Miserable vengeur d'une juste querelle, Si près de voir mon feu récompensé, En cet affront mon père est l'offensé, Que je sens de rudes combats! Contre mon propre honneur mon amour s'intéresse : Des deux côtés mon mal est infini. Faut-il punir le père de Chimène? Père, maîtresse, honneur, amour, Noble et dure contrainte, aimable tyrannie, Mais ensemble amoureuse, Digne ennemi de mon plus grand bonheur, Fer qui causes ma peine, M'es-tu donné pour venger mon honneur? Il vaut mieux courir au trépas. Je dois à ma maîtresse aussi bien qu'à mon père. Mon mal augmente à le vouloir guérir; Tout redouble ma peine. Allons, mon âme; et, puisqu'il faut mourir, Mourir sans tirer ma raison 1! Rechercher un trépas si mortel à ma gloire, N'écoutons plus ce penser suborneur, Qui ne sert qu'à ma peine. Allons, mon bras, sauvons du moins l'honneur, Oui, mon esprit s'était déçu. Je dois tout à mon père avant qu'à ma maîtresse : Je m'accuse déjà de trop de négligence, Et, tout honteux d'avoir tant balancé, Puisque aujourd'hui mon père est l'offensé, 1 C'est-à-dire sans me venger. CHŒUR DE SOUDARTS EXTRAIT DE LA TRAGÉDIE DE ROBERT GARNIER, INTITULÉE : Porcie. (Acte III.) Soudarts, puisque les ennemis, De leurs corps mesurent la terre, Ne laschons nos princes vainqueurs, 2 Si quant et quant ses empereurs Nous offrons tous les jours nos corps A cent et cent diverses morts, De tant de belliqueux efforts, Depuis que nous vismes les Gaules 1 Récompensent. - 2 En même temps, au fur et à mesure. imperatores. 3 Généraux, Pour étrangères. - Pour qu'il fait bon. Il n'est trepas plus glorieux, O trois et quatre fois heureux, De ceux-là les os enterrez Qui a le courage couart, Le danger de la mort evite! SCARRON 1610 - 1660 Scarron, c'est tout autre chose qu'un poëte ou un bel esprit : c'est un phénomène de l'histoire littéraire. On ne sait vraiment comment le définir, comment l'apprécier et le juger, si l'on oublie un seul instant ses infirmités, ses malheurs, et cet étrange cahos de la Fronde où il apparait comme un farfadet, comme un gnome, comme un esprit vif et malsain, aimable et repoussant, comique et cynique jusqu'à la folie. Tous les contrastes se heurtent dans ce simulacre d'existence qui ressemble à un mauvais rêve plein de cris de douleur et d'éclats de rire. Supposez, si vous l'osez, Thersite et Job fondus ensemble, Apollon et Marsyas inséparablement unis pour s'écorcher l'un l'autre; imaginez un tronçon de l'Arétin soudé à un fragment d'Ésope ou de Triboulet, à un débris de Diogène ou de Lucien; eh bien! vous n'aurez encore qu'une idée fort incomplète de cet affreux et charmant gamin du Marais; de cet incurable bouffon, si pétulant dans son fauteuil de paralytique; de ce poëte-quêteur trònant à sa table, au milieu des gens de cour; de ce petit monstre bourgeois qui épouse une merveille de noblesse et de grâce, et qui a pour amies tout à la fois les courtisanes et les saintes, les Ninon de Lenclos et les Hautefort. La plaisante cervelle de Scarron logea, plus de trente ans, cinq cents diables cornus qui firent sabbat dans leur logis comme dans une vieille ruine; mais parmi ces démons enragés il y eut au moins un bon diable: celui qui hébergea les deux sœurs du possédé, qui secourut mademoiselle Céleste de Palaiseau, et qui eut pitié de la jeune Françoise d'Aubigné, la future marquise de Maintenon. Né pour être riche, Scarron vécut pauvre. Fils d'un conseiller au parlement qui jouissait de vingt bonnes mille livres de rente, il se |