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« Ce n'est rien, » cria-t-il, et se mit dans la rue.
Et moi, je meurs de peur, ou la peste me tue,
Que ce diable d'auteur, dont j'ai perdu le nom,
Promettant de me voir, n'ait parlé tout de bon.
Tous les fous me font peur; j'ai pour eux de la haine,
Par la raison, peut-être, ô cher ami d'Elbène,
Que poëtes et fous sont d'un même métier,
Et qu'entre compétents il n'est point de quartier.
Celui-ci que mes vers viennent de te dépeindre,
S'il me revisitait, me donnerait à craindre.
En certains temps, peut-être est-il fou furieux;
Il peut me trouver seul et m'arracher les yeux.
J'ai cru que la nouvelle et naïve peinture
De cette véritable et grotesque aventure
Ferait dans ton esprit quelque diversion

De huit chevaux perdus, cruelle affliction!

Il vaudrait mieux pour toi, dans le temps où nous sommes,
Au lieu de huit chevaux d'avoir perdu huit hommes.
J'eusse dit huit laquais : mais tu sais, cher ami,

Qu'en rimant on ne dit les choses qu'à demi,
Ou que l'on dit parfois plus que l'on ne veut dire:
Sur nous la rime exerce un tyrannique empire.
A-t-on fait un vers fort? elle en fait faire un bas,
Et fait dire au rimeur tout ce qu'il ne veut pas.
Ce soir, si nous joignons nos deux soupers ensemble,
Je possède un jambon si tendre, que je tremble
Que les valets friands, quittes pour le nier,
N'osent, pendant la nuit, me le diminuer;
Et je possède encore une énorme saucisse,
Où Bologne la grasse a dispensé l'épice

D'un tel tempérament, que son goût, quoique haut,
Quoique roide de poivre, est pourtant tel qu'il faut.
C'est le présent d'un duc des bords de la Garonne,
Qui ne soutient pas mal la bravoure gasconne.

EPITAPHE

Celui qui ci maintenant dort
Fit plus de pitié que d'envie,
Et souffrit mille fois la mort
Avant que de perdre la vie.
Passant, ne fais ici de bruit,
Prends garde qu'aucun ne l'éveille;
Car voici la première nuit

Que le pauvre Scarron sommeille.

BLOT

Guy-Joli a dit dans ses Mémoires après avoir parlé de l'un des plus sérieux épisodes de la Fronde : « On ne laissoit pourtant pas de se resjouir à Paris: il ne se passoit pas de jour qu'il ne se fit quelque chanson nouvelle contre le cardinal Mazarin, la plupart fort spirituelles et de la façon de M. de Marigny. » Celles qui n'étaient pas de Marigny, avaient pour auteur le coupletier dont nous allons vous parler, Blot, baron de Chauvigny. Ce sont ses seules œuvres, c'est sa seule gloire.

Il était d'une bonne maison de l'Auvergne, et il jouait déjà un certain rôle à Paris du temps de Richelieu, dont, avec Bautru et Boisrobert, il était un des amuseurs. Le cardinal n'aimait pas seulement son esprit, il paraît avoir eu confiance en son bon sens. Quand la mort du Père Joseph l'eût laissé sans conseiller, c'est, entre autres personnes, à Blot qu'il s'adressa pour lui trouver quelqu'un qui pût lui tenir lieu de l'éminence grise, et c'est de sa main qu'il prit certain pauvre cadet d'Église, à peine connu alors par quelques négociations assez habilement ménagées entre la France et le Piémont. Ce petit prêtre, devenu plus tard le cardinal Mazarin, oublia son passé misérable et Blot en même temps. Blot şe vengea par des chansons. Personne ne se lança

. 1 La date de la naissance de ce poëte est incertaine, et ce n'est que par induction et d'une manière approximative que nous pouvons lui assigner sa place dans notre recueil. Ses rapports avec le cardinal de Richelieu nous autorisent à supposer qu'il était, à l'époque où éclata la Fronde (1647), dans toute la force de l'âge; en d'autres termes, qu'il naquit vers 1610. (Note de l'éditeur.)

plus avant dans la Fronde, et mieux armé de cet esprit, qui, pendant la folle guerre, fit feu bien plus souvent et à coups plus sûrs que les canons et les mousquets.

