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JUGEMENTS DE DIVERS SAVANTS

SUR LE PREMIER VOLUME DE L'OUVRAGE INTITULÉ

SYNTAXE NOUVELLE DE LA LANGUE CHINOISE

FONDÉE SUR LA POSITION DES MOTS

SUIVIE DE DEUX TRAITÉS SUR LES PARTICULES ET LES PRINCIPAUX TERMES DE GRAMMAIRE,

d'une table des IDIOTISMES, DE FABLES, DE Légendes et d'apologUES

TRADUITS MOT A MOT

PAR STANISLAS JULIEN.

Extrait du Journal des Débats du 5 juillet 1869.

Quand on regarde quelque curiosité chinoise: éventail, écran, vase de porcelaine, bijoux de jade, dieux ou griffons de bronze, on est toujours tenté de se demander ce que signifient ces légendes cabalistiques que les habitants du Céleste-Empire sèment partout comme un ornement. Que veulent dire ces signes bizarres, rangés en ligne horizontale ou perpendiculaire? Ce sont, dit-on, des hiéroglyphes; chacun de ces caractères a été, dans l'origine, la peinture d'un objet, peinture chinoise, il est vrai, et depuis longtemps altérée. Fort bien; mais comment, avec des symboles invariables, un peuple peut-il exprimer les mille nuances d'une même idée? C'est là une énigme dont il est diffi cile à un Européen de trouver le mot; car autour de lui il n'a aucun terme de comparaison pour l'aider.

Les langues que nous connaissons ne ressemblent en rien au chinois. Nos alphabets ne sont autre chose que

L'art ingénieux

De peindre la parole et de parler aux yeux.

Chaque lettre, ou du moins chaque syllabe représente non pas une chose, mais un son. Or, le nombre des sons n'est pas grand, quoiqu'ils se combinent à l'infini; il suffit donc d'une petite quantité de signes pour les exprimer tous; on en peut juger par la simplicité de la nota

tion musicale. Dans nos langues d'Europe, c'est assez d'une seule lettre, et quelquefois même d'une lettre qui ne se prononce plus, pour indiquer une modification de l'idée. L's, par exemple, mise à la fin d'un mot, le fait passer du singulier au pluriel : maison, maisons; père, pères; roi, rois. Et si nous prenons un verbe, c'est-à-dire la partie la plus vivante du langage, celle qui rend le mieux toutes les vibrations de l'âme humaine, nous voyons une même racine exprimer tous les temps, tous les modes, et, dans quelques langues, toutes les personnes, au moyen d'un changement de désinences: amo, amabas, amavisti, amabor, etc. Habitués à cette simplicité féconde, il nous est difficile de comprendre comment, avec un signe invariable qui voudra dire indifféremment amour ou aimer, une langue parviendra à rendre sensibles tous les mouvements de la pensée; il nous est plus difficile encore d'admettre que cette langue pétrifiée ait une littérature, et qu'elle suffise à un peuple civilisé.

J'avoue que, pour moi, il y avait là un de ces problèmes qu'on écarte de son esprit, faute de moyens pour les aborder. Que les Indiens d'Amérique écrivent en images, cela se conçoit; ils ont si peu d'idées à exprimer; c'est le premier essai de pauvres sauvages; mais, sous peine de vieillir dans une éternelle enfance, un peuple n'en peut pas rester là. Aussi ce qui m'avait le plus frappé dans la découverte de Champollion, c'était de voir comment les Égyptiens, après avoir commencé comme les Chinois, avaient fini par transformer leur peinture des objets en une simple écriture ou notation des sons, et avaient réduit leurs hiéroglyphes à n'être plus qu'un alphabet qui est peut-être l'origine des nôtres.

Mais les Chinois n'ont jamais franchi ce pas difficile; leur langue écrite est restée une peinture des choses, sans rapport avec la langue parlée. Et cependant c'est un des peuples qui lit le plus; il a une littérature immense qui remonte à vingt siècles, et cette écriture sert à quatre cent cinquante millions d'hommes. C'est donc une des plus grandes et des plus longues expériences que nous offre l'histoire; force nous est d'admettre qu'il y a là une façon d'exprimer ses pensées qui, pour n'être pas la nôtre, n'en est pas moins digne d'attention.

Aujourd'hui le problème est résolu pour nous, grâce à un livre que je ne puis trop recommander à ceux que ces études intéressent. Sous le titre de Han-wen-tchi-nan ou Boussole de la langue chinoise, M. Stanislas Julien vient de publier une syntaxe nouvelle de la langue chinoise, qui est un chef-d'œuvre de clarté. Nous n'avons pas affaire à une grammaire traduite du chinois, et par conséquent écrite pour un peuple qui a des habitudes d'esprit toutes différentes des nôtres; c'est un savant français qui ramène à notre point de vue une langue com

posée, comprise, enseignée à un point de vue tout opposé. Le problème est celui qui nous inquiète; c'est un Français qui le pose, mais ce sont les Chinois eux-mêmes qui se chargent de la solution, au moyen d'exemples empruntés à leurs plus anciens auteurs. Cette solution est d'une simplicité parfaite; une fois maître de ce fil conducteur, il sera facile à tout Européen un peu instruit de se reconnaître dans le labyrynthe des hiéroglyphes chinois.

