En quel fleuve areneux jaunement s'escouloit Mais quelle riche mer le coral receloit De cette belle levre, où mon desir s'affame? Quel blanc rocher de Pare', en ettofe marbrine O trop heureux le fleuve, heureux ciel, mer heureuse, Le jardin, le rocher, la sabée odoreuse, Qui nous ont enlustré le beau de son honneur 3! Combien de fois dessus ta belle main, Que de ma dent j'y engravois en vain! Veu qu'en ton cœur, cœur de marbre ou d'erain, Cette morsure aucunement n'arrive ; Mais dans le mien, esternellement vive, Je suis semblable à celuy qui veut prendre, Car, te pensant laisser une morsure 1 Paros. 2 Du pays de Saba. 3 Sa glorieuse beauté. BAISERS Qui a leu'comme Venus, Qui a leu comme Tibulle, Qui a veu le passereau, Pipier, batre de l'esle, Quand d'un infini retour Il mignarde, sans sejour 3, La colombe roucoulante, Mille baisers, dont la grâce Celle du cygne surpasse Sus sa Lode fretillard; Les chevres qui vont broutant, Lors que d'un trait amoureux, BIBLIOT Celuy qui aura pris garde A cette façon gaillarde De tels folastres esbas, Que, par eux, il imagine Quand je meurs entre tes bras. Baise-moy tost mignardement; Tu ne veux donq que je te touche? Ha, là! friande, que mon ame Ne t'endors point de ce sommeil, Ne t'endors point, mon petit œil, Tant de mols baisers de reveil! Ne vois-tu pas comme l'aurore, Desja, d'un esclat jaunissant, O combien m'est court le desduit1 Puis donques que le jour nous presse, Adieu, ma petite maistresse, Adieu, ma gorgette et mon sein, Adieu, ma delicate main; Adieu, mon œil, adieu mon cueur, Tu pleures, ma douce fole! 1 Plaisir. 2 Douleur. Si Remy Belleau n'est pas la plus grande étoile de cette constellation poétique qu'on a appelée la Pléiade française, il en est sans doute la plus brillante. Il n'a ni l'éclat fulgurant de Jupiter ou de Ronsard, ni la clarté limpide et sereine de Mars ou de Joachim Du Bellay; mais nul n'a eu, mieux que lui, la lumière vive et scintillante, la flamme prismatique, le lumen coruscum que les belles nuits nous montrent dans Sirius, le diamant du ciel. S'il n'avait fallu qu'un exemple pour montrer quel merveilleux instrument pouvait être dans les mains d'un poëte cette langue française qu'on a, sur la foi du xvIII° siècle, tant appeléo la langue de la prose, à quel brillant, à quel relief elle pouvait atteindre, Belleau aurait suffi. Son œuvre entière est comparable à une forêt délicieuse subitement éclairée par la flamme pénétrante des feux de Bengale, et dont les moindres détails, les plus sombres profondeurs apparaissent magiquement illuminées. Heureusement, ici, point de trahison à craindre. La perfection de l'art égale la perfection de la nature, et il n'est pas de recoin, même le plus écarté, qui redoute le rayon accusateur. Dans cette prodigieuse époque de rénovation poétique, qui eut la noble folie du beau, Belleau nous montre l'art achevé à côté de l'art fougueux, le soin exquis et fin à côté de l'audace, l'in tenui labor, mais relevé par la puissance de l'inspiration et par la grandeur du dessin. général. Pour la grâce et le sentiment, on peut le comparer à La Fontaine. C'est un La Fontaine en effet, mais un La Fontaine esclave du rhythme, et qui eût tenu le vers libre pour forfaiture. Lors même qu'il s'attendrit ou qu'il s'abandonne le plus, Belleau veut que sa fantaisie soit arrêtée et incisée avec la précision du plus pur camée. Artiste |