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deux petites chambrières. Pour « gens de défense, » elle n'a qu'un vieil homme, nommé Brisset, son solliciteur (nous dirions son homme d'affaires), et son cocher, Marin Cosson.

Epouvantée, elle se sauve dans une chambre haute; mais les assassins se précipitent à sa poursuite, la saisissent et la traînent dans sa chambre à coucher, où, pour voir plus clair, ils ont allumé un grand feu de paille. Ils lui demandent où est son argent. Elle propose une rançon de sept cents écus. Les Ronsard répondent qu'elle en possède bien davantage, qu'elle vient tout justement de toucher trois mille écus et ils la somment de dire où est « sa grande bouëte. »> Tandis que les « malapiteux beau-frère et cousin >> tiennent ces propos, les cinq autres massacrent le cocher et le vieux Brisset sous les yeux de leur maitresse. Les Ronsard se mettent de la partie : ils abattent la femme de chambre à coups de pistolet. On pille tout l'or, l'argent, les joyaux, les pierreries. Enfin la bande se rue sur Magdaleine de Monceaux, la tue à coups de dagues, d'épées et de pistolets et laisse son corps sur le carreau de la salle. Les deux petites chambrières n'échappent au carnage qu'en se réfugiant dans une chambre haute où la muraille. s'ouvre par un secret.

La tâche accomplie, cinq des meurtriers retournent au château de Beaumont-la-Ronce où ils parviennent sur les six heures du matin. Derrière eux, les ponts sont tout de suite relevés. On procède au partage du butin.

Le lendemain, les complices adressent une lettre à Nicolas qui est demeuré au Mans; ils lui mandent les forfaits commis à la Denisière par des brigands inconnus et feignent « d'en porter un grand deuil. » De son côté Nicolas, pour faire le bon varlet », prend avec lui un prévôt des maréchaux afin de rechercher les criminels. Cependant, les Monceaux,

avertis du meurtre de leur parente se rendent aussi à la Denisière. Les chirurgiens visitent les corps des victimes. Le prévôt rédige un procès-verbal. Les assassins suivent en pleurant le convoi de Magdaleine.

Jamais on n'eùt découvert la vérité, si, un peu plus tard, René Doré n'était tombé gravement malade; il se crut à l'article de la mort, et, pris de remords, avoua tout à ceux qui l'entouraient.

Les Monceaux et les Ronsard apprirent ces aveux. Comme Doré avait guéri, Nicolas se hâta de le faire chercher et de le cacher sous un faux nom dans la métairie d'un de ses amis. Mais la justice retrouva Doré et décerna une prise de corps contre tous les autres coupables. A la vérité, elle ne mit la main que sur Beaucler, dit Mitron, gardien des chevaux et sur Jean de Ronsard; encore ce dernier vint-il se livrer de luimême.

Les Monceaux obtinrent que la cause fût enlevée à la justice du lieu « intimidée » et portée à Orléans. On condamna les accusés en fuite à être rompus et brisés sur le Martroy, Jean à être décapité et le Mitron à être pendu. L'arrêt ajoutait que le château des Roches appartenant à Nicolas de Ronsard et où avait été préparé le crime serait rasé, qu'à sa place une chapelle serait élevée, nommée la Magdaleine où, sur un tableau de cuivre seraient gravées les effigies de la damoyselle de Monceaux, de sa servante et de ses serviteurs occis avec elle, enfin que les sommes nécessaires pour la construction de la chapelle et l'entretien du chapelain qui devait y être attaché seraient prélevées sur les biens des condamnés.

Je ne sais si le château fut rasé et la chapelle bâtie. Ce qui est certain c'est que Jean de Ronsard ne fut exécuté qu'en effigie. Quant au Mitron, très vraisemblablement, il fut pendu.

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Ronsard était plus souvent à la cour que dans le Vendômois. Mais, au bout de « vingt ou trente mois >> d'absence, il cédait à la nostalgie du pays natal et on le voyait alors quitter Paris pour venir se délasser dans l'un de ses prieurés. Je vous ai déjà décrit SaintGilles. Mais sa retraite préférée, surtout dans les derniers temps de sa vie, ce fut Croix-Val. Il aimait à y

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oublier le bruit de la cour» et, au temps de sa gloire déclinante, il y venait demander aux prairies et aux bois de le consoler des retours de la fortune.