Blot, qu'on appelait l'esprit, du nom de sa marchandise, n'arrêta plus la mousquetade, du moment qu'il l'eut commencée; il allait en batteur d'estrade sur tous les domaines; enfant perdu de la satire et du couplet, il tiraillait à tort et à travers, même sur ses amis, sur ses patrons. Gaston se l'était attaché, et il chansonnait Gaston et ses maîtresses.

« Ce prince, dit P. Le Gouz, dans son supplément manuscrit du Ménagiana, le réprimandoit un jour vivement au sujet de quelques vaudevilles qui couroient sur une de ses amies, et dont il le croyoit l'auteur. Blot nia le fait sans façon : « Mais de qui donc sont ces couplets? » dit le prince. Blot ayant essayé inutilement de jeter le soupçon sur d'autres: «Ma foi! Monseigneur, dit-il, voulez-vous que je parle natuturellement, je crois qu'ils se font tout seuls. >>

Gaston ne lui tint pas rancune; il le garda dans sa maison, où Blot, qui avait une main dans les deux partis, laissant son esprit indépendant rire et planer au milieu, vivota, jusqu'à sa mort, et des bienfaits du prince et d'une pension de deux mille livres que Mazarin avait fini par lui infliger, sans parvenir à le faire taire.

C'est à Blois, chez Gaston, qu'il mourut le 13 mars 1655. Les derniers moments, suivant Chapelle et Bachaumont, furent « d'une âme sensée; » ce qui, n'étant dit qu'à propos de sa mort, donnerait à croire que sa vie n'avait pas toujours été de même. Chapelle et son ami tenaient la preuve de cette fin édifiante, de la bouche même de M. Colomb, qu'ils avaient vu peu de temps après, lors de leur passage à Blois.

Du temps de Blot, on n'imprima rien de ce qu'il avait écrit, si ce n'est dans quelques Mazarinades 1 dont les auteurs crurent bon de se faire de l'esprit avec le sien. Il riait, il rimait, il chantait en courant, ne s'inquiétant pas de ce qu'il laissait derrière lui, et le laissant ramasser aux autres. Des collectionneurs, dont le nombre était déjà grand alors, eurent le soin qu'il n'avait pas voulu prendre. Ils recueillirent, mais, fidèles à leur instinct, ils ne publièrent pas. De temps à autre ils montraient leur recueil avec une délectation égoïste, puis le resserraient bien vite en avares, Lancelot, de l'Académie des inscriptions, en avait un de ce genre; Segrais en avait un autre « Segrais, dit madame de Sé

1 V. Moreau, Bibliographie des Mazarinades, t. I, p. 76, 278; III, 29, 225.

vigné1, nous montra un recueil qu'il a fait des chansons de Blot; elles ont le diable au corps; mais je n'ai jamais vu tant d'esprit. » Ce mot-là donne bien des désirs, bien des regrets, d'autant que ce que nous connaissons des chansons de Blot ne le justifie pas assez. C'est, à ce qu'il paraît, le bon qui s'est perdu; un souffle a emporté la fleur du panier. Peut-être aussi la passion du temps, qui n'était pas encore tout à fait éteinte en 1670, prêtait-elle aux chansons de Blot un esprit et une verve qu'elles n'avaient pas d'elles-mêmes. Alors les fusées de ce feu d'artifice pouvaient se ralumer et pétiller encore; nous n'en avons plus que les tubes de carton noirci.

EDOUARD FOURnier.

1 Lettres du 1er mai 1670.

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