne peut nier que sa diplomatie ait subi un échec. Néanmoins je crois que l'ensemble de ses deux années d'ambassade fut plutôt heureux pour la France; et cette croyance ne paraîtra point invraisemblable si l'on considère que, dès son

retour, il se vit doter de plusieurs abbayes. François Ier le nomma abbé commendataire des abbayes bénédictines de la Grainetière, en Vendée, et de Charroux, en Poitou. C'était, vu l'importance des bénéfices, une récompense vraiment royale, et la preuve de bons, loyaux et utiles services.

P. CALENDINI.

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