Croix-Val, au crépuscule, m'apparut un vrai séjour de poète. Il est situé non loin de la paroisse de Ternay, à la croisée de deux vallons. A cette place, la Cendrine, paresseux affluent du Loir, y reçoit un petit ruisseau vif et jazard. Les eaux entourent l'enclos du prieuré. La prairie est grasse; les arbres de la rive sont touffus.

La vieille habitation qui maintenant sert de ferme a été défigurée et il serait malaisé de dire l'âge du bâtiment, si le rampant du toit n'avait conservé quelques débris de crochets et de sculpture et si, dans l'inté

rieur du logis, ne subsistait un ancien escalier de bois, peut-être contemporain de Ronsard. La chapelle a été rasée, il y a un demi-siècle à peine.

Le lieu est charmant. Sur le coteau voisin, quelques arbres marquent encore la lisière de la forêt de Gà

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FORÊT DE GATINE LE GRAND ÉTANG

tine, de la forêt dont Ronsard voyait avec colère saccager les futaies séculaires. Tout le monde connaît la célèbre élégie contre les bûcherons de la forêt de Gâtine:

Quiconque aura premier la main enbesongnée
A te coupper, forest, d'une dure congnée,
Qu'il puisse s'enferrer de son propre baston.

Depuis que Ronsard invectiva contre les bûcherons de Gatine, les barbares ne se sont point arrêtés; ils ont continué d'abattre les « testes sacrées» et de faire couler le sang des Nymphes. De la «vieille forest » il ne reste plus que des bouquets de bois épars. Ils sont plus vrais que jamais, les vers sublimes sur les peuples ingrats, les peuples sauvages:

peuples vraiment grossiers De massacrer ainsy leurs pères nourriciers.

Au mois de juin 1585, torturé par les douleurs de la goutte, Ronsard prit à Paris le coche du Vendomois, en compagnie de son ami Galland, sans lequel il ne pouvait vivre. Mais, arrivé à Croix-Val, mù par ce besoin de changement, qui est propre aux malades, il se fit transporter à Saint-Côme près de Tours. Il ne put y demeurer que huit jours et revint à Croix-Val. A l'automne, ses forces diminuèrent; il maigrissait, il avait peur, écrivait-il, « de s'en aller avec les feuilles ». Il reçut donc les Sacrements. Comme le mal lui laissait un instant de répit et qu'à Croix-Val il redoutait <«< ceux de la nouvelle opinion qui, rompus du siège d'Angers, venaient fondre en ce pays », il se retira quelques jours à Montoire, dans le prieuré Saint-Gilles, puis encore une fois, retourna à Croix-Val où, « pour passer temps », il dicta à Galland l'épigramme: Amelette Ronsardelette, médita sur la mort et composa quatre sonnets.

L'opium ne calmait plus ses souffrances. Il crut que changer d'air le soulagerait. On le mit dans un chariot pour le conduire à Saint-Côme. Secoué par les cahots du chemin, dans la brume et le froid de l'hiver, le pauvre Ronsard reprit pour la dernière fois une route qu'il connaissait bien et dont chaque étape était, pour lui, marquée d'un doux souvenir de jeunesse. Il l'avait suivie, trente ans auparavant, en compagnie de son ami de Baïf (1):

C'estoit en la saison que l'amoureuse Flore
Faisoit pour son amy les fleurettes esclore
Par les prez bigarrez d'autant d'esmail de fleurs
Que le grand arc du ciel s'esmaille de couleurs;
Lorsque les papillons et les blondes avettes,
Les uns chargez au bec, les autres aux cuissettes,
Errent par les jardins, et les petits oiseaux,
Voletant par les bois de rameaux en rameaux,
Amassent la béchée, et parmi la verdure
Ont souci comme nous de leur race future.

(1) Jean-Anthoine de Baïf, fils de Lazare,

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