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marquis, M. de Lenoncourt, qui demanda à notre pauvre amoureux de lui faire un madrigal pour Henriette. Quelle humiliation pour un bel esprit éconduit! Maucroix se résigna au madrigal et s'en vengea par une épigramme.

Sur ces entrefaites, une mousquetade atteignit Lenoncourt au siége de Thionville, et voilà mademoiselle de Joyeuse réduite à l'état de veuve avant d'être mariée. Maucroix, qui s'était brouillé aux fiançailles, se raccommoda le lendemain du veuvage, et railla Lenoncourt de s'être laissé tuer sottement la veille de ses noces :

Ne valait-il pas mieux

Mourir entre ses bras que dans une tranchée ?

A peine raccommodé, il se vit obligé de rompre encore avec mademoiselle de Joyeuse, qui épousa presque aussitôt un homme roux, brutal, vicieux, Tiercelin, marquis de Brosses.

Le voilà de nouveau plongé dans le plus joli désespoir. Son élégante douleur s'échappa heureusement par de petites ouvertures poétiques, comme les jets d'eau d'un petit jardin sentimental. Le galant désolé se consolait en pensant

Que la moitié d'un vilain homme

Est une vilaine moitié.

Quelquefois aussi il ajoutait, en se piquant d'en fournir la preuve,

Que le changement de corbeille,
Ainsi que le proverbe dit,

Fait appétit de pain bénit.

Dès que sa douleur semblait éteinte, et sa veine poétique épuisée, Henriette reparaissait, et venait ranimer l'amoureux et le poëte par de nouvelles coquetteries. Alors, quoique chanoine, Maucroix recommençait à faire sa cour et à rimer, tant et si bien, que M. de Joyeuse, alarmé, se décidait un jour à en écrire à son gendre pour faire chasser le galant. « Comment! s'écriait alors Tiercelin, M. de Joyeuse veut me tyranniser!» Et il s'attachait de plus belle à Maucroix. Mais, hélas! la cruelle Henriette persistait toujours à refuser le dernier point, sous prétexte que son amoureux était chanoine, et que c'eût été commettre un sacrilége. Pour éviter ce gros péché, elle eut à Paris des amants laïques : ce qui fut pour Maucroix l'occasion de nouveaux désespoirs et de nouvelles élégies. Quelle Laure, et pour quel Pétrarque!

Enfin, après bien des équipées, enlaidie par la maladie, abandonnée sans un sou par le Tiercelin, elle s'en vint mourir en terre champenoise, dans le logis du chanoine. Sur la tombe de la marquise, au lieu de se dessécher, Maucroix reverdit. Mais il tint à honneur de garder, au milieu de ses distractions galantes, le souvenir de son premier amour, le reflet de sa muse. Trente ans plus tard, il écrivait à l'une de ses amies, en regardant le portrait retrouvé de Charlotte-Henriette :

<< Toutes mes plaies se sont rouvertes, je suis tout rouge de sang, ma pauvre chère... faites-les-moi venir, tous ces Céladons; après quarante années auraient-ils l'effronterie de soutenir la comparaison?... >>

Ah! que le portrait d'Henriette aurait paru froid à Maucroix, s'il ne lui avait rappelé toute une kyrielle de jolis vers! La fidélité de l'amoureux ne tenait vraiment, je le crains, qu'à la vanité du poëte. A tout prendre, d'ailleurs, n'est-ce point un charmant spectacle que celui d'une belle passion embaumée, et pour ainsi dire éternisée par la séve de poésie qu'elle a fait jaillir d'un cœur bien épris?

Et pourtant, malgré ses plaies ouvertes, quoique tout rouge de sang, le pauvre chanoine, selon sa maxime, vivait à ventre déboutonné, courtisait assidûment l'abbesse de Saint-Étienne, et fêtait les vins de Reims, dans son canonicat, avec La Fontaine, Racine et Boileau, quand ces illustres de Paris venaient le visiter. A la mort de La Fontaine, il demanda, pour tout héritage, le cilice de son ami; mais je ne sache pas qu'il s'en servit jamais. Le goût des plaisirs et des petits vers, la société des femmes, ses correspondances avec les hommes de lettres parisiens, ne lui laissaient guère le temps de songer à la pénitence.