Le principe de la langue chinoise, c'est que la valeur des mots dépend de leur position. La place qu'ils occupent dans le discours, place qui n'a rien d'arbitraire, décide de leur nature et de leur sens. C'est un système qui n'est ni celui des langues classiques, ni celui de nos langues modernes, mais qui ne manque ni de simplicité ni de clarté. Quelques mots d'explication permettront d'en juger.

Chez les Grecs et les Romains, c'est la flexion qui règle le rapport des mots; l'ordre qu'ils suivent est à peu près indifférent. Pour un Romain, rien n'était plus élégant et en même temps plus facile à comprendre que les vers suivants d'Horace, où les mots sont pour ainsi dire mêlés au hasard :

Te maris et terræ, numeroque carentis arenæ

Mensorem cohibent, Archyta,

Pulveris exigui prope littus parva Matinum

Munera.

Qu'un Français essaie de traduire ces vers, en respectant, même de loin, la disposition latine, il sentira bientôt que nos articles et nos verbes auxiliaires n'ont pas la souplesse des flexions latines; il y a dans notre langue une certaine hiérarchie de mots dont nous ne pouvons pas nous écarter.

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Voilà donc deux manières différentes d'exprimer les rapports des mots ou des idées; chez les anciens, ce sont les flexions des mots; chez les modernes, ce sont les articles et les verbes auxiliaires, Le Romain dira hominis virtus, et le Français: la vertu de l'homme; le Chinois a les deux formes; il peut dire comme nous vertu de homme, - il n'a pas d'article, ou, à la façon romaine, mais sans flexion: homme vertu. Il n'a pas besoin d'une flexion pour indiquer que le mot homme est au génitif, parce que toutes les fois que deux substantifs se suivent, le premier est nécessairement au génitif : voilà le principe de position, et la clef de la grammaire chinoise. Thien-tseu, littéralement ciel fils, est aussi clair pour un Chinois que cœli filius pour un Romain, ou le fils du ciel pour un Français; on sait que ce nom est celui de l'empe

reur.

Cette règle est absolue; elle permet de mettre deux, trois, quatre génitifs à la suite les uns des autres, sans que le sens de la phrase en

soit obscurci. Présentez à un Chinois les mots : anciens sages nobles vertus exemples, il lit sans difficulté : les exemples des nobles vertus des anciens sages. A première vue, ceci peut nous sembler étrange, mais en ce point, comme en beaucoup d'autres, tout est habitude et éducation. Montrez pour la première fois à un enfant les chiffres arabes 1, 2, 3, 4, et demandez-lui de vous lire le nombre 1234; il ne verra que quatre chiffres isolés, tandis que vous lirez du premier coup d'œil douze cent trente-quatre. Douze chiffres en ligne ne vous embarrassent guère, il n'est pas plus difficile de lire trois ou quatre génitifs qui se suivent dans une ordre invariable et nettement déterminé.

Cette valeur de position, cette valeur de chiffre arabe, si l'on me permet cette expression, fait que dans l'écriture chinoise un même mot peut tour à tour être substantif, adjectif, adverbe, verbe actif, passif ou neutre. Méchant homme, homme méchant, expriment pour le Chinois deux idées différentes; le premier terme signitie un méchant homme, le second l'homme est méchant. Fo veut dire indifféremment vêtir et vêtement, fo fo signifie mettre un habit. Il est juste de dire que certains caractères accessoires facilitent la lecture. Le signe du futur ou du passé mis devant un mot indique que ce mot est nécessairement un verbe. Le signe de l'accusatif, signe découvert par M. Julien, ne permet guère de douter que le mot qui précède soit un verbe actif. Il y a là toute une grammaire sui generis dont la nouveauté nous étonne, mais qui n'est ni plus compliquée ni moins ingénieuse que la nôtre. Une fois qu'on tient la clef du système, les phrases les plus bizarres prennent le sens le plus simple. On lit, par exemple, dans le premier chapitre du livre de Meng-Tseu les mots suivants : Lao-ngou-lao, yeoungou-yeou, littéralement, vieillards mes vieillards. jeunes gens mes jeunes gens. La position indiquant clairement que le premier mot de chacun de ces membres de phrase est un verbe, il est aisé de ramener ce texte à l'expression d'une idée toute chinoise, mais qui n'a rien d'obscur. Je traite en vieillards, c'est-à-dire je respecte, mes vieillards, c'est-à-dire mon père et ma mère; je traite en jeunes gens, c'est-à-dire j'affectionne, mes jeunes gens, c'est-à-dire mes frères cadets.

Je ne pousserai pas plus loin ces exemples. Ce qu'ils ont d'étrange et d'imprévu troublerait le lecteur au lieu de l'éclairer. D'un autre côté, je craindrais d'affecter une érudition qui ne m'appartient point, je m'entends au chinois autant qu'à l'hébreu. J'ai voulu surtout signaler aux curieux l'originalité du nouveau livre de M. Julien ; il y a là, ce me semble, une découverte qui n'intéresse pas seulement les savants de profession. Du reste, M. Julien nous a habitués à ces heureuses surprises. Il a le génie des langues, il sait y voir ce que personne n'y a vu avant lui. Sa traduction des voyages d'Hiouen-Thsang dans

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