La vie de chanoine lui plaisait. Il était devenu tout à fait Rémois. Pellisson voulut l'arracher aux loisirs de province, et lui fit donner, avec le titre d'abbé de Croissy, une mission secrète à Rome, où il alla représenter les intérêts de Fouquet. La disgrâce du surintendant le ramena bientôt à Reims, qu'il ne quitta plus que pour aller remplir, sous les yeux de Bossuet, les fonctions de secrétaire général de l'Assemblée du clergé,

Le poëte galant (qui aurait pu le prévoir?) collabora sans broncher à la fameuse déclaration des Quatre-Articles. C'était bien sérieux pour lui. Aussi se moquait-il tout le premier de son importance passagère :

« Nous avons établi, écrivait-il en riant à son ami le chanoine Favart, trois nouveaux bureaux : l'un pour la religion, le deuxième pour les mœurs, le troisième pour les réguliers. La morale s'en va être

secouée comme il faut! Adieu la probabilité ! J'ai pour ma part un moine sur l'assiette tous les jours! Dire que ce sera moi qui leur re- * mettrai la tête dans le capuchon! >>

Et tout en secouant la morale, il narguait les foudres de Rome : « Nos cousines y prendront-elles garde de sitôt? écrivait-il encore au même chanoine... Elles voient bien des huguenots, des juifs, des Turcs! Pensez que nous ne serons pas pis que tous ces gens-là. Pour un peu d'excommunication, les voilà bien alarmées! >>

L'Assemblée terminée, il s'en retourna « cousu de pistoles » dans sa bonne ville de Reims, où, après avoir encore rimé de petits vers, écrit beaucoup de traductions dans le goût des Belles infidèles malgré les conseils de Boileau, il trépassa fort décemment comme tout bon chanoine doit le faire. S'il eût pu toujours habiter Paris, il aurait été académicien, comme les traducteurs Sacy et Mirabaud, et comme certains poëtes de cour, de ruelle et de ballet, qui n'avaient ni sa gaieté, ní sa verve leste et facile.

Quelque temps avant sa mort, comme il se plaisait encore au badinage galant : — « Ah! monsieur de Maucroix, lui disait un jour la belle La Framboisière, parler sans cesse amour avec cet habit, et à votre âge! » Ce reproche amical peut bien lui servir à la fois de panégyrique et d'oraison funèbre.

HIPPOLYTE BABOU.

La meilleure édition de Maucroix a été publiée récemment par M. Louis Pâris, sous ce titre: Maucroix, ses œuvres diverses, 2 vol. in-48, Paris, Techener, 4854.

ODES

A M. CONRART

Conrart, quand finiront ces guerres obstinées
Qui depuis deux fois dix années

Coûtent tant de pleurs à nos yeux? Entendrons-nous toujours l'aigre son des trompettes, Et les douces musettes

Sont-elles pour jamais absentes de ces lieux?

Les obscures forêts et les antres humides

Pour cacher nos bergers timides

Ont à peine assez de buissons:

De chardons hérissés nos plaines sont couvertes,
Et nos granges désertes

Attendent vainement le retour des moissons.

De combien de châteaux et de cités superbes
A-t-on mis à l'égal des herbes

Les murs jusqu'aux astres montés!
Que le glaive en nos champs a fait de cimetières!
Que nos calmes rivières

Ont vu mêler de sang à leurs flots argentés!

Vain fantôme d'honneur, c'est pour toi que l'épée;
Sans cesse au massacre occupée,

A mis tant de guerriers à bas;

C'est pour toi qu'au mépris des plus mortelles armes, Ils volent aux alarmes,

Et semblent n'avoir peur que de ne mourir pas.

Étrange aveuglement de la race des hommes!

Pourquoi, malheureux que nous sommes,
Avancer la fin de nos jours?

D'où se forme en nos cœurs cette brutale envie
D'abréger une vie

Dont le plus long espace a des termes si courts?

La mort de ses rigueurs ne dispense personne :
L'auguste éclat d'une couronne

Ne peut en exempter les rois;

N'espère pas, Conrart, que ton mérite extrême
Ni la Muse qui t'aime

Te mettent à couvert de ses fatales lois.

Ta sagesse, il est vrai, fait honneur à notre âge ;
Mais, de quelque rare avantage

Dont un mortel soit revêtu,

Son terme est limité; le nocher de la Parque,
Dans une même barque,

Passe indifféremment le vice et la vertu.

A M. PATRU

Maintenant que l'hiver désole les campagnes,
Que la neige blanchit prés, forêts et montagnes,
Et cache au laboureur l'espoir de ses moissons,
Que les fleuves gelés sont durs comme des marbres,
Et qu'on voit aux branches des arbres
Pendre le cristal des glaçons;

N'épargne point le bois, et, bien clos dans ta chambre,

D'un feu continuel fais la guerre à Décembre.

Oublie un peu la gloire et les soins de Thémis.
Assez de fois, Patru, ta fameuse éloquence
A sauvé la faible innocence

Des piéges de ses ennemis.

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